Les pièges du français

A1E+zevt7VLJe vérifiais l’autre jour que les ouvrages, dictionnaires, jeux sur le français, la langue française, l’usage du français, n’ont jamais été aussi nombreux à être proposés comme cadeaux pour les fêtes.

C’est le paradoxe de notre époque : plus on abîme notre langue au quotidien, plus on la révère comme objet de musée.

Faisant partie de ceux qui ont l’orthographe « naturelle » – j’avais toujours zéro faute aux dictées à l’école ! – et qui aiment profondément la langue française, je pense depuis longtemps que nos règles sont beaucoup trop complexes et inutiles, qu’il faudrait donc les simplifier précisément pour aider les millions de francophones à mieux la parler.

Les exemples sont légion :

  • le participe passé : on accorde quand le complément d’objet direct est placé avant le verbe, on n’accorde pas quand il est après. Règle inutile, non signifiante ! Qu’on m’explique la différence de sens (et donc la nécessité d’une orthographe différenciée) entre : Madame la boulangère, je vous ai acheté d’excellentes chouquettes l’autre jour / merci pour les excellentes chouquettes que je vous ai achetées l’autre jour !
  • même inutilité dans ce cas de figure : « elle s’est dit en elle-même qu’elle s’était trompée » 
  • espérer/souhaiter : on nous a expliqué dans les précis de grammaire de notre enfance qu’espérer gouverne l’indicatif, parce que l’espérance est une  certitude (c’est même l’un des fondements de la foi chrétienne), et que souhaiter gouverne le subjonctif, puisque le souhait exprime une forme d’incertitude subjective. Cela donne donc : J’espère que vous pourrez venir à mon anniversaire, mais je souhaite que vous puissiez y venir ! Résultat de cette règle idiote : tout le monde écrit maintenant : « en espérant que vous puissiez venir » (mais je n’ai pas encore lu ni entendu : j’espère que vous puissiez venir). Bref encore une complication pour rien !
  • après que doit logiquement être suivi de l’indicatif (puisqu’il s’agit de faits avérés), à l’inverse de avant que qui entraîne le subjonctif de l’incertitude. On devrait donc dire : Après que vous m’avez rendu visite, j’ai pris mes informations avant que j’aille à mon rendez-vous. Cette règle est depuis longtemps obsolète, on lit et on entend couramment « après que vous m’ayez rendu visite« .

On l’a compris, il faut simplifier, sans aucunement dénaturer notre belle langue.

En revanche, il n’y aucune raison de se soumettre à certaines modes, à des mots ou des expressions de pur jargon, qui non seulement n’améliorent pas la compréhension des notions qu’ils désignent, mais appauvrissent notre vocabulaire au lieu d’en exalter les richesses.

Trois exemples courants :

 » La France a un vrai problème avec le chômage de masse » devient, en langue techno-politique : « Le chômage, c’est un sujet« .  – Monsieur le Ministre, que pensez-vous de la baisse des prix du pétrole ?- C’est un sujet en effet…

 » Maintenant un reportage qui vous montre comment les attentats du 13 novembre ont impacté la vie des Français. » Je veux bien répondre éventuellement à une question sur l‘impact que ces événements ont eu sur mon quotidien, en quoi ils m’ont touché, atteint…

En réunion, on présente aux interlocuteurs un projet « à date« . Avec un petit effort, on comprend que c’est la dernière version, la plus actuelle, celle du jour, même si cela va de soi (à quoi bon se réunir pour parler d’un projet obsolète ou dépassé ?).

Bref ce n’est pas demain la veille qu’on réduira les chausse-trapes (eh oui, il ne faut pas écrire chausse-trappes !) de notre bien vivante langue française. En attendant, on peut profiter des fêtes de famille pour s’en amuser…

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Star Wars mais encore ?

Je lis ce matin sur Facebook deux avis très contrastés : « S’il y a quelque chose dont je me fous complètement, c’est bien Star Wars »  et à l’opposé ceci : (http://www.lefigaro.fr/cinema/2015/12/16/03002-20151216ARTFIG00034–star-wars-le-reveil-de-la-force-3-raisons-d-aller-voir-le-film.php).

Malgré le conseil du Figaro je n’irai pas plus voir ce nouvel avatar de la série créée par George Lucas que je n’ai vu les précédents films (si j’ai bien dû, pour ne pas mourir idiot, voir une fois le premier ! mais je n’ai jamais accroché à la science-fiction ni en livre ni au cinéma).

