Abbado, Karajan, les lignes parallèles

La mort de Claudio Abbado n’en finit pas de secouer le monde musical, et sur Facebook les souvenirs, les anecdotes, les témoignages se multiplient. Lorsque Sylvain Fort demande, avec son habituelle fausse naïveté, quels disques d’Abbado on préfère, il sait que les réponses ne vont pas être unanimes, et que la question même suscite le débat…

J’ai malheureusement peu de souvenirs personnels de concerts dirigés par Claudio Abbado. Deux ou trois seulement, à Paris, une fois à la Cité de la Musique, une autre.. au Cirque d’hiver (une chaleur étouffante, et le Gustav Mahler Jugendorchester si ma mémoire ne me fait pas défaut). Des symphonies de Haydn pétillantes, mais pas très creusées, un 3e concerto pour piano de Beethoven avec la toute menue mais épatante Maria Joao Pires… Maigre bilan donc, mais finalement pas étonnant pour quelqu’un comme moi qui n’a jamais cédé à une sorte d’Abbadomania !

Sur le legs discographique du chef italien j’en ai déjà beaucoup dit (https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/01/20/lheritage-abbado/),

Mais, à bien y regarder, il y a plus d’un parallèle à faire entre Claudio Abbado et son prédécesseur légendaire à la tête des Berliner Philharmoniker, Herbert von Karajan. 

Morts au même âge – dans leur 81eme année – après des années de maladie et de souffrance, ils ont l’un et l’autre soigneusement construit et cultivé leur image, beaucoup enregistré (trop ?), Et l’un comme l’autre – c’est mon point de vue ! – ont laissé d’incontestables réussites là où on ne les attendait pas, et ne sont pas  toujours des références dans les répertoires qui leur étaient a priori les plus familiers.

Dans le symphonique, malgré plusieurs intégrales, ni Karajan ni Abbado ne sont mes « indispensables » dans Beethoven, Brahms ou Dvorak. En revanche, ils ont gravé d’admirables Tchaikovski, laissé d’inégales réussites dans Mahler et Bruckner, compris mieux que des natifs les sortilèges de Debussy et Ravel. Dans Mozart et Haydn, l’un et l’autre privilégiaient l’allure, la beauté plastique, et la manière de « retour aux sources » opérée par Abbado avec son orchestre Mozart cette dernière décennie ne m’a jamais vraiment convaincu.

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Dans la discographie de Karajan, ce sont les « hors piste » les plus intéressants : le coffret consacré au trio Schönberg/Berg/Webern, la 4e symphonie de Nielsen, la 5e symphonie de Prokofiev, la 10e symphonie de Chostakovitch (deux fois), et bien sûr les symphonies de SIbelius.

Chez Abbado, on doit rappeler la meilleure intégrale, la plus fiévreusement romantique, des symphonies et ouvertures de Mendelssohn :

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Mais ce qui, toujours dans le répertoire symphonique, rassemble les deux anciens « patrons » de l’orchestre philharmonique de Berlin, ce sont des Mahler et des Bruckner transfigurés par l’épreuve de la maladie, Abbado avec l’orchestre du festival de Lucerne qu’il avait ressuscité, Karajan avec les Viennois. Témoignages absolument admirables heureusement disponibles en DVD.

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Je reviendrai dans un prochain billet sur les parallèles entre Abbado et Karajan dans le domaine de l’opéra.

Pour l’heure, je retiens de Claudio Abbado un double enregistrement qui n’est sans doute pas ce qui viendrait immédiatement à l’esprit de qui voudrait citer une « référence » de ce chef : la 1ere symphonie de Bruckner. L’une de ses toutes premières gravures dans les années 60 avec Vienne, et l’une des dernières avec Lucerne – qu’on trouve l’une et l’autre séparément ou en coffret.

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L’île mystérieuse

J’ai besoin de l’aide de mes lecteurs pour élucider un mystère. Oh pas l’un de ces mystères qui ferait la une des médias people, ni même un articulet dans un journal sérieux… C’est d’ailleurs bien pour cela que je ne suis pas parvenu à résoudre l’énigme !

Il s’agit d’un tableau parmi les plus célèbres qui soient :

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L’île des morts est sans doute la toile la plus connue du peintre suisse Arnold Böcklin (1827-1901) et une parfaite représentation du courant symboliste en peinture.

