Passés de mode

La mode existe aussi dans la musique classique. Ou plus exactement les comportements moutonniers, suivistes, dans la programmation des concerts comme dans les disques.

Le phénomène est aisé à observer, avec l’abondance des rééditions en gros coffrets, pour tous les artistes, solistes, chefs, qui ont compté ces cinquante dernières années. Il y a des oeuvres que tout le monde enregistrait dans les années 60-70, qui semblent ne plus intéresser personne depuis dix ans, ou à l’inverse des compositeurs, des répertoires naguère délaissés, qui font l’objet de multiples intégrales.

Beethoven, Brahms, Bruckner, Mahler n’ont jamais quitté les premières places, mais cherchez une intégrale récente des musiques de scène de Rosamunde de Schubert ou du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn. Vous trouvez pour la première Abbado… en 1991, pour la seconde Harnoncourt.. en 1992 ou Herreweghe en 1994 !

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Les intégrales des symphonies de Chostakovitch se comptent par dizaines, quand au début des années 80, on pouvait les dénombrer sur les doigts d’une main ! Mais à quand remonte la dernière intégrale des symphonies d’Honegger ? Dutoit au milieu des années 80, à peu près en même temps, Plasson à Toulouse et une décennie auparavant une splendide version de Serge Baudo avec la Philharmonie tchèque. Le formidable Stéphane Denève va-t-il relever le gant, en donnant une suite à ce tout récent disque des 2ème et 3ème symphonies ? ou, comme jadis Karajan, s’arrêtera-t-il en chemin ?

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Même phénomène pour Olivier Messiaen (1908-1992). On a célébré son centenaire en 2008 avec moult rééditions, coffrets d’hommage, mais, sauf erreur, le dernier enregistrement de studio de son oeuvre phare, la Turangalîlâ-Symphonie, remonte à 1996 (Yan Pascal Tortelier chez Chandos). Il en est paraît-il ainsi de tous les compositeurs qui connaissent une période de purgatoire après leur mort. Voire.

Tout chef qui se respectait enregistrait au moins un disque d’ouvertures ou de pièces spectaculaires, ils y sont tous passés, de Toscanini à Karajan, de Furtwängler à Solti, Mehta, Maazel, Muti, Böhm, etc. La jeune génération ? Privée de sucreries !

Les plus grands ne dédaignaient pas les ballets romantiques, les Tchaikovski, Delibes, Adam. Il faut plonger dans les rééditions (Karajan/Decca, Martinon, Ansermet, Dorati) pour trouver les Coppélia, Sylvia, Giselle, autrefois si prisés, même privés de la scène. Les dernières intégrales des trois ballets de Tchaikovski remontaient aux années 70/80 avant que, à la surprise générale de la critique (!), Simon Rattle ne grave une vision très (trop) symphonique de Casse Noisette, et que Valery Gergiev – inégal, mais nettement plus chorégraphique que le pesant Mikhail Pletnev – n’assure la succession de Svetlanov ou Rojdestvenski.

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Encore plus anachronique, les valses viennoises. S’il n’y avait pas le concert du Nouvel an viennois – et son immuable défilé de tubes et de quelques surprises – il n’y aurait plus un seul disque signé d’un grand chef dans ce répertoire. Il est vrai qu’après Karajan, Böhm et Boskovsky, Carlos Kleiber a « tué le job ».

On retrouve heureusement – et enfin ! – une belle compilation des grandes heures de ces concerts viennois dans le coffret de 23 CD édité par Sony (mais reprenant les prises DGG, Decca, EMI, Philips). Critique à lire dans le numéro de décembre de Diapason !

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Jamais sans elles

Cela faisait quelque temps que je voulais évoquer le dernier-né du duo Patrice Duhamel-Jacques Santamaria. Ces deux-là, mes amis, en sont à leur troisième ouvrage, bien parti comme les précédents pour devenir un bestseller. Après L’Elysée, coulisses et secrets d’un palais, et Les Flingueurs, anthologie des cruautés politiques, ils brossent d’émouvants portraits de femmes qui ont compté dans l’histoire politique du dernier siècle.

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Qu’y a-t-il de commun entre Yvonne de Gaulle, Adelaïde Jaurès, Jeanne Blum, Marie-Louise Chirac, Charlotte Badinter et la princesse Mathilde Bonaparte ? Elles confirment toutes l’adage populaire qui nous dit que derrière chaque grand homme se cache une femme. Qui connaît par exemple l’influence réelle d’Yvonne de Gaulle auprès de son mari, notamment pour l’autorisation de la pilule contraceptive ? Ou encore la complicité étonnante et peu connue entre Tante Yvonne et André Malraux ? Sait-on que la femme la plus influente dans la vie de François Mitterrand, celle qui lui a appris à aimer charnellement la France, fut sa grand-mère  » Maman Ninie  » ? Le rôle de Claude Chirac auprès de son père est connu mais sait-on qu’Elisabeth de Gaulle a souvent influencé son Général de père ? Et que dire de Liliane Marchais, la militante communiste au soutien indéfectible ; de Denyse Seguin, à qui son fils Philippe vouait un véritable culte ; ou encore de Michelle Auriol, la première des Premières dames à avoir joué un rôle politique réel ? De Napoléon à Valls en passant par Giscard, Badinter, Juppé, Jospin, Bayrou, Sarkozy ou Hollande, quelle aurait été leur carrière politique sans leur mère, ces femmes qui les ont façonnés et épaulés dans leurs combats ? Aucun de ces hommes n’aurait franchi les étapes les conduisant au pouvoir sans ces femmes dont la vie nous est racontée ici et qui offrent un éclairage original sur l’histoire politique française.

