Les abonnés aux éphémérides auront appris que, ce 4 décembre, on commémore les quarante ans de la disparition de Benjamin Britten(1913-1976), le plus célèbre… ou le moins inconnu faut-il plutôt dire, des compositeurs britanniques du siècle passé.
Je n’ai jamais compris le désintérêt, quand ce n’est pas mépris ou condescendance, de la part des Français, voire des Européens du continent, à l’égard des compositeurs britanniques, à quelques exceptions près – et encore d’Elgar, Britten, plus rarement Vaughan-Williams ou Waltonne programme-t-on qu’un nombre très restreint d’oeuvres lorsque, par miracle, ils sont à l’affiche d’un concert !
Alors, qui voudrait s’intéresser à deux amis, aussi talentueux qu’inconnus, sauf des seuls amateurs un peu curieux (comme Jean-Charles Hoffelé qui les honore régulièrement dans sa rubrique L’illustre inconnu qu’on a failli oublier dans Diapason) : Granville Bantock(1868-1946) et Havergal Brian(1876-1972) ?
Certes ce sont des musiques qui n’épousent pas les combats doctrinaux qui ont secoué le XXème siècle musical, elles ne tracent aucune voie nouvelle, elles ne renient pas l’influence de Wagner ou Elgar, et pourtant elles ne laissent découvrir, écouter avec plaisir, et même de l’intérêt : une veine mélodique évidente, largement inspirée du fonds populaire, une orchestration brillante, luxuriante même, des longueurs adaptées aux longues siestes dominicales…
Sans doute la prolixité d’Havergal Brian a-t-elle découragé chefs et programmateurs – qui sont, de toute façon, rarement aventureux – 32 symphonies ! Un peu comme Miaskovski ou Milhaud. Naxos semble d’être lancé dans ce qui ressemble à une intégrale
Sinon, on doit se fier à quelques disques isolés, en particulier un double album dû à l’infatigable Charles Mackerras.
Granville Bantock a été, me semble-t-il, mieux servi grâce au remarquable travail éditorial du label Hyperionet au talent de l’immense et regretté chef Vernon Handley
Croyez m’en, vous ne regretterez pas ce voyage en terres inconnues, dans d’aussi belles musiques.
La tendance de l’automne est aux gros pavés. Coup sur coup, les majors du disque nous proposent de superbes rééditions (à des prix presque cassés). Jochum, Munch, Harnoncourt…
Commençons par Eugen Jochum(1902-1987), incontournable figure et héraut de la culture germanique, toujours demeuré, quant à la notoriété, dans l’ombre des Böhm, Karajan ou Kubelik, pour ne citer que ses contemporains.
Deutsche Grammophon a, semble-t-il, entrepris de rééditer l’important legs discographique du chef allemand (ce que EMI/Warner a déjà fait pour les dernières gravures réalisées pendant la dernière décennie de sa carrière – cf.ci-dessous). Premier coffret dévolu au répertoire symphonique et concertant.
42 CD reprenant des intégrales souvent célébrées des symphonies de Bruckner, de Brahms ou Beethoven (la première des trois que Jochum a gravées, partagée entre les orchestres de Munich et Berlin). Détail ci-dessous.
Alors pourquoi faut-il (ré)écouter Jochum ? Il ne faut surtout pas se fier à son look austère, voire sévère, très chapeau bavarois et culotte de peau.
Dans Bruckner, Brahms ou Haydn il fuit la grandeur hiératique, la solennité empesée, il est mobile, inventif, n’hésitant jamais à bousculer un tempo, à traquer l’humour du dernier Haydn. Plus « classique » dans Mozart ou Beethoven, il rappelle néanmoins les vertus d’une direction fluide, vivante. Dommage qu’on n’ait pas plus de témoignages enregistrés de Richard Strauss ou Wagner. Dommage encore qu’Universal n’ait pas inclus dans ce coffret les quelques enregistrements parus sous étiquette Philips, notamment les Symphonies et ouvertures de Beethoven gravées pour le bicentenaire du maître de Bonn (1970) avec le Concertgebouw d’Amsterdam.
