J’avais déjà écrit ici, en février 2014 un article intitulé : Comment prononcer les noms de musiciens ?
Je constate qu’il est régulièrement et souvent consulté, preuve qu’il doit être de quelque utilité à ceux dont le métier ou la fonction est d’annoncer ou d’énoncer des noms de musiciens aux consonances étrangères.
Je remets l’ouvrage sur le métier à la suite de l’une de ces discussions presque sans fin, née hier d’une remarque humoristique que j’avais « postée » sur ma page Facebook :
« Ce matin je suis gâté sur Radio Classique : après les explications emberlificotées d’Eèèève R. sur Betovêêne, l’ineffable Christian Morin nous gratifie du trio « Deumky » de Dvor-djak et de la valse Norsalbider (pour Nordseebilder) de Strauss….
C’est pas sur France Musique qu’on entendrait ça… »
Pour être tout à fait honnête, Christian Morin a rectifié le tir, sur le conseil de sa chargée de réalisation, et précisé qu’on devait prononcer : « Doum-ki« , malheureusement sans expliquer ce qu’est une dumka.
Dans le fil de discussion sur Facebook, sont intervenus tour à tour, et se répondant l’un à l’autre, un pianiste français polyglotte, Olivier Chauzu, une cantatrice française qui a beaucoup et bien chanté l’allemand, Françoise Pollet, un ancien responsable du Monde et de France Musique, toujours critique musical, Alain Lompech, et un ami cher avec qui j’ai partagé quelques années de radio en Suisse, Pierre Gorjat.
Il en résulte que les usages en matière de prononciation des noms étrangers, sur les chaînes classiques, varient considérablement d’un pays à l’autre : les Allemands mettent un point d’honneur à prononcer parfaitement les noms français, anglais, tchèques, russes et autres, les Grecs apparemment aussi, les Britanniques n’en parlons pas, tout est à la sauce anglaise (De-biou-cey, We-vêl, etc.). Les Suisses romands font un peu comme les Français, mais sous influence germanique : on n’entendra pas sur les ondes helvétiques prononcer Bak pour Bach.
Mais autre chose est apparu dans la discussion, et qui ne concerne plus seulement les interventions des producteurs sur les antennes de radio. Ce que j’ai moi-même – et beaucoup d’autres avec moi- subi pendant mes années scolaires, voire universitaires : le complexe de l’exactitude, qui passe pour un genre, ou du snobisme. Quand je lisais un texte en allemand, ou en russe (les deux langues que j’ai étudiées à l’école), et que je le faisais en respectant les accents, la prononciation, etc… je voyais bien que ça énervait mes petits camarades, je passais pour un fayot.
Que voulez-vous, les Français sont tellement réputés pour massacrer les langues étrangères, les Américains aimaient tellement l’accent si frenchy de Maurice Chevalier, Edith Piaf ou Yves Montand, que bien parler l’anglais ou l’allemand vous fait passer pour un cuistre, et que vous risquez même d’être incompris.
Extrait de mon billet de 2014 :
Par exemple ces quatre lettres ravageuses : ough ! Annoncez Stephen Hough, pianiste, et William Boughton, chef d’orchestre, se produisant à Edinborough, sympathique perspective : ça devrait donner à peu près Stephen Hâââf, William Bôôôton, Edinboro…. Ou si vous dites correctement la ville festivalière chère à Britten, Aldeburgh (Ôld-brâ), il y a des chances que vos auditeurs ne comprennent pas ce dont vous parlez ! Mais rien ne vous oblige à l’affreux et incorrect Yok-chaille pour Yorkshire, Yôôk-cheu fait nettement mieux l’affaire !
Dans ce billet, j’évitais de me prononcer sur les noms espagnols ou portugais, puisque je suis un piètre locuteur de ces idiomes. Au fil du temps, j’ai fini par dire correctement le prénom et le nom de la célèbre pianiste Maria Joao Pires = Maria-Jouan Pire-ch
Nous avons, nous Français, une autre difficulté, qui peut en partie expliquer pourquoi nous sommes si mal placés, et classés, dans notre pratique des langues étrangères : toutes les langues européennes, hors la nôtre, ont une « musique » propre qui tient à l’accentuation différenciée des syllabes à l’intérieur des mots (cf. ce que j’écrivais à propos des noms russes (...il est difficile de prononcer correctement les noms russes si on n’est pas un tant soit peu russophone, les voyelles ne se prononçant pas de la même manière suivant leur place dans le mot et/ou l’accentuation. Ainsi l’adverbe bien ou bon – хорошо, horocho, se dit : ha-ra-chó ! Si, dans un nom, le -ev final est accentué, il se prononce -off. Exemples célèbres : Gorbatchev ou Khrouchtchev se disent : Gorbatchoff ou Khrouchtchoff, mais Gergiev se dit bien Guer-gui-eff !).
Or le français a la particularité de faire toujours porter l’accent sur la dernière syllabe du mot : c’est finI, c’est terminé. Imaginons deux secondes qu’on dise : c’est fini, c’est terminé !
D’ailleurs qu’est-ce qui nous amuse, nous Français « de l’intérieur » si je puis dire, quand nous écoutons nos voisins ou cousins canadiens, suisses ou belges parler français ? On raille gentiment leur « accent », autrement dit le fait qu’ils accentuent différemment les mots, souvent sous l’influence des idiomes anglo-saxons, germaniques en particulier.