Les discours du président

Tout le monde s’accorde à reconnaître que l’allocution d’Emmanuel Macron – regardée par près de 25 millions de téléspectateurs – ce jeudi soir a été de haute tenue, convaincante et rassurante pour deux tiers des Français. Je partage cette opinion, même si je trouve toujours le président de la République trop long, usant de la répétition, comme s’il avait du mal à conclure. Je crois savoir que sa propre épouse lui en fait souvent le reproche…

Le hasard fait  que j’ai commencé, il y a quelques jours, la lecture d’un ouvrage qui n’est pas parti pour devenir un bestseller, dont l’auteur m’était inconnu, et qui s’avère exceptionnellement riche en informations, puisant aux meilleures sources.

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« On les appelle  » les plumes « . Elles vivent recluses au cœur du pouvoir. Elles écrivent les discours des présidents et des grandes figures politiques. Elles trouvent les mots qui pourraient marquer l’Histoire, et les formules qui feront date. Qui sont-elles ? Comment les interventions des puissants se préparent-elles ? Cette enquête raconte les arcanes de la politique et les dessous de la Ve République, au travers de l’art oratoire.
Comment Emmanuel Macron a-t-il changé sa façon d’écrire et de dire les discours après la crise des  » gilets jaunes  » ? Comment Nicolas Sarkozy a-t-il réagi quand, au moment de prononcer son intervention au pupitre, il en manquait encore des pages ? Pourquoi 106 versions ont-elles été nécessaires à l’allocution télévisée d’au revoir de Jacques Chirac ?
Le lecteur pénètre dans la fabrique des discours et assiste à de drôles de séances de relecture dans le Salon vert de l’Elysée. Des batailles homériques éclatent entre des conseillers qui se disputent sur les expressions à placer dans la bouche d’un Président. Certains discours ont changé la société et la vie de leur orateur. Mais on découvre aussi des plagiats, des interventions ratées ou écrites dans la tempête. Et même des discours rédigés mais jamais prononcés, comme celui d’un candidat à la présidentielle hésitant à se retirer avant de se raviser. Ces textes ont été dits au Vel’ d’Hiv, devant la Knesset ou au Bundestag. Ils ont rendu hommage à des victimes d’attentats, à des figures de l’Histoire ou à Johnny Hallyday. Ils ont dénoncé  » le monde de la finance  » ou proclamé que l’Homme Africain n’était  » pas assez entré dans l’Histoire « . Ils ont annoncé l’abolition de la peine de mort, la déchéance de nationalité, la dissolution de l’Assemblée ou des adieux à la politique.
Les  » plumes  » ont accepté de témoigner sans masque, comme la plupart des grandes personnalités politiques. Certains discours sont devenus des moments d’Histoire. Tous ont une histoire. » (Présentation de l’éditeur).

Pour qui est passionné d’histoire contemporaine (quelques billets de ce blog en témoignent !), cette incursion dans les coulisses de la parole présidentielle, la somme de témoignages récoltée auprès des plus proches collaborateurs des présidents de la Vème République, constituent un document de première importance. On sait gré à l’auteur de n’avoir aucune approche partisane. Certains découvriront, sans doute, des aspects peu connus, parfois contraires à l’image publique que certains présidents ont donnée d’eux (c’est le cas en particulier pour Chirac ou Hollande).

Habilement, Michaël Moreau ne procède pas par ordre chronologique, mais ouvre son livre sur l’actuel président.

J’ai reconnu, parmi ces « plumes » des personnages que j’ai parfois eu la chance d’approcher et de connaître. Je me suis rappelé aussi mes premières années professionnelles, où, à un niveau bien plus modeste, j’ai prêté ma plume à tel sénateur, tel député ou responsable politique.

Un souvenir particulier me revient, en lien avec mon papier d’avant-hier (Prétention)

J’ai travaillé quelques semaines, début 1978, auprès de Jean Lecanuet, alors président du parti centriste, le CDS, comme chargé d’études.

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Je devais fournir à celui qui avait été un candidat remarqué à l’élection présidentielle de 1965 des fiches, des argumentaires sur quantité de sujets. Nous étions à la veille d’élections législatives cruciales.