RBO* = orchestre symphonique de la Radio Bavaroise / BPO* = orchestre philharmonique de Berlin / VPO* = orchestre philharmonique de Vienne / LSO* = orchestre symphonique de Londres / LPO* = orchestre philharmonique de Londres.
La comparaison entre les symphonies de Bruckner gravées de 1958 à 1964 pour Deutsche Grammophon, et celles enregistrées à la fin des années 70 avec la Staatskapelle de Dresde (dans le coffret ci-dessous) est passionnante. L’art d’un très grand chef à son apogée.
Ces deux derniers jours auront été pour moi l’occasion de rencontres et de situations plutôt inattendues.
Comme nombre d’automobilistes distraits ou peu attentifs aux changements de limites de vitesse sur des tronçons qu’on croit connaître par coeur, j’ai dû récupérer les points perdus de mon permis de conduire, au cours de l’un « stage de sensibilisation à la sécurité routière » (sic). Deux jours pleins dans une salle de classe.
Je m’étais préparé à une plongée dans l’ennui. Et ce fut le contraire qui survint, du fait de la composition de notre groupe de « stagiaires » – 15 hommes, une femme, de tous âges, conditions et origines -, de l’humour et du savoir-faire des « animateurs » aussi. Assis entre un jeune chef d’entreprise coiffé en permanence d’une kippa, à la tchatche contagieuse, et une sublime jeune femme, que peu avaient reconnue comme la réalisatrice de Polisse et Mon Roi, j’ai finalement aimé ce condensé d’humanité, le fonctionnement du groupe, les réactions, les emballements, la diversité des points de vue. Je n’ai pas appris grand chose qui change la nature de ma conduite automobile (je fais attention aux limitations !), mais j’ai adoré ces moments finalement rares d’échange avec des personnes qu’on n’aurait jamais l’occasion de côtoyer autrement.
Ce café pris avec Gutemberg – c’est son prénom ! – qui rit lui-même de s’être fait prendre à 2 heures du matin à dépasser le 30 km/h prescrit au centre de Paris… par des policiers qui partagent la même salle de gym que lui, ou cet autre avec un trentenaire qui semble revenu de tout, révolté par l’injustice de notre société. Et la majorité du groupe qui trouve injuste de perdre des points pour d’infimes excès, ou l’usage d’un téléphone nécessaire à leur métier (comment fait celui qui vient dépanner des gens coincés dans un ascenseur s’il ne peut répondre à l’appel au secours sur son téléphone ?), le retraité au fort accent de titi parigot qui, deux jours durant, ne cessera de râler contre le système français, les incohérences de la politique de sécurité routière, ou cet autre qui fait un stage pour la 4ème année consécutive parce qu’il n’arrive décidément pas à respecter les limitations de vitesse. Quant à M. la seule femme du groupe, au début taiseuse et comme repliée sur elle-même, elle finira par apostropher les quelques machos de l’équipe (« normal que les femmes aient moins d’accidents, elles n’aiment pas les grosses voitures »!), par leur rappeler que le droit, la morale, et la philosophie ne sont pas nécessairement synonymes. Et le tout s’achèvera dans de grands éclats de rires. M. a en tout cas de la matière pour un nouveau scénario…
La journée d’hier s’achevait par un concert attendu, lui, depuis longtemps par ses fans : Jonas Kaufmann chantait les Wesendonck-Lieder de Wagner au Théâtre des Champs-Elysées, avec l’Orchestre National de France dirigé par Daniele Gatti. Le ténor était bien là, mais on peut bien avouer qu’on est resté sur sa faim. Même si les instants de pure grâce n’ont pas manqué dans cet admirable cycle qu’on est plus souvent accoutumé à entendre chanté par une voix de femme. Mais les meilleurs ont aussi leurs faiblesses et leurs fatigues. Par chance il existe un très beau disque de ce cycle :
Je ne sais ce qui m’a toujours tenu à distance de cette oeuvre colossale, sans doute justement cet aspect monstrueux. Il en est de même pour la 8e symphonie de Mahler.
