Carl le Grand

Tout juste commandé (sur un site allemand, parce que nettement moins cher qu’en France!) et reçu à mon retour de Montpellier, avant un week-end sous couvre-feu, un copieux coffret – 30 CD – dédié à l’un des plus grands chefs d’orchestre du XXème siècle, Carl Schuricht (1880-1967)

On ne manquait pas de témoignages plus ou moins officiels, plus ou moins bien documentés, de l’art d’un chef qu’on pourrait qualifier d’anti-Furtwängler, si l’on cédait à la tentation du cliché ! Sveltesse, arêtes affutées, élan vital, pureté des lignes, c’est ce qu’on aime depuis toujours dans des Beethoven et des Bruckner qu’on place très haut dans son panthéon personnel.

Je tiens en particulier sa Neuvième de Bruckner, captée dans le son glorieux des Viennois au début des années 60, pour un modèle : écouter le début du Scherzo pour se rendre compte de ce qu’est un 3/4 viennois – appui sur le premier temps, allègement de la masse sonore – alors qu’on entend si souvent, et sous les plus illustres baguettes, le défilé d’une Panzerdivision.

La discographie officielle de Schuricht a été complétée au fil des ans chez Decca.

ou rassemblée par Scribendum dans un coffret assez inégal, non pas dans l’interprétation, mais à cause de prises de son ou de reports médiocres.

Le nouveau coffret SWR Classic (voir les détails du contenu en fin d’article) restitue, dans des conditions idéales – des bandes radio transfigurées par une remasterisation admirable – la modernité de l’approche musicale d’un chef déjà dans son grand âge, entre 1950 (il avait 70 ans) et 1966 un an avant sa mort à l’âge de 87 ans.

On y retrouve du connu, dans l’exaltation du concert : une quasi-intégrale des symphonies de Beethoven, les quatre symphonies de Brahms, une 5ème de Schubert, où le style Schuricht apparaît en pleine lumière. Le chef allemand ne confond jamais vitesse et précipitation, il adopte même souvent (écouter les débuts de la Pastorale et de la 5ème de Schubert) des tempi « relaxed » comme le disent nos amis britanniques, et pourtant quelle énergie dans l’articulation, les phrasés, quelle carrure rythmique dans tous les mouvements. Quelle splendeur que la 2ème symphonie de Brahms captée en public en 1966 !

Beaucoup de pépites dans ce coffret : je ne connaissais pas Schuricht dans Mahler ! Deux formidables versions de la 2ème et de la 3ème symphonies.

Les Mozart de Schuricht sont ici plus idiomatiques que les six dernières symphonies qu’on lui fit graver pour La Guilde du disque avec l’orchestre de l’opéra de Paris en 1960. Et entendre Elisabeth Schwarzkopf, Fritz Wunderlich, et surtout une Clara Haskil déchaînée dans le Jeunehomme et le 19ème concerto !

Des raretés aussi : Liszt, Tchaikovski (Hamlet), Debussy, Reznicek (une superbe oeuvre pour baryton et orchestre) quelques compositeurs allemands du XXème siècle qui n’ont pas laissé une trace impérissable.