Ce qui m’intéresse évidemment c’est la musique de ces films, au moins aussi célèbre. Programmer un « digest » de Star Wars dans un concert, c’est le succès garanti.

https://www.youtube.com/watch?v=4wvpdBnfiZo

Comme Lawrence d’Arabie ou Le Docteur Jivaro ont fait la réputation (et la fortune) de Maurice Jarre, John Williams est à jamais associé à Star Wars (et E.T. et Harry Potter et Indiana Jones, etc. ). (https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Williams_(compositeur)).

Comme tous les grands compositeurs de musiques de films (Jarre, Herrmann, Francis Lai, Georges Delerue, Alexandre Desplat, Nino Rota…) John Williams est de formation classique, et sa musique l’est tout autant. Dans Star Wars, la proximité (l’emprunt ?) avec Les Planètes (1916) de Gustav Holst (1874-1934) est évidente, notamment dans ce passage :

Et, comme il arrive souvent, la plus moderne des deux n’est pas forcément la plus récente !

Deux idées de cadeaux à (vous) faire pour retrouver ces musiques de films enregistrées dans les meilleures conditions, deux coffrets (à tout petit prix mais avec un minutage généreux !)

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Des chevaliers, une élection

Après la réussite de samedi (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/12/12/vive-la-vie/), on ne pouvait pas imaginer un dimanche gâché.

On a d’abord voté, puis repris quelques habitudes dans son quartier, le café, la librairie (des cadeaux intelligents pour les tout-petits à mettre sous le sapin), le maraîcher, un déjeuner léger et bio. Et puis cap sur un centre culturel bien caché au coeur d’Argenteuil pour un rendez-vous que je ne voulais pas manquer. Une production épatante qui tourne depuis les triomphes de la création à Bordeaux en novembre dernier : Les Chevaliers de la table ronde de Louis-Auguste-Florimond Ronger, plus connu sous le pseudonyme de Hervé (https://fr.wikipedia.org/wiki/Hervé_(compositeur).

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L’opérette française dans toute sa splendeur, c’est-à-dire coruscante, impertinente, débridée, comme elle était conçue et jouée du temps d’Hervé et d’Offenbach, et telle que Pierre-André Weiz l’a mise en scène. Le cast est parfait vocalement et scéniquement : rien que le très sage Rémy Mathieu (qu’on avait entendu dans Fantasio à Montpellier l’été dernier) en loulou de banlieue, chaîne et survêt (Roland), le Médor ébouriffant de Manuel Nunez Camelino, les lascifs chevaliers Théophile Alexandre et David Ghilardi, les invraisemblables caricatures de personnages féminins toutes magnifiées par Ingrid Perruche (la Duchesse), Lara Neumann (la jeune fille si nunuche), Chantal Santon Jeffery (Mélusine) Clémentine Bourgoin (Fleur-de-Neige), et tous les autres qu’il faudrait citer. Une douzaine d’excellents instrumentistes sous la houlette inspirée de Christophe Grapperon. Une salle moderne à l’acoustique excellente, remplissage moyen, mais beaucoup de rires d’enfants qui ne captaient peut-être pas tous les non-dits de la partition, mais qui marchaient à fond dans le comique des situations et des personnages.

Un spectacle à voir absolument, encore beaucoup de dates à Toulon, Nantes, Rennes, Charleroi, etc. (http://www.bru-zane.com/les-chevaliers-de-la-table-ronde/index-fr.html)

En sortant du Figuier blanc d’Argenteuil, j’avais déjà affichés sur mon smartphone les premiers résultats du second tour des élections régionales, les médias belges n’étant pas tenus à la même réserve que les français. Ils annonçaient unanimement ce qu’on pouvait raisonnablement prévoir, qu’aucune région française ne serait présidée par un représentant du Front national. Mais la soirée allait réserver son lot de suspense et de surprises.

Trois régions où le score a été particulièrement serré et incertain jusqu’au décompte final (Ile de France, Normandie, Centre), un résultat finalement équilibré entre gauche et droite républicaine.

Mais, derrière les apparences, ce constat énoncé à la une de La Croix (http://www.la-croix.com/Actualite/France/Regionales-la-defaite-pour-tous-2015-12-13-1392544)

J’avais écrit (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/12/07/pas-de-panique/) que les électeurs voulaient de nouvelles têtes (et il y en avait beaucoup dans les listes du Front national). Le second tour l’a confirmé : de gauche ou de droite, ceux qui incarnent la nouveauté ont été privilégiés à ceux qui représentaient la continuité.

Rien ne serait pire maintenant que d’oublier ce qui s’est passé au premier tour et ce que les électeurs ont, à leur manière, redit avec force ce dimanche…

Vive la vie !