J’aurai donc attendu lundi soir avant d’entendre intégralement et en concert les Gurre-Liederde Schoenberg. Bien entendu, j’avais depuis longtemps l’oeuvre dans ma discothèque, en plusieurs versions même, mais quelque chose m’avait toujours retenu d’écouter dans la continuité ces presque deux heures de musique.
J’ai profité de la générale du concert que donnaient hier soir, à la Philharmonie de Paris, les troupes en grand équipage de l’Opéra de Paris, menées par leur directeur musical, Philippe Jordan, pour rattraper toutes ces années d’indifférence.
Il fallait bien le vaste plateau du grand vaisseau conçu par Jean Nouvel pour accueillir un orchestre considérable, et au-dessus de lui les forces chorales réunies de l’Opéra de Paris et du choeur philharmonique de Prague. Il fallait surtout un maître d’oeuvre d’exception pour conférer un semblant d’unité à une oeuvre dont la composition s’est étalée sur treize ans (https://fr.wikipedia.org/wiki/Gurre-Lieder) et qui, même si elle ressortit au post-romantisme avoué de La Nuit transfigurée et de Pelléas et Mélisande, contient en germe les audaces ultérieures du dodécaphonisme. On n’est jamais très loin de Brahms ou Wagner, on flirte avec Richard Strauss, Schreker, Korngold ou Zemlinsky. Et la tentation doit être forte pour les musiciens et le chef de déployer les décibels.
C’est tout l’art de Philippe Jordan de savoir non seulement maîtriser une partition aussi complexe et les équilibres qu’elle implique sur le plateau, mais de faire entendre toutes les transparences d’une oeuvre, en même temps que sa puissance, sans jamais saturer l’espace sonore. Le seul problème, lié à la salle, pas à la direction du chef, est la restitution des parties vocales, les excellents solistes ont beau chanter à leur maximum, ils sont plus ou moins audibles selon le lieu où l’on est placé… Dommage !
Grâces soient rendues à Philippe Jordan et à ses musiciens exceptionnels de m’avoir réconcilié avec ce monstre magnifique.
Rappelons que c’est avec un autre ouvrage du même acabit, l’opéra Moïse et Aaron du même Schoenberg, que Philippe Jordan avait inauguré la première saison conçue par Stéphane Lissner.
On ne pourra pas dire que ses éditeurs historiques ont manqué son centenaire ! Sony d’une part, Deutsche Grammophon d’autre part, n’ont pas attendu 2018 pour fêter LeonardBernstein (1918-1990), celui dont Artur Rubinstein disait qu’il était « le plus grand pianiste parmi les chefs d’orchestre, le plus grand chef parmi les compositeurs, le plus grand compositeur parmi les pianistes ».
Je trouverais sûrement, si je la cherchais, la réponse dans d’épais et savants ouvrages : pourquoi certaines oeuvres me touchent-elles à ce point, déclenchent-elles de tels torrents d’émotions et de sentiments mêlés ?
Depuis que j’ai découvert Die tote Stadt (La Ville morte), l’opéra de Korngold (https://fr.wikipedia.org/wiki/Erich_Wolfgang_Korngold), je ne sors jamais indemne d’une écoute ou d’une représentation. Le sujet, la musique, tout cela sans doute, mais bien d’autres opéras, d’autres symphonies me passionnent et m’émeuvent sans me mettre dans cet état.
Hier soir, un projet nourri de longue date, les forces musicales de Radio France – hormis l’Orchestre National en tournée aux Etats-Unis – étaient rassemblées, Orchestre Philharmonique, Choeur et Maîtrise, non comme prévu sous la houlette de Mikko Franck, malade, mais sous celle de la jeune cheffe Marzena Diakun qui a fait mieux que relever un impossible défi. Et, pour une fois, aucune défection dans une distribution idéale pour un ouvrage aussi exigeant pour les deux rôles principaux. Klaus Florian Vogt, CamillaNylund, exceptionnels en Paul et Marietta, mais aussi le formidable baryton Markus Eiche, Catherine Wyn-Rogers (Brigitta) Matthias Wohlbrecht le Comte Albert) Dania El Zein (Juliette) Yaël Raanan Vandor (Lucienne) Jan Lund (Victorin-Gaston).