Les deux auteurs ne se contentent pas des clichés habituels, chaque portrait est l’occasion d’un condensé d’histoire et de mises en perspective salutaires.

L’actualité discographique remet au premier plan des femmes, des musiciennes pour lesquelles je pourrais reprendre à mon compte le titre de l’ouvrage de Duhamel et Santamaria : Jamais sans elles. Anna Moffo et deux Elisabeth, Schwarzkopf et Grümmer. 

L’Américaine Anna Moffo (1932-2006) – https://fr.wikipedia.org/wiki/Anna_Moffo -, a fait une carrière relativement courte mais la somptuosité et le grain unique de sa voix n’avaient d’égale que la beauté et le port d’une star italienne. J’ai découvert nombre d’opéras dans mon adolescence grâce à elle et à ses enregistrements pour RCA. On retrouve dans ce coffret les qualités exceptionnelles de cette chanteuse (notamment une parfaite diction française)

https://www.youtube.com/watch?v=dP5y16E4eIg

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On ne peut ensuite imaginer carrières et matières plus contrastées que les deux Elisabeth, quasi  contemporaines. La sophistication suprême, les grandes manières pour « la » Schwarzkopf, la pureté de diamant, les vibrations lumineuses d’une voix céleste, celle d’Elisabeth Grümmer (1911-1986) qui ne fit jamais (à cause de l’autre ?) la carrière discographique qu’elle eût méritée. Dans un coffret très bon marché, d’excellents repiquages de références parfois disparues depuis longtemps.

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https://www.youtube.com/watch?v=dokb2pA82gQ

 

 

Arnaques

On n’imagine pas comme ça, vu du dehors, mais le petit monde de la musique classique est plein de chausse-trapes. Comme le relève Gaëtan Naulleau dans le numéro de novembre de Diapasonla guerre fait rage entre Deutsche Grammophon-Decca / Universal et Sony : la première s’est fait piquer par le second deux de ses stars, Jonas Kaufmann et Lang Lang. Au moment où le pianiste chinois sort son dernier album (on y reviendra, pour la belle arnaque sur le titre : Lang Lang in Paris ) chez Sony, Deutsche Grammophon ressort – objet de l’ire diapasonesque – une compilation très hétéroclite du même sous le titre Lang Lang the Vienna Album !

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Un mot sur le titre du CD Sony : le lien entre Paris et les Scherzos de Chopin ou les Saisons de Tchaikovski ? Aucun ! Tromperie sur la marchandise ? Pas tout à fait puisque ce disque a bien été enregistré… à Paris (à l’Opéra Bastille précise-t-on même !). La belle affaire… ou plutôt la bonne affaire pour l’image internationale de  LL.

La guerre Sony/Universal avait commencé il y a quelques semaines, dans le même genre :

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Decca avait dégainé le premier avec un album/compilation au titre encore une fois trompeur (The Age of Puccini), sachant que Jonas Kaufmann allait sortir un CD tout Puccini chez Sony. Il a fallu que le chanteur lui-même dénonce le procédé…

Pas très reluisant évidemment, mais il n’y a pas mort d’homme…et puis on est loin, très loin des montants engagés pour des transferts de stars du ballon rond !

Plus désagréables pour les auditeurs/consommateurs de musique que nous sommes, les petites arnaques qui non seulement trompent l’acheteur mais desservent les artistes qui en sont aussi victimes. En cause, les enregistrements « libres de droits », en gros ceux qui ont plus de 50 ans (beaucoup d’exceptions évidemment). Sur les sites de téléchargement (comme Itunes) on est envahi de repiquages, de mauvaises copies de microsillons, absolument épouvantables, à petit prix évidemment, avec parfois de très bonnes surprises (Monteux, Richter, Heifetz…) mais à condition de bien écouter d’abord avant de télécharger.

On est effaré par exemple par la désinvolture – pour rester poli – avec laquelle un établissement aussi prestigieux que la Bibliothèque Nationale de France réédite numériquement quantité d’enregistrements relevant du dépôt légal. Aucun travail éditorial, ni technique, sérieux. Des erreurs en pagaille sur les oeuvres, les interprètes, les compositeurs. Incompréhensible, inadmissible.

Même saccage dans certaines rééditions de CD. Depuis longtemps fan des symphonies de Beethoven gravées par René Leibowitz à Londres en 1959/1960 dans une prise de son stéréo de référence, publiées séparément sous diverses étiquettes (comme Chesky Records) je me suis réjoui de les voir enfin proposées dans un coffret que j’ai aussitôt acheté. Quelle déconvenue en mettant sur ma platine quelques plages au hasard ! Une catastrophe, un report complètement raté. Une honte !

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La même horreur existe, en pire, sur Itunes, si on n’y prend pas garde.

Autre arnaque, heureusement pas encore trop répandue, les rééditions « avec pochettes d’origine » de grands artistes du passé. Quand les minutages des microsillons d’origine étaient brefs, ça peut donner des CD très chiches.

On atteint parfois les limites du ridicule. Déjà le coffret des enregistrements de Jean Martinon avec l’orchestre symphonique de Chicago – que tous les amateurs attendaient avec impatience – aurait pu tenir en 5 CD au lieu des 10 qu’il  contient.

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Mais le pompon est décroché par cette sortie toute récente : Earl Wild, the RCA complete collection.