Les mauvais coucheurs vont peut-être parvenir à nous démontrer que la COP21 n’aura servi à rien, ou que l’accord négocié au Bourget est insuffisant, pas assez ceci, pas assez cela…

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Ce soir j’ai simplement envie de me réjouir, de dire merci à des dirigeants, des militants, des responsables qui, à force d’obstination et de constance, sont parvenus à cet accord véritablement historique. Comme l’ont rappelé Laurent Fabius et François Hollande, l’accord de Paris n’est pas une fin, mais le début de tout ce qui reste à faire.

http://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/cop21/video-cop21-francois-hollande-vous-l-avez-fait_1218985.html

Et de la même manière que nous avions appris à économiser l’énergie après les premières  crises pétrolières des années 70 (rappelez-vous : La France n’a pas de pétrole, mais elle a des idées !), les citoyens du monde ont pris conscience que de nous tous, et pas seulement de nos gouvernants, dépend l’avenir de la planète.

Ce samedi 12 décembre devait être un beau jour. France Musique n’avait pas oublié que c’était le centenaire de Frank Sinatra (1915-1998) et j’ai retrouvé non seulement la légende Sinatra, mais aussi le ton, l’esprit unique de cette chaîne de radio indispensable, trop souvent décriée, qui pourtant a nourri des générations d’auditeurs (comme moi) et qui, dans de telles occasions, prouve qu’elle est irremplaçable. Vivement le podcast et la possibilité d’écouter ce qu’on a manqué, de réécouter ce qu’on a aimé. Et bien ressortir de sa discothèque tout le rayon Sinatra… et cette chanson qui colle bien à l’humeur de ce samedi :

Juste après avoir appris l’accord de Paris sur le climat, la soirée prévue au théâtre des Champs-Elysées s’annonçait sous d’heureux auspices.

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J’allais entendre pour la première fois « live » une artiste que je suis depuis ses premiers disques, Stacey Kent, entourée de quatre excellents musiciens, son mari Jim Tomlinson (flûte et saxophone), Jeremy Brown (contrebasse), Graham Harvey (piano), Josh Morrison (batterie), rejoints pour quelques sets par un guitariste américain,  ami de la chanteuse, en vacances à Paris… dont je n’ai pas retenu le nom !

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Une soirée intime, sur le ton de la confidence, des standards, peu de chansons nouvelles, les figures tutélaires de la bossa nova, Chopin, Henri Salvador. Une belle douceur.

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Et l’émotion palpable lorsque, pour finir, Stacey Kent rappelait ce Jardin d’hiver de Salvador (et Benjamin Biolay et Keren Ann !) qui avait marqué son premier passage il y a dix ans sur la scène de l’avenue Montaigne, et que toute la salle ce soir murmurait avec elle.

Bons plans

Je ne sais pas vous, mais pour moi la période des fêtes est souvent synonyme de corvée de cadeaux. Comment faire plaisir intelligemment à ceux qu’on aime ?

Les lecteurs de ce blog sont depuis longtemps au courant de l’une de mes passions coupables, le disque. Mais à la différence de certains camarades, je n’aime pas accumuler – je n’en aurais pas la place ! – donc j’échange, je regroupe (et la profusion de coffrets publiés ces derniers mois par les « majors » contribue considérablement à cet effort de rationalisation), et je crois avoir trouvé les bons filons en jonglant avec les fournisseurs, en faisant donc jouer la concurrence.Ce sont ces « bons plans » que je livre ici.

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La presse a unanimement loué cette prodigieuse réédition du legs discographique du Beaux Arts Trio. En France (Amazon.fr ou Fnac) 118 €, en Allemagne (Amazon.de) 99 €, sur Amazon.it 78 € !

Deutsche Grammophon honore Emil Guilels, le grand pianiste russe (1916-1985) par un beau coffret regroupant ses enregistrements tardifs, une quasi intégrale des Sonates de Beethoven, des Mozart et Schubert avec Böhm et sa fille Elena, quelques incunables des années 50 en trio avec Kogan et Rostropovitch. L’Allemagne et l’Italie se tiennent (autour de 65 €), la France 10 € plus chère.

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Grâce à Tom Deacon, célèbre producteur canadien de la série Great Pianists of the XXth Century, j’apprends que la firme russe Melodia (ou pour respecter les critères internationaux Melodyia) publie une édition « de luxe » de 50 CD du légendaire Sviatoslav Richter (1915-1997). Est-ce le cours du rouble, le montant des taxes locales ? Toujours est-il que les différences de prix annoncés sont pour le moins étonnantes…

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Amazon.it 310 €, Amazon.de 461 €, Amazon.co.uk 363 £ !! Sur les sites français (Amazon, Fnac) le dit coffret n’est pas même annoncé (on doit attendre sans doute que l’année du centenaire de Richter se termine ?)