Cette Ville morte est le chef-d’oeuvre d’un compositeur de 23 ans, un orchestre luxuriant qui certes évoque plus d’une fois Wagner, Mahler, Richard Strauss ou Puccini, mais qui s’inscrit surtout dans la tradition viennoise (comme Schreker). Est-ce cela qui finalement me perturbe et m’émeut tant ? Les quelques grands airs qui sont ceux de la déploration, du regret de l’être aimé ou du désir inatteignable, sont, comme chez Mozart ou chez Richard…ou Johann Strauss, en mode majeur.
J’ai vu plusieurs fois Die tote Stadt en scène, un premier souvenir à Anvers, avec un bouleversant William Cochran, à Paris, et à Genève sous la direction idéale d’Armin Jordan qui malheureusement dut faire une première avec un ténor…aphone !.
Au disque, bien sûr en tout premier, l’enregistrement qui m’a fait découvrir et aimer l’ouvrage, qui n’a rien perdu de ses charmes vénéneux.
Autre magnifique témoignage du festival de Salzbourg :
Et pour ceux qui veulent retrouver quasi le même casting qu’hier soir, cette fois avec Mikko Franck au pupitre, le DVD d’un spectacle qui avait fait sensation à Helsinki.
La nouvelle attendue, redoutée, est tombée ce mercredi matin. PierreBoulez est mort dans sa 91ème année, très diminué par la maladie depuis plusieurs mois. Cette Philharmonie de Paris qu’il avait tant souhaitée, il n’avait pu l’inaugurer en janvier 2015, et son 90ème anniversaire avait été partout célébré dans le monde en son absence.
J’ai déjà raconté un peu de mes rencontres avec Pierre Boulez, qui ne furent pas nombreuses, mais toujours heureuses. Comme l’organisation de la journée spéciale que France Musique lui avait consacrée pour ses 70 ans, le 19 février 1995 (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/03/16/boulez-vintage/)
L’homme que j’ai quelquefois approché était exactement l’inverse du personnage craint et redouté (parce que redoutable) qu’il s’était sans doute en partie forgé. D’une attention à l’autre, d’une écoute simple et lumineuse à qui venait lui parler, poser des questions, solliciter un conseil.
Je le voyais souvent furtivement à la fin d’un concert ou l’autre, nous n’échangions que quelques mots, mais jamais convenus, comme si le dialogue entrepris plusieurs mois, voire années, auparavant reprenait. Pierre Boulez était au courant de tout et de tous. Ainsi c’est lui qui annonça à des amis parisiens (qui ne manquèrent pas de me le rapporter… surpris que le Maitre ait porté attention à un fait aussi insignifiant !) que j’avais été nommé à la direction de l’orchestre de Liège fin 1999…
En septembre 2008 je me rendis à Lucerne, où il animait cette phénoménale Académie d’été autant pour les jeunes musiciens que pour les compositeurs. Je lui avais demandé de m’accorder quelques instants, il m’accueillit durant tout un après-midi dans la modeste chambre qu’il occupait dans un hôtel un peu old fashioned sur les bords du Lac des Quatre-Cantons, très exactement en face de la villa de Tribschen où Wagner avait coulé quelques mois heureux (et composé notamment sa Siegfried-Idyll). Aucune fatigue chez cet homme de 83 ans qui dirigeait le soir même un programme colossal.
Compte-tenu de la tradition de création de l’orchestre philharmonique deLiège – les personnalités d’Henri Pousseur et Pierre Bartholomée n’y avaient pas peu contribué ! – et de la perspective des 50 ans de l’orchestre en 2010/2011, j’avais imaginé que Pierre Boulez, d’une manière ou d’une autre, devrait être de cette fête. Une fois encore, il me stupéfia par sa connaissance précise de l’orchestre, de son histoire, de son répertoire, et sans me laisser beaucoup d’illusions (il avait tant de travaux en cours et un agenda de concerts qui commençait à lui peser) il ne ferma pas la porte à ma suggestion.