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On salivait à la perspective de redécouvrir des enregistrements forcément légendaires du grand virtuose américain qui n’était pas loin de fêter son centenaire sur scène (il est mort à 95 ans, en 2010, encore en activité). 5 CD (pour 40 € le coffret), qui tenaient sans problème sur…2 galettes ! Un Gershwin multi-réédité (ici coupé en deux !), certes deux ou trois raretés (le concerto de Paderewski, le 1er concerto de Scharwenka, et quelques babioles qui font très fond de tiroir). Il y a tellement de bons enregistrements, certes éparpillés entre plusieurs labels, à rééditer pour le centenaire du pianiste…qu’on se serait bien passé de ce triste boitier. Par exemple la plus éblouissante des intégrales concertantes de Rachmaninov, ou quand pianiste et chef sont à l’unisson de l’esprit et du style du compositeur.

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Légèreté

Il y a des expressions consacrées, dont les inventeurs n’ont pas mesuré l’ineptie : ainsi « spectacle vivant » (il y aurait donc des spectacles « morts » ?), ou « musique légère » (il y aurait donc de la musique « lourde » ?). Evidemment, on a fini par comprendre ce qu’elles recouvrent, il n’empêche, elles sont source de confusion.

Qui dit musique légère, pense musique facile, futile, un peu désuète, l’opérette de nos grands-parents, les viennoiseries qu’on nous sert chaque 1er Janvier.

Demandez plutôt aux interprètes, aux musiciens, aux chanteurs ce qu’ils en pensent, ils vous répondront tous que c’est souvent la plus difficile, la plus exigeante des musiques.

Pour reprendre les fameux concerts télévisés de Nouvel an, on pourrait s’amuser à dresser le palmarès des plus mauvaises prestations : de grands chefs qui n’ont pas trouvé la clé, le style, la manière des insubmersibles valses, polkas et autres marches de la dynastie Strauss & Co. (Ozawa, Jansons, Welser-Moest, Barenboim par exemple). Pourquoi revient-on toujours à Carlos Kleiber – deux concerts seulement, mais quels concerts ! en 1989 et en 1992 – ? Parce que, plus que tout autre, d’abord il aimait cette musique, et exigeait de multiples répétitions avec un orchestre pourtant aguerri. Il n’est que d’écouter (et voir) l’ouverture du Baron Tzigane (et ses tournures all’ungarese) ou la délicate polka lente Die Libelle (La libellule), pour mesurer tout le travail du chef qui donne à ces oeuvres non pas plus de poids ou de sérieux, mais au contraire leur véritable légèreté, et leur inépuisable parfum de nostalgie…

https://www.youtube.com/watch?v=AIv2Ltf2cD4

https://www.youtube.com/watch?v=dunn_2wAs0o

On commémorera en décembre prochain le centenaire de la naissance d’Elisabeth Schwarzkopf – je raconterai alors dans quelles circonstances nous avions organisé à France Musique une journée spéciale pour son 80ème anniversaire – Son éditeur historique EMI, même maquillé en Warner, prévoit un coffret-hommage :

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Pourquoi évoquer cette personnalité contestée, contestable, à propos de musique légère ? D’abord parce qu’elle-même, interrogée par Jean-Michel Damian lors de cette journée spéciale de décembre 1995, avait répondu que son enregistrement préféré, avant les Mozart, Richard Strauss où elle avait triomphé sur scène et au disque, était Wiener Blut (Sang viennois), et singulièrement le duo qu’elle forme avec Nicolai Gedda. On se rappelle une dame qui ne cherchait pas à cacher son âge, émue aux larmes de se réentendre dans cet enregistrement de 1953. En effet, il y a une manière de perfection dans ce que font les deux chanteurs et surtout le merveilleux chef suisse Otto Ackermann. Ensuite, parce que, dans les opérettes qu’elle a enregistrées (La Chauve-souris, Sang viennois, Le Baron tzigane, Une nuit à Venise de Johann Strauss et les Lehar – La Veuve joyeuse, le Pays du sourire), elle est tout simplement idéale, parce qu’elle met à chanter ces rôles le même soin, la même sophistication – qu’on lui a souvent reprochée, mais en quoi est-ce un défaut ? – que dans Mozart ou Richard Strauss. Et puis il y a un petit bijou, un disque d’extraits d’opérettes moins connues (Millöcker, Zeller, Suppé, Heuberger..) qui me quitte rarement. Comme un baume, une bouffée d’ailleurs, un bienfait.

https://www.youtube.com/watch?v=XQysNWRjdeE

Les surdouées

La comparaison pourra surprendre, et pourtant l’une me fait souvent penser à l’autre. Deux pianistes, deux femmes, si différentes en apparence, si ressemblantes à beaucoup d’égards. Yuja Wang (28 ans) et Martha Argerich (74 ans).

Comme beaucoup, j’ai tiqué quand j’ai vu le premier disque de la toute jeune Chinoise, passée par les Etats-Unis (pur produit du Curtis Institute de Philadelphie) :

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On sait que le chef italien n’a jamais été insensible aux jeunes talents féminins, et on pensait qu’il avait de nouveau succombé à l’élan de cette jeunesse exotique. Et puis on a écouté le disque, on a oublié tous ses a priori et revécu le choc éprouvé avec un autre disque – même programme – aujourd’hui complètement oublié, paru en 1989, avec une pianiste d’origine philippine, elle aussi passée par le Curtis, Cecile Licad

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Mais un excellent premier disque suffit-il à installer durablement une réputation, sinon une carrière, Yuja Wang allait-elle suivre les traces de son aîné de cinq ans (!), Lang Lang, techniquement surdoué, mais musicalement plus incertain (pour user d’un euphémisme !) ?