Mais les amateurs pourront encore trouver, pour beaucoup moins cher, les belles boîtes que Decca et RCA ont consacrées au pianiste (http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2014/12/22/richter-centenaire-8350549.html)

Tandis que la collection Eloquence de Decca republie en CD séparés les enregistrements réalisés à Vienne, Londres et Amsterdam, pour Philips et Decca, par Pierre Monteux (1875-1964) – à suivre dans le numéro de janvier de Diapason – j’ai découvert récemment un fabuleux coffret, qui m’avait échappé à sa sortie, 11 CD de concerts donnés à Boston en 1958/1959, enregistrés en stéréo. Tout simplement prodigieux. Le feu, la fougue, la générosité, la poésie d’un chef largement octogénaire, avec parfois des accidents qui témoignent de l’ambiance électrique qui régnait dans ces concerts. Et quels solistes ! Leon Fleisher plus génial que jamais dans le 1er concerto de Brahms, Leonid Kogan éblouissant dans le concerto  pour violon de Brahms (que Monteux et lui enregistraient pour le disque – RCA – au même moment), une « Pastorale » de Beethoven orageuse à souhait. Bref, un coffret INDISPENSABLE. Cette fois acquis en France via Amazon.fr (qui propose le coffret à 55 €) qui met en lien un autre vendeur (Clic Musique) qui lui fait une offre à 34 € – et a honoré ma commande avec tout le soin et la diligence voulus. A titre de comparaison, ce coffret est téléchargeable sur Itunes pour 99 € !

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Je ne vais pas redire tout ce que j’ai écrit sur une magnifique pianiste (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/12/06/la-revelation-dinorah/) sauf pour signaler que j’ai acquis le précieux coffret sur Fnac.com

Enfin, dans la série des magnifiques rééditions, très attendues, un autre ensemble légendaire qui a fait les heures de gloire de Philips, le Quartetto Italiano. C’est Fnac.com qui propose le meilleur prix.

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Enfin, près d’un an après sa disparition (https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/12/23/il-est-parti/), deux beaux ouvrages à acheter chez votre libraire (vive les librairies !)

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Mais l’un des meilleurs plans pour qui veut trouver le disque rare, l’intégrale oubliée, le tirage japonais de ses rêves, reste le seul magasin de Paris exclusivement réservé au CD/DVD classique d’occasion, Melomania, 38 boulevard Saint-Germain, 75005 Paris (en face de l’église St Nicolas du Chardonnet et de la salle de la Mutualité). Et pour ceux qui n’ont pas la chance d’être parisiens ou de venir à Paris, un site remarquablement fait : http://www.melomania.com/fr/.

Retrait et retirage

Tandis que le microcosme politique* s’interrogeait – retrait ? pas retrait ? -, un preux chevalier de la musique, le comte Johann Nikolaus  von La Fontaine und Harnoncourt-Unverzagt, plus connu comme Nikolaus Harnoncourt, annonçait le 6 décembre, le jour de son 86ème anniversaire, son retrait de la vie musicale, scènes et studios. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Nikolaus_Harnoncourt)

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Libre traduction : « Cher Public, l’état de mes forces physiques m’oblige à renoncer à mes projets. Me viennent immédiatement ces pensées : entre nous sur scène et vous dans la salle s’est nouée une relation inhabituellement profonde – nous sommes devenus une heureuse communauté de découvreurs ! Il nous restera beaucoup de cette aventure… Votre Nikolaus Harnoncourt. »

Au-delà de tous les hommages attendus, convenus, qu’a suscités ce retrait soudain et définitif, une appréciation personnelle, nuancée, celle d’un simple auditeur qui n’a pas toujours partagé les enthousiasmes de la critique.

D’évidence, il y a un avant et un après Harnoncourt, qui semble symboliser à lui seul tout le mouvement de recherche historique qui s’est développé sur la musique ancienne et baroque (puis romantique) à partir des années 50. Mais à le statufier de son vivant, on ne l’a pas nécessairement servi. Car, comme tous les grands musiciens, le chef d’orchestre qu’il était avait ses bons et ses mauvais jours, ses grands et ses moins grands disques.