Puis nous fîmes un tour d’horizon passionnant de la vie musicale française, avec quelques coups de griffe en direction de ceux qu’il jugeait incompétents ou insuffisants, mais toujours une bienveillance extrême pour la génération montante. J’eusse aimé avoir un micro pour capter cet entretien et le partager.
Le soir même dans la nouvelle salle de concerts du festival de Lucerne, pas moins de trois créations, des pièces de Berio, Carter – la première partie atteignait les 90 minutes -et pour terminer l’exploit, le Sacre du printemps, plus sensuel, libre que jamais. Le retrouvant près de sa loge à l’issue du concert, frais et dispos, sans nulle trace de l’effort colossal qu’il avait accompli, il me dit simplement : « C’était pas mal non ? ». Que répondre, essayer de balbutier, quand on est encore sous le coup de l’émotion ? Je m’entends encore lui dire : « Pas mal en effet » ! Avec un sourire complice.
Je l’ai revu ensuite à quelques concerts, l’un à Baden Baden, en 2009 je crois, puis soudain vieilli, hésitant à la première du Freischütz de Weber dans la version de Berlioz, à l’Opéra Comique, dirigé par John Eliot Gardiner (avec ma chère Sophie Karthäuser). C’était en avril 2011. Depuis lors je n’avais de nouvelles que partielles, de sources sûres, et les dernières n’étaient pas rassurantes.
Voilà le Pierre Boulez que j’ai un peu connu, l’homme et l’artiste qu’il m’a été donné de rencontrer par-delà le masque de la notoriété.
Tous les enregistrements officiels de Boulez ont été republiés. Je rêve d’un hommage qu’il mériterait ô combien : l’édition (comme cela vient d’être fait pour Richter) des concerts de Londres, de New York et plus récemment de Lucerne, des principaux en tout cas, où le chef se laissait aller à la griserie du « live ». Comme en 1992, un concert des Wiener Philharmoniker aux Prom’s, diffusé par la BBC (et par moi sur les ondes de la Radio Suisse romande !) où l’on entend les plus sensuels et aériens Nocturnes de Debussy qui se puissent imaginer…
PS. J’aurais peut-être dû commencer par là : ma découverte de Pierre Boulez compositeur. En dehors de sa 2e sonate pour piano qu’on avait dû nous présenter (essayer en tout cas) lors d’une séance des JeunessesMusicales de France, j’étais ignorant de la musique de Boulez jusqu’à ce direct de juin 1980, sur France Musique, où je découvris les quatre premières Notations pour orchestre créées par Daniel Barenboim à la tête de l’Orchestre de Paris. Je me rappelle ma fascination pour cet univers sonore scintillant, multiple, neuf.
Alors que s’ouvre une conférence mondiale décisive pour l’avenir de la planète et donc de l’humanité, on peut (on doit ? ) écouter ou découvrir les musiques que la Nature, nos paysages, nos espaces ont inspirées aux compositeurs les plus divers. La puissance d’évocation de certaines d’entre elles est telle que nous voyons les images, nous ressentons les immensités, les sommets, les flots, tous les éléments de notre environnement.
Quelques propositions, qui ne prétendent aucunement à l’exhaustivité.
Puisque l’hiver est proche, j’ai toujours entendu la 1ere symphonie de Tchaikovski (sous-titrée Rêves d’hiver) comme l’expression la plus poétique de l’immensité russe sous son manteau de neige. Le tout début de la symphonie, puis le magique deuxième mouvement (écouter ici à partir de 12″)
(Fin avril 2011, la Volga à Kostroma commence tout juste à dégeler)
Mais j’ai une autre vision très forte d’une forêt enneigée, associée pour toujours dans ma mémoire au sublime duo de Tristan et Isolde « O sink hernieder » de Wagner, une scène qu’on aurait pu trouver dans le célèbre Ludwig de Visconti, mais qui se trouve dans le beaucoup moins connu Ludwig, requiem pour un roi vierge (1972) du réalisateur allemand Hans-Jürgen Syberberg – qui produira en 1983 un très remarqué Parsifal, qui repose sur l’enregistrement d’Armin Jordan, qui joue lui-même Amfortas dans le film ! –
On reconnaît les voix de Kirsten Flagstad et Ludwig Suthaus dans la version légendaire de Furtwängler.