Rien de mieux que le concert pour rassurer, ou non, ses oreilles. Ce que j’ai fait pour l’un, puis l’autre. Yuja Wang c’était il y a un an exactement à Zurich, où elle accompagnait les débuts de Lionel Bringuier comme directeur musical de la Tonhalle. Dans le 2e concerto pour piano de Prokofiev que j’avais jusqu’alors toujours trouvé trop long, démonstratif et indigeste. Et soudain je n’avais plus entendu que de la musique, au-delà d’une technique incroyablement dominée, un dialogue amoureux avec l’orchestre, et surtout une attitude au piano, un calme olympien, en contraste total avec les minauderies, les poses de son confrère et compatriote. Et déjà j’avais pensé à Martha Argerich, cette attaque si particulière du clavier, à la fois griffe et caresse, cette impression que la technique est toujours au service d’un discours, jamais une fin en soi, et surtout pas un étalage.

Lundi soir, à la Philharmonie de Paris, Yuja Wang jouait le 4e concerto de Beethoven. Une autre paire de manches que la pyrotechnie de Rachmaninov ou Prokofiev. Le concerto (de Beethoven) préféré des pianistes (j’ai plus d’affection pour le 3eme). Les doigts ne suffisent pas, même s’il en faut. Beethoven peut résister même aux plus consentants. Comme il y a un an à Zurich, j’ai rendu les armes : une technique entièrement mise au service d’une complicité de chaque mesure avec les musiciens du San Francisco Symphony et de leur vénérable chef Michael Tilson Thomas (à force d’avoir toujours l’air d’un éternel jeune premier, MTT a quand même largement franchi le cap de la septantaine). Pas de déferlement incongru dans les cadences pourtant redoutables, pas de surlignage de mauvais goût, parfois un excès de pudeur, là où d’autres déclament avec plus d’insistance. En bis, l’arrangement hallucinant d’humour et de virtuosité de la Marche turque de Mozart dû à Arcadi Volodos, et, d’une simplicité toute de tendresse émue, un arrangement d’Orphée de Gluck. 

On l’aura compris, j’en pince pour Yuja, et j’attends avec impatience les Ravel qu’elle a enregistrés avec Lionel Bringuier à Zurich :

La transition est toute trouvée avec Martha Argerich, qui m’a marqué à jamais avec le concerto en sol, que je l’ai entendue jouer si souvent pendant la longue tournée de l’Orchestre de la Suisse romande au Japon et en Californie à l’automne 1987 (sous la direction d’Armin Jordan). Jamais elle ne jouait de la même manière, même si la patte Argerich est toujours immédiatement reconnaissable.

Deutsche Grammophon a regroupé en un beau coffret rouge de 48 CD tout ce que la pianiste argentine a gravé pour le label jaune ou Philips, en studio comme en concert. Il y a évidemment pas mal de doublons, au moins trois fois le 1er concerto de Tchaikovski, celui de Schumann, le 2ème de Beethoven, deux fois Ravel – les très récents « live » de Lugano, parfois plus intéressants que ceux qu’EMI/Warner édite chaque année. On ne va pas se lancer dans une critique détaillée, qui n’aurait aucun sens, et dont je serais incapable. Une remarque sur la composition de ce coffret : même s’il reprend les pochettes d’origine, la plupart des galettes ont un minutage généreux. Juste un petit pataquès, contrairement à ce qu’indique la liste ci-dessous, les CD 10 et 11, très courts l’un et l’autre, contiennent deux fois la même version de la sonate pour 2 pianos et percussions en version orchestrale de Bartok, avec les compléments (Noces de Stravinsky dirigées par Bernstein sur le 10, les Danses de Galanta de Kodaly par Zinman sur le 11) on faisait aisément tenir le tout sur un seul disque ! Mais les trésors de ce coffret sont en telle quantité et qualité qu’on ne va pas s’arrêter à un aussi petit défaut. Le coffret n’arrive en France que début octobre, mais il est déjà disponible dans d’autres pays européens, et mon impatience l’a une fois de plus emporté !

91z4AuFIe8L._SL1500_CD 1: DEBUT RECITAL: CHOPIN: Scherzo no. 3, BRAHMS: 2 Rhapsodies op. 79, PROKOFIEV: Toccata op. 11, RAVEL: Jeux d’eau, CHOPIN: Barcarolle op. 60, LISZT: Hungarian Rhapsody no. 6