Commençons par le moins bon, le côté « je vais décortiquer la partition devant vous » au risque de passer complètement à côté de l’élan, de la vivacité du concert : la trilogie symphonique finale de Mozart au Victoria Hall – mon premier contact « live » avec Harnoncourt ! – mortelle d’ennui (j’ai des témoins… et non des moindres !), puis à Paris au Châtelet une 7ème symphonie de Bruckner interminable, et enfin des concerts de Nouvel An à Vienne philologiques sans doute mais manquant totalement de pétillement et d’entrain. Comme cette poussive Valse des Délires (!!) de Josef Strauss

https://www.youtube.com/watch?v=shFoZ5SHnW0

Mais il y a tant de réussites à mettre au crédit du vieux chef qu’on ne va pas gâcher l’humeur unanime.

Comme des symphonies de Haydn, où NH fait courir la poste à tous les menuets – on doute très fort que l’on ait dansé le menuet à ce tempo d’enfer du temps de Haydn ou même Beethoven, avant l’apparition de la valse ! -, comme des symphonies de jeunesse de Mozart. 

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Dans les autres répertoires (Monteverdi, Bach, Handel, Beethoven et les romantiques) je ne mets pas Harnoncourt en tête de mes préférences, ce qui n’atténue en rien l’admiration que je lui porte. Il lui arrive même de surprendre, en bien, dans Dvorak ou Verdi (le Requiem), en mal quand il s’attaque à Bartok, Smetana ou… Gershwin (Porgy and Bess.. méconnaissable !)  Mais gratitude et reconnaissance pour tout ce qu’il nous a appris à mieux écouter, tout ce qu’il nous a révélé de compositeurs et de partitions que nous croyions connaître.

On n’oublie pas non plus qu’il y a cent ans exactement, le 9 décembre 1915, naissait Elisabeth Schwarzkopf, déjà évoquée (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/10/03/legerete/) lors de la sortie du coffret (entièrement remasterisé) que Warner ex-EMI lui consacre81szngqwkwl-_sl1500_

Sylvain Fort dit très bien les sentiments que la dame et ses enregistrements provoquent, et aussi l’emblème d’une époque révolue qu’ils constituent : http://www.forumopera.com/actu/elisabeth-schwarzkopf-100-ans-apres.

J’ai souvent raconté l’extraordinaire journée que France-Musique avait organisée pour les 80 ans de la cantatrice, qui était venue tout spécialement de Zurich le matin même de ce samedi 23 décembre 1995, et qui en guise de salutations nous avait d’entrée couverts de reproches pour avoir diffusé dans la nuit précédente une version « live » du Chevalier à la rose qu’elle pensait avoir fait interdire. Ce n’était pas digne d’une grande chaîne comme la nôtre qu’elle écoutait surtout pendant ses nuits d’insomnie…Lui expliquer que diffuser un enregistrement couramment disponible dans le commerce ne constituait pas une infraction, mais sans doute une faute de goût… La dame, se rendant compte qu’elle y était peut-être allée un peu fort, nous présenta des excuses que nous acceptâmes de bonne grâce, pensant surtout à réussir tout une après-midi en public confiée à Jean-Michel Damian. Le studio 104 était comble, Georges Prêtre (qui avait assuré la création française de Capriccio de Strauss à l’opéra de Paris en 1964 avec Elisabeth Schwarzkopf) était présent, d’autres collègues de l’invitée du jour avaient laissé des messages (Christa Ludwig, Iliana Cotrubas, etc.).

On déroula le fil de ses souvenirs et de ses enregistrements. Ayant lu que le disque qui lui paraissait le plus parfait était… une opérette, et pas la plus connue, de Johann Strauss, Wiener Blut, j’avais suggéré à Damian de lui faire la surprise de diffuser le duo le plus connu…Et c’est alors que tout le public présent et nous fûmes témoins de l’émotion qui submergea Elisabeth Schwarzkopf qui, les yeux soudain perdus dans le vague, revivait un moment de grâce rare en studio.

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Dix ans après ce disque, elle donnait cet air accompagnée par Willi Boskovsky. Cet extrait représente finalement assez bien ce que Sylvain Fort décrit dans son papier, tout ce qui chez Schwarzkopf peut fasciner autant qu’irriter, la sophistication, le contrôle, le maintien. Moi j’aime…

https://www.youtube.com/watch?v=7UgGSEMzi2g

*Microcosme politique : l’expression favorite de l’ancien premier ministre Raymond Barre, en 1978, pour désigner les partis et les responsables politiques qu’il détestait cordialement.

Sibelius m’était conté

« Le plus mauvais compositeur du monde » – dixit René Leibowitz* – est né le 8 décembre 1865. On célèbre donc aujourd’hui le sesquicentenaire de Jean Sibelius, souvent évoqué ici :(https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/11/20/le-bonheur-sibelius/).