Au Nord de l’Europe, toute la musique de Sibelius donne le sentiment d’exprimer l’infinité des lacs et forêts de Carélie. Je le pensais déjà avant de visiter la Finlande, et j’en ai eu l’abondante confirmation au cours de l’été 2006. D’autres compositeurs finnois ont le même pouvoir d’évocation de la rudesse et de la poésie des vastes horizons de leur pays natal, comme Leevi Madetoja (1887-1947) ou Uuno Klami (1900-1961)
Pour Madetoja comme pour Klami, je recommande les versions inspirées de mon ami Petri Sakari dirigeant l’orchestre symphonique d’Islande.
Un siècle plus tôt, Mendelssohn parvenait à traduire assez justement les impressions qu’il avait retirées de son voyage en Ecosse à l’été 1829 et de sa visite de l’île de Staffa, où se trouve la grotte de Fingal, qui donnera le titre d’une ouverture écrite au cours de l’hiver 1830/31
Mais c’est sans doute en Amérique que les compositeurs du XXème siècle s’attachent, avec le plus de constance et de réussite, à traduire musicalement les paysages et les espaces qui les entourent. Aaron Copland (1900-1990) en est le prototype, même s’il ne peut être réduit au cliché de compositeur « atmosphérique », mais son ballet Appalachian spring évoque immanquablement la diversité de la chaîne des Appalaches.
Mais le spécialiste du genre est incontestablement Rudolph von Grofé, plus connu comme Ferde Grofé (1892-1972), arrangeur, orchestrateur (notamment de Gershwin), qui écrit des musiques ostensiblement descriptives – le Mississippi, le Grand Canyon, les chutes du Niagara…
Et puisque la déforestation massive est souvent mise en cause dans la dégradation du climat, on écoutera avec émotion cette ode à la forêt amazonienne, l’une des toutes dernières oeuvres – Floresta do Amazones – du grand compositeur brésilien Heitor Villa-Lobos (1887-1959)
Plus près de nous, qui connaît encore les évocations musicales des paysages de France qui constituent une bonne part du répertoire symphonique de Vincent d’Indy (1851-1931) ?
Depuis mon billet du 13 mai – https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/05/13/le-choix-du-chef/ – deux questions ont trouvé réponse : l’Orchestre de Paris a fini par annoncer ce qu’on savait depuis plusieurs mois de la bouche de l’intéressé, Daniel Harding est nommé à partir de septembre 2016, les Berliner Philharmoniker ont choisi (« à la surprise générale » selon les commentateurs !) Kirill Petrenko.
(De g. à d. Pascal Dusapin, Florence Darel, Daniel Harding, Barbara Hannigan à Paris le 10 janvier 2015)
Et si les Berlinois avaient juste choisi la musique plutôt que la com ? Le successeur désigné de Simon Rattle ne donne pas d’interview, il n’a pas fait campagne, il n’était pas cité parmi les favoris de la presse.