  • CD 2:CHOPIN: Piano Sonata no. 3, Polonaise-Fantaisie op. 61, Polonaise no. 6 op. 53, 3 Mazurkas op. 59
  • CD 3: PROKOFIEV: Concerto no. 3 in C major/ RAVEL: Concerto in G major Berliner Philharmoniker / Abbado
  • CD 4: CHOPIN: Piano Concerto no 1 in E minor / LISZT: Piano Concerto no. 1 in E flat major London Symphony Orchestra / Abbado RAVEL: Piano Concerto in G major London Symphony Orchestra / Abbado
  • CD 5: TCHAIKOVSKY: Piano Concerto no. 1 in B flat minor Royal Philharmonic orchestra / Dutoit MENDELSSOHN: Concerto for Violin, Piano and String Orchestra Kremer/OCO
  • CD 6:LISZT: Sonata in B minor / SCHUMANN: Sonata no. 2 in G minor
  • CD 7: CHOPIN: Piano Sonata no. 2, Andante spianato et Grande Polonaise op. 22, Scherzo no. 2
  • CD 8: RAVEL: Gaspard de la Nuit, Sonatine, Valses nobles et sentimentales
  • CD 9: CHOPIN: 24 Preludes op. 28, Prelude in C sharp minor op. 45, Prelude in A flat major op. posth.
  • CD 10: STRAVINSKY: Les Noces (The Wedding) Anny Mory, soprano / Patricia Parker, mezzo-soprano / John Mitchinson, tenor / Paul Hudson, bass Krystian Zimerman, Cyprien Katsaris, Homero Francesch, piano I – IV English Bach Festival Chorus / English Bach Festival Percussion Ensemble LEONARD BERNSTEIN, BARTÓK: Concerto for Two Pianos and Percussion, BB 115 (Sz 110) Nelson Freire, pianos / Jan Labordus, Jan Pustjens, percussion Concertgebouw Orchestra, Amsterdam / DAVID ZINMAN
  • CD 11: BARTÓK: Sonata for Two Pianos and Percussion, BB 115 (Sz 110) / MOZART: Andante with Five Variations in G major for piano duet, K. 501 / CLAUDE DEBUSSY: En blanc et noir Martha Argerich, Stephen Kovacevich, pianos / Willy Goudswaard, Michael de Roo, percussion
  • CD 12: SCHUMANN: Piano Concerto in A minor / CHOPIN: Piano Concerto no. 2 in F minor National Symphony Orchestra / Rostropovich
  • CD 13:J. S. BACH: Toccata BWV 911, Partita no. 2 in C minor BWV 826, English Suite no. 2 in A minor
  • CD 14: CHOPIN: Sonata for Piano and Violoncello in G minor, op. 65 / Introduction et Polonaise brillante for Piano and Violoncello in C major, op. 3 / SCHUMANN:Adagio and Allegro for Violoncello and Piano in A flat major, op. 70 With Mstislav Rostropovich, violoncello
  • CD 15: RACHMANINOV: Suite No. 2 for 2 Pianos, op. 17 / RAVEL: La Valse / LUTOSLAWSKI: Variations on a Theme by Paganini With Nelson Freire
  • CD 16: RACHMANINOV: Piano Concerto no. 3 in D minor op. 30 Radio-Symphonie-Orchester Berlin / RICCARDO CHAILLY [Live recording] TCHAIKOVSKY: Piano Concerto no. 1 in B flat minor, op. 23 Symphonie-Orchester des Bayerischen Rundfunks / KIRILL KONDRASHIN [Live recording]
  • CD 17: RACHMANINOV: Symphonic Dances op. 45 / TCHAIKOVSKY: Nutcracker Suite op. 71a With Nicola Economou
  • CD 18: SCHUMANN: Kinderszenen op. 15, Kreisleriana op. 16
  • CD 19: SCHUBERT: Sonata for Arpeggione and Piano D 821 / SCHUMANN: Fantasiestücke op. 73, 5 Stücke im Volkson op. 102 With Mischa Maisky, violoncello
  • CD 20: BEETHOVEN: Violin Sonatas op. 12 nos. 1 – 3 With Gidon Kremer, violin
  • CD 21: J. S. BACH: Cello Sonatas BWV 1027 – 1029 With Mischa Maisky, violoncello
  • CD 22: SAINT-SAËNS: Le Carnaval des Animaux Martha Argerich, Nelson Freire, pianos Gidon Kremer, Isabelle van Keulen, violins
  • CD 23: BEETHOVEN: Piano Concertos nos. 1 & 2 Philharmonia Orchestra / Sinopoli
  • CD 24: SCHUMANN: Violin Sonatas opp. 105 & 121 Gidon Kremer, violin / Martha Argerich, piano
  • CD 25:BEETHOVEN: Violin Sonatas op. 23 & op. 24 “Spring” Gidon Kremer, violin / Martha Argerich, piano
  • CD 26: BARTÓK: Sonata for Violin and Piano no.1 / JANÁČEK: Sonata for Violin and Piano / OLIVIER MESSIAEN: Theme and Variations for Violin and Piano With Gidon Kremer, violin
  • CD 27: BEETHOVEN: 12 Variations on the Theme “Ein Mädchen oder Weibchen” op. 66 Cello Sonatas op. 5 nos. 1 & 2 / 7 Variations on the Duet “Bei Männern, welche Liebe fühlen“ WoO 46 With Mischa Maisky, violoncello
  • CD 28: PROKOFIEV: Violin Sonata no. 1 op. 80 / Five Melodies for Violin and Piano op. 35 bis / Violin Sonata no. 2 op. 94a With Gidon Kremer, violin
  • CD 29: BEETHOVEN: Cello Sonatas op. 69, op. 102 nos. 1 & 2 / 12 Variations on a Theme from Handel’s Oratorio “Judas Maccabaeus”, WoO 45 With Mischa Maisky, violoncello
  • CD 30: SHOSTAKOVICH: Concerto for Piano, Trumpet and String Orchestra op. 35 / HAYDN: Piano Concerto in D major Hob.XVIII:11 With Guy Touvron Württembergisches Kammerorchester Heilbronn / Jörg Faerber TCHAIKOVSKY: Piano Concerto no. 1 in B flat minor op. 23 Berliner Philharmoniker / Abbado
  • CD 31:BARTÓK: Sonata for two pianos and percussion / RAVEL: Ma Mère l’Oye, Rapsodie espagnole With Freire, Sado and Guggeis
  • CD 32: BEETHOVEN: Violin Sonatas op. 30 nos. 1 – 3 Gidon Kremer, violin / Martha Argerich, piano
  • CD 33: BEETHOVEN: Violin Sonatas op. 47 “Kreutzer”& op. 96 With Gidon Kremer, violin
  • CD 34: SHOSTAKOVICH: Piano Trio no. 2 in E minor op. 67 / TCHAIKOVSKY: Piano Trio in A minor op. 50 / KIESEWETTER: Tango pathétique (encore) With Kremer and Maisky
  • CD 35: SCHUMANN: Adagio & Allegro op. 70, 3 Fantasiestücke op. 73, Romanze op. 94 no. 1, 5 Stücke im Volkston op. 102, Märchenbild op. 113 no. 1 Mischa Maisky, violoncello / Martha Argerich, piano Mischa Maisky / Orpheus Chamber Orchestra BEETHOVEN: Violin Sonata no. 9 in A major, op. 47 “Kreutzer” Vadim Repin, violin / Martha Argerich, piano
  • CD 36: BEETHOVEN: Piano Concertos nos. 2 & 3 Mahler Chamber Orchestra / Abbado
  • CD 37: MISCHA MAISKY · MARTHA ARGERICH: LIVE IN JAPAN CHOPIN: Cello Sonata in G minor op. 65 / FRANCK: Violin Sonata in A major (arranged for cello) DEBUSSY: Cello Sonata in D minor / CHOPIN: Introduction et Polonaise brillante op. 3
  • CD 38:BRAHMS: Piano Quartet no. 1 in G minor op. 25* SCHUMANN: Fantasiestücke op. 88 *Argerich / Kremer / Bashmet / Maisky
  • CD 39: MISCHA MAISKY · MARTHA ARGERICH: IN CONCERT STRAVINSKY: Suite italienne from “Pulcinella” / PROKOFIEV: Sonata for Violoncello and Piano op. 119 / SHOSTAKOVICH: Sonata for Violoncello and Piano op. 40 / PROKOFIEV: Waltz from the Ballet “The Stone Flower”
  • CD 40: PROKOFIEV: Cinderella, Suite from the Ballet op. 87 / RAVEL: Ma Mère l’Oye Argerich / Pletnev
  • CD 41: MARTHA ARGERICH / NELSON FREIRE: LIVE IN SALZBURG BRAHMS: Haydn Variations op. 56b / RACHMANINOV: Symphonic Dances op. 45 / SCHUBERT: Rondo in A major D951 / RAVEL: La Valse
  • CD 42: MOZART:Piano Concertos Nos. 20 & 25 Orchestra Mozart / Abbado
  • CD 43:MARTHA ARGERICH · DANIEL BARENBOIM: PIANO DUOS MOZART: Sonata for Two Pianos KV 448 / SCHUBERT: Variations on an Original Theme D 813 / STRAVINSKY: The Rite of Spring (Version for Piano Duet)
  • CD 44 – 47: LUGANO CONCERTOS 2002 – 2010 CD1: Beethoven: Piano Concerto no. 1, Poulenc: Double Concerto, Mozart: Triple Concerto K.242 CD2: Schumann: Piano Concerto, Prokofiev Concertos nos. 1 & 3 CD3: Beethoven: Piano Concerto no. 2, Liszt: Piano Concerto no. 1, Bartók: Piano Concerto no. 3, Mozart: Andante & Variations K. 501 CD4: Schubert: Divertissement à l’hongroise, Brahms: Liebeslieder-Walzer, Stravinsky: Les Noces, Milhaud: Scaramouche
  • CD 48: CHOPIN: Ballade no. 1 in G minor op. 23; Etude in C sharp minor, op. 10 no. 4 / Mazurkas op. 24 no. 2, op. 33 no. 2, op. 41 nos. 1 & 4, op. 59 nos. 1 – 3, op. 63 no.2 / Nocturne in F major op. 15 no.1, Nocturne in E flat major op. 55 no.2 /Sonata no. 3 in B minor, op. 58 – First release CD