Selon les informations que j’ai trouvées, elle a existé en cinq versions différentes : deux datant de 1880 conservées l’une au Kunstmuseum de Bâle, l’autre au Metropolitan Museum de New York (où je l’avais déjà vue), une troisième en 1883 exposée à la Alte Nationalgalerie de Berlin, une quatrième détruite pendant le bombardement de Rotterdam en 1944, la dernière de 1886 se trouvant au Museum der bildenden Künste de Leipzig.

Et pourtant c’est bien cette même Île des morts de Böcklin que j’ai vue et photographiée à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg. J’ai peine à croire qu’une oeuvre aussi connue ne soit pas répertoriée, ni mentionnée parmi les trésors du musée russe. Alors un prêt ? un achat ? un transfert ? La réponse viendra-t-elle de et sur ce blog ?

En attendant, les mélomanes savent que le chef-d’oeuvre de Böcklin en a inspiré un autre à Rachmaninov, un poème symphonique composé et créé en 1909 à Moscou. Mais pas seulement à Rachmaninov ! En 1913, Max Reger (1873-1916), compose une extraordinaire suite de Vier Tondichtungen nach Böcklin (Quatre poèmes symphoniques d’après Böcklin). L’ïle des morts en constitue le 3e mouvement. La proximité entre les oeuvres de Rachmaninov et Reger est aussi saisissante qu’inattendue !

Au disque, relativement peu de versions de ces deux chefs-d’oeuvre symbolistes, mais de premier plan.

Pour Reger, on cherchera en priorité la magnifique vision du grand Hans Schmidt-Isserstedt et de son orchestre hambourgeois, on trouvera aussi la belle version de Heinz Bongartz dans le coffret Brilliant Classics à tout petit prix.

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Pour Rachmaninov, le souffle extraordinaire de Fritz Reiner reste une référence absolue, tandis que Svetlanov et Jansons exaltent la puissance symphonique de l’oeuvre.

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La musique classique en 100 CD

Je râle assez contre les majors quand elles prennent leurs clients pour des gogos, pour ne pas saluer haut et fort une initiative qui me paraît particulièrement heureuse à l’approche des fêtes de fin d’année.

Il paraît que naguère les gros coffrets d’intégrales Mozart (en 170 CD !), Beethoven, Bach se sont vendus comme des petits pains, à des milliers d’exemplaires. Je me demande bien qui, parmi tous ces acheteurs attirés par le prix et l’aubaine, a écouté ne serait-ce que le dixième de ces coffrets.

Deutsche Grammophon vient de faire beaucoup plus intelligent : L’histoire (j’aurais préféré « une histoire ») de la musique classique en 100 CD ( pour à peine plus d’un euro le CD) – pour le détail complet des oeuvres et des interprètes cliquer sur : http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2013/11/13/100-cd-pour-la-musique-classique-7985357.html.

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Les puristes auront vite fait de repérer les noms manquants ou de critiquer les interprétations choisies, un peu fond de catalogue il est vrai. Mais le panorama est bien dessiné, de Guillaume de Machaut à Philip Glass. Et surtout pas de saucissonnage des oeuvres symphoniques ou concertantes, certes les grands oratorios ou opéras en extraits. Et la crème du catalogue de la célèbre marque jaune : Böhm, Karajan, Abbado, Kubelik, Kleiber, Kempff, Gilels, Milstein, Pinnock, Goebel, Boulez, Berlin et Vienne en écrasante majorité.

Le néophyte comme le mélomane confirmé n’y trouveront que de l’excellent. Highly recommended comme on dirait chez nos voisins !

Les sans-grade (III) : Martin Turnovsky

Quand il faut citer de grands chefs tchèques, ce sont toujours les noms de Vaclav Talich, Karel Ancerl ou Vaclav Neumann qui reviennent. Quasiment jamais celui de Martin Turnovsky, né à Prague le 28 septembre 1928. Parcours classique pourtant pour le jeune assistant de Karel Ancerl à la Philharmonie tchèque : à 30 ans, il remporte le 1er Prix du Concours de jeunes chefs d’orchestre de Besançon, durant une décennie il fait ses armes dans la plupart des phalanges tchèques, à Brno, Plsen, à la radio de Prague, mais le prometteur « chef qui monte » imite son aîné Karel Ancerl et fuit Prague à l’arrivée des chars soviétiques en 1968. Il demande et obtient l’asile politique en Autriche, mais, allez savoir pourquoi, sa carrière ne prendra jamais l’envol international que son talent aurait mérité.