On ne devient pas sibélien par hasard. À part peut-être la Valse triste, Sibelius n’est pas abonné aux tubes de la musique classique. En ce qui me concerne, c’est un coffret acheté par souscription, donc à un prix que mes très modestes moyens d’étudiant me permettaient, qui m’a mis sur la route du compositeur finlandais. C’était un coffret de quatre 33 tours Deutsche Grammophon, je m’en souviens comme si c’était hier, tous dirigés par Karajan : la 2e symphonie de Brahms, les Tableaux d’une exposition de Moussorgski/Ravel, des intermezzi d’opéras… et le Concerto pour violon de Sibelius avec Christian Ferras en soliste ! Il y a pire comme initiateurs…

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Mais autant l’avouer, je n’accroche pas immédiatement à ce concerto, ce n’est ni Mendelssohn ni Tchaikovski. Il faudra que j’écoute passionnément La Tribune des critiques de disques de France Musique – le trio Panigel-Bourgeois-Goléa – pour que je découvre les mille beautés de l’oeuvre et ce qui allait définitivement m’arrimer à la musique de Sibelius : la rudesse et l’infinité des espaces imaginaires qu’elle ouvre. Et comme Goléa détestait ce concerto, je n’en ai été que plus convaincu de l’aimer.

Quelques années plus tard, mon premier achat dans une véritable caverne d’Ali Baba du disque classique au marché aux puces de Saint-Ouen sera l’intégrale des symphonies dans une version dont j’ignorais alors qu’elle serait louée par les meilleurs critiques et constamment rééditée : Lorin Maazel et les Wiener Philharmoniker.

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On l’aura compris, ce n’est pas d’hier que date mon histoire d’amour pour Sibelius.

Il y a dix ans, exactement à la même période, j’avais eu la chance d’assister aux épreuves du Concours Sibelius à Helsinki (la lauréate d’alors, la merveilleuse Alina Pogostkina, nous a laissé quelques beaux concerts à Liège). Souvenirs lumineux d’une semaine pourtant plongée dans la nuit (le soleil se levait timidement vers 11h du matin, pour disparaître à nouveau vers 14 h), le froid, le gel. J’étais retourné, en juillet 2006, pour visiter bien sûr Ainola, la maison de Sibelius, et la Carélie de lacs et de forêts qui a nourri toute son oeuvre.

Un conseil en cette période qui n’incite pas à l’espoir : écoutez, gavez-vous de Sibelius, d’une musique généreuse, qui respire loin et large.

*http://www.resmusica.com/2013/01/06/rene-leibowitz-l’assassin-assassine/

Pas de panique

Tous les adjectifs y sont passés depuis hier soir, à propos du premier tour des élections régionales françaises. Un peu de raison ce matin peut ne pas nuire à la réflexion.

D’abord ceci que j’ai lu sur le « mur » d’un ami musicien, signé d’une dame sans doute très bien, mélomane certainement :

Cher…, pour la 1ère fois j’ai voté FN après une longue réflexion. 
Vous voulez protéger vos enfants moi aussi.
Vous voulez « du bien vivre ensemble » moi aussi. Je hais les racistes. 
Mais il y a des dérives que je ne souhaite pas voir aboutir d’où ce vote. Ce qui ne fait pas de moi une personne idiote ou amorale.

Et ceci encore sur Libération.fr :

http://www.liberation.fr/france/2015/12/06/nicolas-lebourg-les-themes-du-fn-parlent-aux-gens_1418781

Quand on analyse un scrutin, il faut d’une part ne pas céder à l’irrationnel, d’autre part regarder les réalités et se garder des effets de loupe déformants.

Ceux qui crient « panique », « horreur », « marée noire » expriment un sentiment compréhensible –  que je partage – mais je doute que tous se soient déplacés pour voter. Le premier parti de France, et depuis plusieurs scrutins, est celui des abstentionnistes. Je n’ai entendu personne analyser sérieusement ce phénomène qui est vraiment, mais vraiment, préoccupant. Pourquoi la moitié des électeurs ne vote-t-elle plus, pourquoi la moitié des électeurs semble-t-elle réfuter, récuser un système de représentation politique que les Constitutions successives de la République française ont donné l’illusion qu’il était immortel ?