Disques d’été (VII) : Nuits dans les jardins d’Espagne

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L’oeuvre est centenaire, pas vraiment un concerto, ni un poème symphonique, une suite de trois tableaux, de trois évocations plutôt. C’est en 1915 que Manuel de Falla écrit ses Nuits dans les jardins d’Espagne, qu’il dédie à son compatriote, le pianiste Ricardo Viñes. Ce n’est pourtant pas lui qui crée l’oeuvre le 9 avril 1916 au Teatro Real de Madrid mais José Cubiles avec l’orchestre symphonique de Madrid dirigé par Enrique Fernandez Arbos.

Le premier volet a un rapport direct avec Grenade et les photos ci-dessus : En el Generalife / Dans les jardins du Generalife, le palais d’été des princes Nasrides, leurs jardins fleuris de jasmins et de roses, leurs fontaines (https://fr.wikipedia.org/wiki/Généralife)

Les deux autres volets ou mouvements sont intitulés : Danza lejana et En los jardines de la sierra de Cordoba.

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J’ai découvert l’oeuvre par la version mythique de Clara Haskil et Igor Markevitch, à la grande époque de l’orchestre des Concerts Lamoureux. La discographie n’est pas surabondante, mais on trouvera son bonheur dans ces six versions qui savent jouer des ombres et des lumières de l’oeuvre de Falla. Liste non exhaustive, classée par ordre de mes préférences ! Orozco/Colomer (Valois), Larrocha/Commisiona (Decca), Haskil/Markevitch (Philips/Decca), Soriano/Frühbeck de Burgos (EMI/Warner), Rubinstein/Jorda (RCA), Weber/Fricsay (DGG).

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Une version sans doute pas idiomatique, mais attachante : Barenboim au piano, Placido Domingo à la direction :

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Disques d’été (IV) : un grand d’Espagne

On reste toute sa vie fidèle aux interprètes qui ont accompagné vos premiers pas dans la découverte de la musique classique. Une autre fois je parlerai de ce 25 cm jaune (le bandeau de Deutsche Grammophon) et pourpre (une tenture, un grand piano, un chandelier et un couple très romantique) qui m’a fait aimer Chopin et Stefan Askenase.