On en est donc réduit à quelques disques épars, et récemment à un double album Supraphon, pour mesurer la force d’une personnalité authentique.

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Les sans-grade (II) : Constantin Silvestri

Voilà une figure bien oubliée de la direction d’orchestre. N’était un beau coffret publié par EMI dans la collection Icon, le centenaire de la naissance de Constantin Silvestri, le 31 mai 1913 à Bucarest, serait passé complètement inaperçu. Emporté à 55 ans par un cancer – il meurt à Londres en 1969 – ce personnage n’avait pourtant rien qui puisse laisser indifférent (http://en.wikipedia.org/wiki/Constantin_Silvestri). Malgré la brièveté, à peine dix ans, de sa carrière occidentale, essentiellement en Grande-Bretagne, il a laissé un legs discographique qui nous laisse frustré de tous les disques qu’il n’a pas faits !

Toujours dans la prise de risque, dans l’audace, le mouvement, comme s’il réinventait l’oeuvre qu’il dirige, Silvestri est à mille lieues de tous ses collègues formatés, propres et sages. Inutile de dire que j’adore…

Un coffret à acquérir d’urgence et à déguster sans modération (entre autres une bouleversante « Pathétique » de Tchaikovski où il fait sortir de leurs gonds les Wiener Philharmoniker !)

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Les sans-grade (I) : Otmar Suitner

Pendant cette semaine loin de l’actualité européenne, je veux consacrer quelques billets/portraits à tous ces chefs d’orchestre qui ont fait les beaux jours de l’industrie phonographique triomphante, qui ont bien servi la musique, et qui ne sont jamais ou si peu cités dans les dictionnaires des interprètes. Bref, des musiciens qui n’ont jamais recherché (ou à qui on n’a jamais autorisé) la notoriété internationale, mais qui n’en sont pas moins talentueux, voire exceptionnels.

Ainsi, premier de notre liste, le chef autrichien Otmar Suitner, né en 1922 à Innsbruck, mort en 2010 à Berlin. Dès 1990, Suitner, atteint de la maladie de Parkinson, avait dû renoncer à sa carrière.

Etrange destinée musicale et personnelle : sans jamais avoir épousé les idées du régime, Otmar Suitner fait l’essentiel de sa carrière en RDA, dirigeant à peu près toutes les phalanges de renom de l’ex-Allemagne de l’Est. Mais son passeport autrichien lui permet de diriger régulièrement à l’Ouest…et de fonder et entretenir deux familles, l’une à l’Est, l’autre à l’Ouest de Berlin (lire http://de.wikipedia.org/wiki/Otmar_Suitner) !

J’ai un seul souvenir « live » de ce chef. Il avait été invité à la fin des années 80 à diriger l’Orchestre de la Suisse Romande à Genève. Une symphonie de Schubert je crois et surtout la très rare – au concert – 1ere symphonie de Bruckner. Je m’étais glissé dans le studio Ansermet de la maison de la Radio à Genève, où avaient lieu les répétitions. Et ce que je vis me stupéfia : un chef muet à son pupitre, pas un mot, rien, le silence. Lorsqu’il avait une remarque à faire, il se déplaçait jusqu’au musicien ou au pupitre concerné et chuchotait en des termes inaudibles pour le reste de l’orchestre. Inutile de dire que le procédé s’avéra diablement efficace et que le résultat au concert fut grandiose !

Otmar Suitner a heureusement beaucoup enregistré, trop peut-être, car tout n’est pas de la même eau. Je trouve ses Mozart et Beethoven très bien joués, superbement enregistrés (les studios et les ingénieurs du son de l’ex-VEB ont toujours eu le chic pour des prises de son exceptionnellement « naturelles », aérées), mais avec trop peu d’aspérités à mon goût. En revanche, ses intégrales des symphonies de Brahms et de Dvorak sont dans le peloton de tête de mes références pour ces oeuvres. Ardent promoteur de Reger, Hindemith, Paul Dessau, cultivant aussi brillamment la muse plus légère de ses origines, Strauss et Suppé, on trouve aisément les enregistrements d’Otmar Suitner, souvent à tout petit prix, sur ITunes.

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