Le Front National ne fait plus peur, on ne glisse plus honteusement son bulletin FN dans l’urne (cf. supra la réflexion de cette dame mélomane), les jeunes n’entendent plus les mises en garde de la classe politique traditionnelle. Et puis, on est bien navré de le dire, c’est le seul parti qui présente de nouveaux visages, qui met en selle de tout jeunes candidats : les succès de tous ces jeunes maires aux municipales, l’élection à 22 ans de   la députée du Vaucluse, la montée en puissance d’une équipe rajeunie autour de la fille du fondateur. Qu’ont fait les forces politiques traditionnelles pendant ce temps-là ? Elles donnent à revoir un film qui n’a pas changé de casting depuis des lustres. La déconvenue risque d’être pire encore en 2017 si l’élection présidentielle n’est que le match retour de 2012 !

Ajoutons qu’on n’a pas cessé hier de comparer des éléments incomparables ! On est passé de 22 à 13 régions. On n’a pas cessé de rappeler que le Nord-Pas de Calais était un fief de gauche, sauf que la nouvelle région comprend la Picardie, qui n’est pas négligeable. Idem pour  d’autres nouvelles grandes régions (comme Midi Pyrénées Languedoc Roussillon). Qui a remarqué que, dans le cas de la région la plus peuplée, dont le périmètre n’a pas été modifié, l’Ile-de-France, il n’y a pas d’irruption du FN, l’étiage gauche-droite n’a quasiment pas bougé depuis 2010 ?

Pour autant faut-il céder à la panique ? Rien n’est moins sûr. Dans toutes les élections de ce type, le deuxième tour corrige le premier tour, la raison l’emporte sur l’humeur, les clivages traditionnels se retrouvent. Mais ceux qui vont s’exprimer cette semaine, responsables politiques, médias, seraient bien inspirés de s’abstenir de stigmatiser, de dénoncer les millions d’électeurs du FN. Ils ne feraient que les renforcer dans leur conviction qu’ils ont fait le bon choix au premier tour, et donneraient aux hésitants des arguments pour le confirmer au second.

Une chose encore : la démocratie, c’est accepter la liberté des électeurs, le verdict des urnes. Et s’engager pour faire prévaloir ses idées, faire partager à ceux qui doutent, craignent, hésitent, des valeurs simples, essentielles, comme la liberté, l’égalité et la fraternité. Et aller voter dimanche prochain !

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La révélation Dinorah

Le nom me disait quelque chose, Jean-Charles Hoffelé avait attisé ma curiosité sur Facebook, je m’étais aussitôt mis en quête du précieux objet et j’ai dû attendre 24 heures pour le découvrir, le postier n’ayant rien trouvé de mieux que de coincer le paquet dans ma boîte aux lettres.

Et depuis, elle ne me quitte quasiment plus. Elle ? Dinorah Varsi, une pianiste dont la disparition, à 73 ans, au début de l’été 2013, m’avait laissé indifférent (http://www.diapasonmag.fr/actualites/a-la-une/la-pianiste-dinorah-varsi-est-morte).

Pourtant je me rappelle maintenant, quelques mois après la mort de mon père (le 6 décembre 1972), j’avais acheté à prix de souscription, un double album 33 tours Philips des concertos de Chopin, Dinorah Varsi au piano, Jan Krenz (un chef polonais que je retrouverais bien des années plus tard avec l’orchestre de Liège) dirigeant l’orchestre philharmonique de Monte Carlo (à l’époque il s’appelait encore orchestre national de l’opéra de Monte-Carlo !).

Mais j’avais complètement perdu de vue cette pianiste, qu’on ne citait jamais, ou si peu, dans mes revues favorites.

Et voilà qu’un éditeur allemand courageux publie quelque chose de magnifique, de somptueux, un considérable coffret de format 33 tours, à un prix dérisoire compte-tenu du travail qui a dû précéder cette publication.

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La totalité des enregistrements studio (au début pour Philips) de celle qui fut lauréate du Concours Clara Haskil en 1967, 13 CD de concerts, 5 DVD, 1 audio CD d’entretiens, et un livre de 112 pages.

Je suis encore loin du compte, et ce coffret va me nourrir encore des jours et des soirs, mais déjà ces Chopin… Pas le souvenir d’avoir entendu jusqu’à présent, même chez les très grands, une aussi parfaite combinaison entre beauté du son, rigueur du chant, exactitude des tempi, respiration belcantiste, éloquence narrative.

J’ai un point de repère, la Première Ballade. Tant s’y fourvoient, incapables de liberté et de poésie dans le chant initial, suspendu, confondant vivacité et précipitation en avalant les traits périlleux de la dernière partie. Alors qu’il suffit de chanter, toujours, même quand Chopin vire à la virtuosité. J’avais dans l’oreille la perfection d’Arturo Benedetti Michelangeli, j’aurai désormais la merveille délivrée par Dinorah Varsi, une autre manière de perfection.