Georges Chérièrele fondateur et alors directeur de Diapason, avait engagé une campagne pour obtenir la baisse du taux de TVA sur le disque, qui était taxé à 33% comme un produit de luxe ! Il avait demandé audience à tous les présidents de parti. J’avais conseillé à Jean Lecanuet, l’un des principaux responsables de la majorité sortante, de le recevoir… et de faire droit à sa demande. Lecanuet ,que je n’avais pas entendu porter un intérêt particulier à la culture, a fortiori au disque, tout agrégé de philosophie qu’il fût, reçut Chérière en ma présence (j’avais 22 ans !), le convainquit au-delà de ce que j’imaginais. Résultat dans le numéro suivant de Diapason : la prise de position de Jean Lecanuet était mise à la une, tant elle rompait avec le discours de la droite. Chérière avait été séduit, et ne se cachait pas pour le dire… Il faudra cependant attendre 1987 pour que la TVA sur le disque passe de 33% à 18,6%… mais je me suis dit que, peut-être, le conseil d’un modeste chargé d’études, neuf ans plus tôt, n’y avait pas été étranger…

Orgues, lapins et merveilles

Deux sujets qui n’ont vraiment rien à voir l’un avec l’autre, sauf peut-être l’anecdote qu’a livrée Mathieu Gallet hier soir lors de la cérémonie d’inauguration officielle du grand orgue de l’Auditorium de la Maison de la radio.

13166016_10153639226327602_6390561583870009807_n(Michel Orier, directeur de la musique et de la création culrurelle et Mathieu Gallet, président de Radio France, coupent le ruban symbolique de la console du grand orgue).

Le PDG de Radio France raconte que, membre du cabinet de la ministre de la Culture de l’époque, Christine Albanel, il avait reçu en 2007 Jean-Paul Cluzel, son prédécesseur à la tête de la Maison ronde, venu plaider la cause d’un grand orgue à installer dans le futur Auditorium. Jean-Paul Cluzel qui se trouve être le parrain de la fille aînée d’Alain Juppé, dont il sera question plus loin dans ce billet !

Alors ce très grand instrument conçu et construit par les équipes de Gerhard Grenzing ? On l’aura finalement inauguré avec seulement 18 mois de retard sur le calendrier prévu, calendrier que j’avais découvert à mon arrivée à la direction de la musique de Radio France en juin 2014 et qualifié aussitôt d’illusoire, instruit par l’expérience de la rénovation et de la réinstallation des grandes orgues Schyven de la Salle philharmonique de Liège. Ce que peu de gens savent – et je ne l’ai personnellement appris qu’au contact des facteurs d’orgue qui ont travaillé sur le projet liégeois – c’est que, malgré toutes les technologies modernes, un orgue doit être harmonisé tuyau par tuyau, dans un calme absolu. On peut imaginer le casse-tête que cela a été – plus de 5000 tuyaux ! – dans le cadre d’une part de l’ouverture de l’Auditorium (et de son fonctionnement à plein régime) d’autre part du chantier de réhabilitation de Radio France qui n’en finit pas…

Mais voici donc que nous découvrions enfin la palette de sonorités d’un grand instrument finalement bien accordé à l’intimité de l’Auditorium de la Maison de la radio. Contraste saisissant avec celui de la Philharmonie de Paris !

Quel dommage qu’on ait dû subir un programme inaugural aussi peu tourné vers le public néophyte, qui ne respirait que trop peu l’esprit de fête qui eût du présider à cette soirée !

Rien à voir avec ce qui précède, mais l’anecdote Cluzel me donne l’occasion d’évoquer un bouquin qui a été le compagnon virtuel de mes voyages récents. J’ai hésité à le télécharger, après vu brièvement son auteur, un peu bobo fofolle, faire sa promo à la télévision. Et puis je dois reconnaître que j’ai craqué, et que ce Lapins et Merveilles est un OVNI dans le domaine du livre politique.

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Il y avait déjà eu Yasmina Reza qui avait suivi le candidat Sarkozy en 2007, Laurent Binet François Hollande en 2012, et leurs récits ne manquaient ni d’intérêt ni de (im)pertinence.

Ici on est dans autre chose, Alain Juppé n’est pour le moment que candidat à la primaire de la droite, et Gaël Tchakaloff, sous une apparente désinvolture, parvient à révéler au grand jour une personnalité qui répugne tant à se livrer aux journalistes que c’en est devenu une marque de fabrique. Le plus surprenant c’est que le lecteur n’est jamais dans la position du voyeur ou de l’amateur d’anecdotes croustillantes, alors que le bouquin fourmille de mille faits et gestes. La blonde journaliste nous embarque dans son aventure, dont elle ne nous cache rien, les hauts, les bas, les coups de cafard, avec un authentique talent de plume d’abord, et une connivence bienfaisante avec son sujet autant qu’avec son lecteur… Chapeau !