C’est à un autre pianiste que je pense aujourd’hui avec gratitude et nostalgie. En 1973, la critique (Diapason déjà !) avait salué unanimement une intégrale des concertos pour piano de Rachmaninov, publiée par Philips. Confiée à deux tout jeunes artistes, le pianiste Rafael Orozco – 27 ans à l’époque – et le chef Edo de Waart (32 ans).

D’abord un mot de cette publication : elles n’étaient pas si nombreuses alors les intégrales concertantes de Rachmaninov. La légendaire version Wild/Horenstein n’était connue que des spécialistes, Ashkenazy et Previn étaient en train d’achever la leur. Pour le reste morne plaine. Cette nouvelle publication fit d’autant plus figure d’événement qu’elle donnait à redécouvrir un compositeur méprisé par toute la bien-pensance musicale européenne, que les flonflons « hollywoodiens » du trop célèbre 2e concerto révulsaient.

Incroyable d’ailleurs que personne ni à l’époque, ni depuis, n’ait fait remarquer non seulement que la musique de Rachmaninov ne pouvait être assimilée à celle que l’industrie triomphante du cinéma produisait en quantités… hollywoodiennes, mais que ce fameux 2e concerto avait été écrit en Russie et datait de.. 1901, soit quelques années quand même avant le jazz, Gershwin et l’essor de Hollywood. Pour certaines tournures mélodiques, pour l’emploi de la tierce mineure, et la structure même du concerto, Rachmaninov est un précurseur, pas un épigone !

Le succès de ce coffret Philips aura une conséquence inattendue : c’est un extrait du premier mouvement du 1er concerto qui sera choisi, en 1975, comme indicatif de l’émission littéraire de Bernard Pivot Apostrophes (même si la version retenue par la télévision est celle de Byron Janis et Kirill Kondrachine) : http://www.ina.fr/video/I00018025

Après ce long détour en forme de réhabilitation – oui on aime Rachmaninov ! – retour à ce coffret aussitôt acheté, aussitôt écouté, mais adopté lentement, difficilement même.

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J’ai tout de suite aimé le son, la virtuosité, le panache du pianiste et j’allais demeurer fidèle à ce grand et fier piano, à cet incomparable mélange de virilité (pardon pour le cliché !) et de sensibilité qui est la marque de Rafael Orozco. Souvenir intact et ému d’une intégrale d’Iberia d’Albeniz au Théâtre des Champs-Elysées quelques mois avant sa mort (en 1996).

Mais les concertos de Rachmaninov, quand on n’avait dans l’oreille que le 2eme concerto – et encore à l’époque, dans cette jolie ville de Poitiers, où l’on n’avait pas encore créé les Rencontres Musicales qui allaient nous amener, enfin, les grands artistes classiques du moment, Cziffra, Menuhin, Weissenberg, Ferras, jamais entendu en concert – c’était plutôt ardu : je ne comprenais rien au 3e concerto, sauf qu’il exigeait une technique exceptionnelle, le 4e concerto me séduisait plus sans doute par ses audaces, ses libertés. Quant au 1er concerto, comment ne pas souscrire à son romantisme débridé, très ancré dans la mère patrie. En revanche, coup de foudre immédiat pour la Rhapsodie sur un thème de Paganini.

Edo de Waart ne reniera jamais ses amours de jeunesse pour Rachmaninov, puisqu’il en enregistrera à deux reprises le corpus symphonique.

Quant à Rafael Orozco, il n’aura jamais la carrière discographique que son talent et sa personnalité hors normes auraient dû lui ouvrir. On en est réduit à rechercher ici et là, sur les sites de téléchargement, des Mozart, des Chopin enregistrés pour la branche espagnole d’EMI, Albeniz et Falla gravés pour Valois/Auvidis (qui les ressort au compte-gouttes). Un conseil : dès que vous trouvez un enregistrement d’Orozco, achetez-le, écoutez et réécoutez-le. Comme ce sublime Rêve d’amour (n°3) de Liszt

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Qui nous restituera un jour le legs discographique de ce grand d’Espagne, trop tôt disparu ?

Fièvre estivale

« S’il fallait définir la notion de festival, il faudrait prendre pour exemple Radio France Montpellier« . C’est ainsi que commence l’article de Philippe Venturini dans Les Echos du 13 juillet, il se termine par : « Mieux qu’un festival, un festin« .

On est évidemment heureux de tels « papiers », on risquerait le soupçon de flagornerie s’ils ne traduisaient le sentiment du public : http://www.lamarseillaise.fr/culture/festivals/40374-l-emotion-moteur-du-festivalier-radio-france.

Un 14 Juillet voué à l’amour, conclu par une prestation des soeurs Labèque, où l’attendu (une version de West Side Story décoiffante avec 2 pianos et percussions) s’est mêlé à la surprise avec Star Cross’d Lovers de David Chalmin. L’histoire de Roméo et Juliette revisitée par de fabuleux breakdancers comme en écho aux Jets et aux Sharks de la comédie musicale de Bernstein.

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Mercredi soir la première d’une série de trois représentations, à l’Opéra Comédie, de Don Quichotte chez la Duchesse de Bodin de Boismortierun spectacle déjà vu à Versailles et à Metz, mais jamais encore à Montpellier, où pourtant les maîtres d’oeuvre, Hervé Niquet et son Concert spirituel, Gilles et Corinne Bénizio (alias Shirley et Dino) n’en sont pas à leur coup d’essai. À entendre, dans et à la sortie de la salle, les réactions du public, et à lire les premières critiques, on se dit qu’on a encore touché juste !