Et les si fabuleuses Etudes, les deux cahiers des opus 10 et 25, trop souvent scolaires, comme à un concours du plus vite, plus fort, plus démonstratif. De nouveau, j’aurai à côté du « live » exceptionnel de Geza Anda de l’opus 25, les deux cahiers captés eux aussi en concert, à Schwetzingen, dans un son magnifique, de Dinorah Varsi. Une technique supérieure, un contrôle phénoménal des doigts, une virtuosité jamais vaine et prima la musica ! (moi qui n’aime pas beaucoup la 12eme étude de l’opus 10 dite « Révolutionnaire » parce que ce n’est le plus souvent que prétexte à épate, ici je rends les armes tellement c’est beau, animé d’un vrai souffle romantique !).

Et on ne parle pas de tout ce qu’on n’a pas encore écouté (Schumann, Ravel, Debussy, Beethoven)… ah si quand même la plus belle, je pèse mes mots, sonate D 664 de Schubert.

Et les concertos ? Un coup d’oreille aux tubes : le 1er de Tchaikovski, le 2eme de Rachmaninov, enregistrés dans les années Philips à Rotterdam. Vous ne pourrez plus jamais écouter les pachydermiques versions Richter-Karajan 22’10 le 1er mouvement (ou pire Kissin-Karajan ! 24′)  là où Varsi et Gardelli en prennent 18’20 pour le Tchaikovski ou Weissenberg -Karajan pour le Rachmaninov.

Ecoutez ce début du 2eme de Rachmaninov, ça avance droit, mais ça chante toujours… et on entend tout. (Le repiquage en CD est bien meilleur). Ecoutez la Rhapsodie sur un thème de Paganini, écoutez la pureté de son Mozart...

Je me demande comment j’ai pu vivre jusqu’ici en ignorant cette immense musicienne. Il me reste à rattraper le temps perdu et à vous conseiller de faire de même. Faites-vous offrir ce coffret pour les fêtes ! Indispensable.

Détail de toutes les plages de ce coffret (et possibilité d’écouter un extrait de chacune ! ) : (http://www.amazon.fr/Dinorah-Varsi-Legacy-collected-recordings/dp/B015OPMDCS/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1449417683&sr=8-1&keywords=dinorah+varsi)

Comme le chant d’un enfant

La musique n’est pas très tendre avec l’enfance, les enfants morts (Mahler, Berg) ou victimes (Britten). Et pourtant redira-t-on quel bonheur les tout petits éprouvent à écouter, pas seulement entendre, de la musique, toutes sortes de musiques, mais d’abord des musiques qui les font rêver, les éveillent, sans être nécessairement accolées à une histoire ou une comptine.

Je retrouve avec G. mes propres souvenirs d’enfant, parfois enfouis dans ma mémoire. J’ai saisi l’occasion, il y a quelque temps, de revoir Le Livre de la jungle, un des très bons Disney. Une excellente bande son. G. n’en démord plus !

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On attendra encore un peu avant Bambi, Blanche-Neige ou même Les Aristochats.

Mais on connaît Le Carnaval des animaux par coeur, le Cygne, l’Aquarium, l’Eléphant surtout et on se fait raconter des histoires de petit garçon entrant dans un magasin de violoncelles et de contrebasses…Mais il ne faut pas que le portrait du compositeur change, Saint-Saëns ce ne peut être que lui

Saintsaens Sony a eu la bonne idée d’éviter le traditionnel couplage Carnaval – Pierre et le Loup

71O1UfAnj0L._SL1500_Et une bande de joyeux drilles renouvelle l’exercice :

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Mais ne limitons pas l’écoute de la musique pour les petits à des oeuvres que les adultes croient écrites pour eux. Au contraire, ouvrons leur très larges les portes de toutes sortes de musiques, un chant du Moyen-Âge, une Gymnopédie de Satie, un quatuor de Haydn, des mélopées siciliennes, rien n’effraie les petites oreilles, au contraire !

Inutile d’attendre les classes primaires et les séances « pédagogiques » qu’on leur organise à profusion (sans que cela développe particulièrement leur appétence si la musique a été absente de la toute petite enfance). Beaucoup de musique à écouter, à regarder, à vivre dans le calme familial.

Puisque Noël approche, un nouveau disque plutôt bien ficelé avec les Petits Chanteurs de Vienne (Wiener Sängerknaben)

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https://www.youtube.com/watch?v=7Ii6vQNEoCY