Morceaux choisis : une « journaliste » (les guillemets s’imposent) de la NDR, la radio publique du nord de l’Allemagne, explique que les musiciens avaient le choix entre deux chefs, tous deux invités à Bayreuth, Christian Thielemann, « expert en authentique sonallemand incarnant la figure noble de Wotan » et Kirill Petrenko représenté par « Alberich,le petit gnome, la caricature du Juif« . D’autres de faire remarquer, juste une allusion, que trois chefs juifs sont désormais aux commandes à Berlin : Ivan Fischer au Konzerthaus, Daniel Barenboim à la Staatsoper, et bientôt Petrenko chez les Philharmoniker. À vomir…
Enfin, se rappeler que malgré tous ses défauts, l’un des prestigieux prédécesseurs de Petrenko à Berlin, Herbert von Karajan reste, 25 ans après sa disparition, l’un des très grands chefs, notamment pour l’opéra. Après EMI et les deux formidables coffrets édités en 2008 (pour le centenaire de la naissance du chef)
c’est Deutsche Grammophonqui met un point final à la réédition du legs discographique de Karajan sous le célèbre label jaune, avec tous les opéras gravés pour Decca et Deutsche Grammophon, ce qui nous vaut, entre autres, tout le Ring, deux Tosca, la légendaire Fledermaus de 1959, et tout le reste….(détails ici : http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2015/06/27/karajan-bouquet-final-8462677.html
On se rappelle l’aubaine, pour les programmateurs et les maisons de disques : 2013 marquait le bicentenaire de la naissance des deux monstres sacrés qui se sont partagés l’Europe lyrique du XIXème siècle, Verdi et Wagner.
Le hasard a voulu que j’entende cette semaine deux de mes ouvrages préférés de l’un et de l’autre. D’abord lundi soir, au théâtre des Champs-Elysées, Macbeth et hier à Montpellier l’unique cycle de mélodies de Wagner, ses Wesendonck-Lieder.Macbeth c’est d’abord un coup de coeur au disque et c’est, pour moi, plutôt une rareté à la scène, il y a longtemps à Genève (ou à Paris) je crois, plus récemment, le 28 décembre 2013 à Saint-Petersbourg, un souvenir extraordinaire : un cast exclusivement russe (Vladislas Slunimsky en Macbeth, Tatiana Serjan en Lady Macbeth, Evgueni Nikitin en Banquo, et surtout les forces orchestrales et chorales déchaînées par le démiurge ValeryGergiev et une mise en scène d’une grande beauté de David McVicar. La production du Théâtre des Champs-Elysées a beaucoup d’atouts (mais compte-tenu des protagonistes, le devoir de réserve m’impose de ne pas émettre d’avis !).
C’est à l’évidence un opéra atypique dans l’oeuvre de Verdi, puisqu’il suit de près l’ouvrage de Shakespeare. Deux rôles écrasants, le couple Macbeth, surtout elle, il faut une voix grande, large, puissante mais subtile (comme Abigaille dans Nabucco), le reste des comparses ne faisant que des apparitions, un seul air de ténor (celui de Macduff) mais valant à son interprète toutes les ovations.
Comme toujours chez Verdi, le baryton se taille la part du roi, ici le sublime Renato Bruson, qui est l’atout maître de la version Sinopoli
On a toujours considéré que la version d’Abbado était une référence.
Sans doute pour la Lady Macbeth de Shirley Verrett dont c’était une grande incarnation, et le timbre rayonnant de Piero Cappuccilli mais comme souvent chez Abbado, je suis en manque de fougue, de théâtre, de sens dramatique…
Ma version de chevet, même imparfaite, c’est Riccardo Muti, pour l’impact dramatique,la vision, l’ensemble;
Changement de registre, un Wagner plus amoureux qu’héroïque, avec ce cycle de mélodies sur des poèmes de Mathilde Wesendonck ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Wesendonck-Lieder), dans la version orchestrale due à Felix Mottl (qui pourrait être de la plume de Wagner).
A Montpellier, ces Wesendonck étaient couplés au Château de Barbe-Bleue de Bartok, dans une mise en espace et en lumière de Jean-Paul Scarpitta. Couplage audacieux.
Encore un « rôle » exigeant une tessiture large, de la puissance et de la douceur. On a naguère invité Nora Gubisch à Liège qui donnait une intensité charnelle à ces poèmes, on a entendu hier soir Angela Denoke, timbre ample, pulpeux, épanoui, qui ne m’a jamais déçu.
Un peu compliqué au disque : je n’accroche pas vraiment aux « spécialistes » wagnériennes comme Flagstad, Nilsson ou Varnay. Découverte sur le tard, ma version n°1 est celle d’Eileen Farrell.. et Leonard Bernstein, un couple plutôt inattendu surtout dans Wagner ! Magnifique…
Mais j’ai grandi avec Jessye Norman et Colin Davis.