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Ce soir on va enfin trouver le temps d’aller voir ce qui remplit l’amphithéâtre du Domaine d’O : le jazz, une « spécialité » Radio France depuis toujours. Demain la rumeur annonce une soirée mémorable avec la redécouverte de Fantasio d’Offenbach. 

Bref on ne sait plus où donner des yeux et des oreilles, la fièvre s’est emparée du festival !

Comble de bonheur, on reçoit en même temps le second volume des rééditions du legs Deutsche Grammophon du grand chef hongrois, Ferenc Fricsay, disparu prématurément d’un cancer à 49 ans en 1963. Après le symphonique et le concertant, c’est le lyrique et le  choral qui font tout le prix de ce coffret.

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Que de merveilles : des Mozart (Noces, Enlèvement, Don Giovanni, Flûte) où se retrouvent les Seefried, Fischer-Dieskau, Streich, Capecchi, Stader, bref la légende, deux Requiem de Verdi, un de Mozart (avec Grümmer), une Messe en ut du même Wolfgang, qui a mal vieilli – la faute aux dames solistes – une Carmen exotique en allemand, un Fidelio d’anthologie. Indispensable donc !

Feuilles mortes et renaissance

Dans les médias, le début de l’été est plutôt la saison des feuilles mortes, on remanie les grilles, on « remercie » – fâcheuse expression pour désigner exactement le contraire ! – animateurs, producteurs, très connus ou anonymes. C’est la loi du genre, tout est dans la manière (ou pas), et avec les réseaux sociaux, impossible de garder longtemps le secret. Parfois une rumeur habilement instrumentée – la disparition programmée des « Guignols de l’info » – empêche un funeste projet de se réaliser.

Et puis il y a les vraies disparitions, celle de Dominique Jameux, l’une des voix historiques de France Musique, est une triste coïncidence.

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J’avais évoqué Dominique et son dernier ouvrage dans ce billet : https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/10/18/des-livres-de-musique/

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Mais comme il n’eût pas supporté un hommage univoque (c’est la mode aujourd’hui, les morts sont soudain parés de toutes les vertus, cf. Charles Pasqua !), je lui dois, et je dois à la vérité, de rappeler quelques épisodes de notre vie partagée à France Musique (entre l’été 1993 et le début 1999). J’étais évidemment très impressionné par Jameux et tous ces producteurs qui avaient nourri mon adolescence et ma jeunesse, devenir d’un coup leur directeur ne m’était pas si aisé. Et pourtant il me fallut faire acte d’autorité et c’est Dominique Jameux qui en fit les frais : l’un des sports très répandus, à l’époque (encore maintenant ?) consistait pour les producteurs et animateurs dûment rémunérés par la chaîne de service public à se répandre « en ville » et de préférence dans les cercles proches du ministère de la Culture, en critiques de tous acabits sur la présidence, la direction, l’entreprise – Radio France – qui les employait. Critiques ad hominem le plus souvent.

J’ai toujours pensé (mais je suis resté un grand naïf) que la critique est nécessaire et utile en interne, au sein d’une équipe, mais qu’elle est non seulement déontologiquement discutable mais surtout contre-productive à l’extérieur de l’entreprise.

On m’avait rapporté que Dominique Jameux n’était pas le moins bavard ni le moins percutant pour critiquer France Musique. Je l’invitai donc un jour pour lui dire ma façon de penser et lui demander, à lui et ses collègues, de cesser ce « sport ». Il en convint, et de ce jour-là, nos rapports furent empreints d’une cordialité, d’un respect et d’une admiration réciproques, qui nous permirent, à lui comme à moi, de faire évoluer en douceur le contenu, la nature, les horaires des émissions qui lui étaient confiées.

Dans une autre vie, j’aurais bien vu Dominique en frère supérieur d’un couvent normand, la rondeur parfois jésuitique, la gourmandise de la lèvre et du regard, la dévotion jalouse à quelques dieux qui avaient noms Bach, Berg ou Boulez

En même temps que j’apprenais le décès de Dominique Jameux, j’ouvrais un coffret – un de plus pensais-je à tort – qui est tout simplement une renaissance, une redécouverte, grâce à un remarquable travail éditorial, du légendaire Arturo Benedetti Michelangeli

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Le legs EMI déjà réédité dans la collection Icon

71K0+Ar993L._SL1417_mais surtout dans un son considérablement amélioré, même si la technique ne réussit pas tous les miracles sur des enregistrements précaires, des bandes naguère disséminées, et surtout un récital de mars 1957 au Royal Festival Hall de Londres, tout simplement prodigieux, hallucinant de prises de risques parfaitement assumées. Où l’on constate, une fois de plus, que les légendes ne naissent pas d’un coup de marketing…

Le choc des géants

Impossible d’imaginer personnalités plus dissemblables que les deux chefs autrichiens qui ont marqué la seconde partie du XXème siècle : Karl Böhm (1894-1981) et Herbert von Karajan (1908-1989).

Il n’est que de comparer les deux baguettes à l’oeuvre dans l’ouverture de Fidelio de Beethoven. Les enregistrements sont contemporains (juste avant le bicentenaire de la naissance du compositeur en 1970). L’énergie, la tension, le feu chez l’aîné, une étrange mollesse, un alanguissement incompréhensible chez le chef à vie de Berlin.

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https://www.youtube.com/watch?v=Plei2xfCx5A

L’un et l’autre ont fait l’objet de la part de leur éditeur historique, Deutsche Grammophon, de somptueuses rééditions.

Les détails à lire :

http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2015/06/20/faut-il-etre-sexy-pour-etre-un-grand-chef-8459352.html

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http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2015/06/27/karajan-bouquet-final-8462677.html

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