Des morts vivants

La chronique mortuaire est l’une de celles qui ne risque pas de tarir. J’évite pourtant de faire de ce journal un obituaire.

Deux disparitions cette semaine qui marquent plus que d’autres. Mais l’art d’une interprète comme Jeanne Lamon, l’artisanat d’un éditeur comme René Gambini demeurent bien vivants.

Jeanne Lamon (1949-2021)

C’est un nom que les discophiles comme moi connaissaient depuis longtemps, mais on doute que sa disparition ait ému le monde musical européen : Jeanne Lamon, violoniste, cheffe d’orchestre canadienne, associée à l’ensemble Tafelmusik de Toronto, est morte à 71 ans le 20 juin dernier. C’est grâce à elle – même si elle partagea la direction de l’ensemble avec Bruno Weil – que s’est constituée une formidable discographie.

René Gambini

(Le couple Gambini, René et Suzanne, créateurs du label Lyrinx)

La disparition, mardi dernier, à 86 ans de René Gambini signe la fin d’une histoire, aussi féconde que romanesque, celle de ces couples d’artisans du disque – une spécificité française ? – qui ont forgé les catalogues les plus originaux de ces soixante-dix dernières années : Michel et Françoise Garcin pour Erato,

Eva et Bernard Coutaz pour Harmonia Mundi, et les Marseillais Suzanne et René Gambini pour Lyrinx

Le label est fondé en 1976 par René Gambini2 par un premier disque, La Nuit transfigurée de Schönberg, interprété par les Solistes de Marseille.

Le label s’est fait rapidement connaître au Japon et aux États-Unis par des prises de son naturelles, sans artifice, utilisant deux microphones et une électronique à tubes spécifiquement construite pour les besoins du label, dans des conditions de concert public.

Dans les années 1980 Lyrinx a attendu autant que possible avant d’abandonner le vinyle et de passer au format CD, la technologie de ce dernier n’étant selon nombre de spécialistes pas aboutie.

En 1998, à la suite de la présentation par Sony, dans les studios d’Abbey Road, du nouveau support numérique Super Audio CD (SACD) basé sur la technologie de numérisation Direct Stream Digital (DSD), Lyrinx s’est vu mettre à sa disposition du matériel expérimental, afin de le tester… le label réalise alors tous ses enregistrements en DSD stéréo depuis 1998, et en DSD « multichannel » (surround) depuis janvier 2001, devenant ainsi le premier éditeur français à utiliser cette technologie, et l’un des tout premiers dans le monde.

Lyrinx, c’est surtout pour les mélomanes, amateurs de beau piano, que nous sommes, une famille d’artistes, surtout des pianistes, réunie par Suzanne et René Gambini. La fidélité à des personnalités originales, singulières.

Parmi tous ces artistes, une tendresse particulière pour la si regrettée Catherine Collard (1947-1993) et ses Schumann d’anthologie, plusieurs ont fait les beaux soirs ou vont faire ceux l’été prochain du Festival Radio France, Muza Rubackyte, Vittorio Forte, Ingmar Lazar..

Le printemps

La Tribune des critiques de disques de France Musique avait mis à l’honneur ce dimanche Beethoven et l’une de ses oeuvres les plus célèbres : sa 5eme sonate pour violon et piano dite « Le printemps« .

http://www.francemusique.fr/emission/la-tribune-des-critiques-de-disques/2014-2015/sonate-violon-piano-printemps-beethoven-10-05-2014-20-30

Excellente idée de faire le point sur la surabondante discographie de cette sonate, qui est toute allégresse, bonheur simple, tournée vers Haydn et Mozart. Le risque ou le piège d’une écoute morcelée, à l’aveugle, qui est le propre de ce genre de tribune, est de détruire les mythes, d’abîmer les versions dites « de référence ». En l’occurrence, tel n’a pas été le cas, et on a plutôt aimé redécouvrir une version qui avait fait sensation à sa parution il y a 40 ans : Perlman/Ashkenazy.

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J’imagine que Jérémie Rousseau a reçu quantité de messages de protestation : pourquoi n’avoir pas retenu, ou avoir oublié telle ou telle version légendaire, ou toute récente ? Les mélomanes, et cette espèce particulière de mélomanes que constituent les discophiles, ont leurs exigences, leurs préférences, leurs propres références !

Pour compléter le beau panorama offert par la dernière Tribune, quelques-unes de mes versions favorites.

La toute récente intégrale des sonates pour violon et piano de Beethoven captée en concert au Wigmore Hall de Londres par un duo qui fonctionne à merveille, Alina Ibragimova et Cédric Tiberghien

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Après sa légendaire partenaire Clara Haskil, Arthur Grumiaux a réenregistré six des dix sonates pour violon et piano de Beethoven avec Claudio Arrau (en 1975/1976). Cet enregistrement nous a été restitué dans la collection Eloquence. Un grand duo !

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Dans les grands anciens, impossible de passer à côté du charme et du rayonnement solaire de deux de nos plus grands violonistes français, Christian Ferras et Zino Francescatti (et de leurs formidables partenaires respectifs, Pierre Barbizet et Robert Casadesus)

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