Beethoven: Symphonies 1,3,4,5,6,7,9; Coriolan-Ouvertüre op. 62
Mozart: Symphonies 28, 35, 40, concertos piano 9 & 19 (Clara Haskil); Konzertarie KV 419; Arie « Porgi, amor » Le Nozze di Figaro KV 492 (Elisabeth Schwarzkopf); Bildnisarie Die Zauberflöte KV 620 (Fritz Wunderlich)
Brahms: Symphonies 1-4 (extraits de répétition de la Symphonie n° 2; Ein deutsches Requiem op. 45; Schicksalslied op. 54; Nänie op. 82; Alt-Rhapsodie op. 53; Tragische Ouvertüre op. 81
Schubert: Symphonie 5
Bruckner: Symphonies 4, 5, 7, 8, 9
Mahler: Symphonies 2 & 3
Haydn: Symphonies 86, 95, 100, concerto violoncelle ré M (Enrico Mainardi) 
Schumann: Symphonies 2 & 3; Manfred-Ouvertüre op. 115; Ouvertüre, Scherzo & Finale op. 52
Richard Strauss: Alpensymphonie op. 64; Guntram-Ouvertüre op. 25; Sinfonia domestica op. 53
Liszt: Ce qu’on entend sur la montagne
Bruch: Concerto violon 1
Reger: Mozart-Variationen op. 132; Hiller-Variationen op. 100
Debussy: La Mer 
Mendelssohn: Die Hebriden-Ouvertüre op. 26; Le songe d’une nuit d’été extraits; Meeresstille und glückliche Fahrt Ouvertüre op. 27
Wagner: Extraits de Tristan und Isolde, Parsifal, Götterdämmerung; Siegfried-Idyll (inkl. Proben zu Parsifal)
Grieg: En automne 
Reznicek: Thema & Variationen für Bariton & Orchester; Donna Diana-Ouvertüre
Pfitzner: Das Käthchen von Heilbronn-Ouvertüre op. 17
Weber: Euryanthe-Ouvertüre
Wolf: Italienische Serenade G-Dur
Tchaikovski: Hamlet
Oboussier: Concerto violon Volkmann: Richard III-Ouvertüre op. 68 Blacher: Concertante Musik op. 10 für Orchester Goetz: Concerto violon Raphael: Sinfonia breve op. 67

Musikverein 150 (II) : Les variations de Solti

 

Comme je l’écrivais dans un précédent billet (voir Musikverein 150), j’ai assez souvent fréquenté la célèbre salle de concert viennoise et j’y ai des souvenirs très vivaces de grands moments de musique.

Ainsi, en avril 1996 – j’étais alors directeur de France Musique – j’avais eu la chance de rejoindre à Vienne l’Orchestre philharmonique de Radio France qui faisait une tournée en Europe centrale sous la houlette de son directeur musical, Marek Janowski.

C’était la première fois que j’entrais au Musikverein, que je pouvais assister à un concert « en vrai » dans la grande salle dorée, que je connaissais si bien par la télévision et les concerts du Nouvel an.

J’avais été frappé par l’étroitesse de la scène – qui, même en configuration « grand orchestre » laisse peu d’espace aux musiciens – et l’usure de son plancher (des centaines de marques de piques de violoncelle). Mais j’avais surtout été saisi par la fabuleuse acoustique du lieu, la plénitude, l’ampleur du son de l’orchestre – quel changement par rapport à l’ancien studio 104 de la Maison de la radio et surtout à la sécheresse du théâtre des Champs-Elysées de l’époque ! –

Je dois avouer que je n’ai gardé aucun souvenir ni du programme ni de l’interprétation de Janowski et du « Philhar »…

En revanche, je n’ai pas pu oublier l’un des derniers concerts de Georg Solti qui dirigeait, le lendemain, l’Orchestre philharmonique de Vienne, dans un programme étonnant, bien loin des habitudes si conservatrices des concerts d’abonnement des Philharmoniker :  trois cycles de Variations, et pas vraiment les plus courues au concert ! De Kodaly, les Variations sur un chant populaire hongrois Le paon s’est envolé (1939), de Boris Blacher les Variations sur le 24ème Caprice de Paganini (1947), et d’Elgar les Variations Enigma (1899).

 

J’étais placé en haut à gauche sur la tribune et pour la première fois j’entendais « à domicile » mon orchestre préféré, ces Wiener Philharmoniker, dont la personnalité sonore est si immédiatement identifiable. Et je voyais pour la dernière fois le chef anglais qui allait disparaître un an plus tard.

Il n’existe pas, à ma connaissance, de captation vidéo de ce concert. Mais ce programme a été gravé au disque.

28945285320

On trouve relativement peu de vidéos de Solti avec les Viennois, avec qui pourtant la relation a été si féconde et durable.

Blacher et Kodaly étaient des premières au disque pour Solti.

Mais il avait bien sûr déjà enregistré les Variations Enigma d’Elgar à deux reprises (à Londres et à Chicago). Cette ultime version viennoise est teintée d’une nostalgie, d’une tendresse, qui n’ont pas toujours été la marque du chef.