Alla turca

Certains artistes cherchent les ennuis. C’est évident dans le cas du pianiste turc Fazil SayIl sait jouer du piano, nul ne le conteste, mais les puristes se bouchent encore le nez (ou les oreilles) quand il prétend aborder les répertoires sérieux, comme Mozart.

A-t-on idée de promener de par le monde depuis des années un bis qu’on lui réclame à la fin de chaque récital, cette improvisation délirante et jouissive sur la célèbre Marche turque de la 11ème sonate de Mozart ?

Comme si Fazil Say n’était pas capable de jouer l’original avec le soin et l’attention requis ?

Il se trouve qu’une des sorties de l’automne est l’intégrale des sonates pour piano de Mozart que le pianiste turc (habitué du Festival de Radio France) a gravée pour Warner.

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Alain Lompech a fait une critique enthousiaste dans Diapason mais, à lire les nombreux commentaires sur les réseaux sociaux, la vision de Mozart de Fazil Say est loin de faire l’unanimité. Comme s’il y avait une norme, des règles, qui définissent ce que doit être l’interprétation de ce corpus pianistique. J’ai acheté ce coffret, intrigué par la polémique qu’il a suscitée. Ce n’est jamais un Mozart extravagant ou déjanté, encore moins vulgaire ou anachronique. Comme Lompech, j’entends une approche d’une fraîcheur bienfaisante, comme celle d’un explorateur qui s’émerveille devant ce qu’il découvre, même si le cadre formel des sonates de Mozart est nettement plus contraint, « classique » que celles de Haydn. De surcroît, Say rompt avec le classement chronologique, et s’appuie sur les proximités de tonalité.

Un coffret peu orthodoxe certes, mais tellement revigorant dans un paysage musical où l’uniformité tend trop souvent à gommer les vraies personnalités.

Dans un tout autre style, je garde une affection extrême pour l’art de Lili Kraus dans ces mêmes sonates de Mozart, et les quelques concertos qu’elle a enregistrés à Vienne au tout début des années 60 (Sony Japon).

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Légendes vivantes

Demain, peut-être, je commenterai l’actualité politique de ce week-end. Mais en cette fin de dimanche après-midi pluvieuse, je veux plutôt faire partager mes enthousiasmes… pianistiques. J’ai acheté trois magnifiques coffrets, dont je reparlerai en détail, et en ai profité pour ressortir de ma discothèque des disques que je n’avais plus écoutés depuis longtemps. Et quelles (re)découvertes !!

Grâce à François Hudry, j’ai eu la chance de faire la connaissance, il y a maintenant un bon quart de siècle, d’une merveilleuse musicienne, la pianiste espagnole Teresa Llacuna, qui a enregistré quelques trop rares disques, dans les années 70, pour EMI. Je me rappelais ses  Falla de référence, mais je n’avais prêté qu’une oreille distraite à ses Granados, qui m’ont littéralement scotché sur mon fauteuil cet après-midi. Warner serait très inspiré de republier ces enregistrements, surtout en cette année centenaire de la mort de Granados !

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Honte à moi, je n’avais jamais écouté Elisabeth Leonskaia dans Schubert, alors que je l’admire depuis longtemps dans Brahms, Chopin ou Schumann. Mais, allez savoir pourquoi, je n’associais pas spontanément la grande pianiste russe à l’univers schubertien. Et j’avais grand tort. On ne peut que remercier Warner de publier ce magnifique coffret, sur lequel je reviendrai.

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Qui se rappelle aujourd’hui les débuts, couvés par le grand Artur Rubinstein, d’un tout jeune pianiste français François-René Duchâble ? Et d’admirables disques Chopin, comme une intégrale des Etudes que je ne suis pas loin de considérer comme une référence.

https://www.youtube.com/watch?v=0W7EHe2ZrI8

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Enfin une fabuleuse réédition, tout le legs discographique du pianiste américain, parisien d’adoption Julius KatchenOn y reviendra avec gourmandise, tant il y a de trésors dans ce coffret.

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Et puis, pour illuminer définitivement ce dimanche soir, cet écho d’un tout récent concert des Prom’s. Phénoménal en effet…

https://www.youtube.com/watch?v=rYaUxMM8gzU

Grand piano

Jeudi au Théâtre des Champs Elysées Michel Dalberto remplaçait le cher Menahem Pressler, retenu aux Etats-Unis pour raisons de santé.

fantastique_fantastique_dalbertoMichel avait repris la plus grande partie du programme prévu par son aîné, et pour qui, comme moi, avait encore dans l’oreille les derniers récitals de Menahem Pressler, la confrontation était passionnante.

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Une première partie viennoise, le rondo K.511 de Mozart et la sonate D 894 de Schubert. Autant le vieux maître, fondateur du mythique Beaux Arts Trio, n’est que douceur, tendresse, confidence – prudence parfois pour ne pas risquer une perte de contrôle digitale – autant le pianiste français joue de toute la palette d’un piano somptueux et de toutes les ressources stylistiques de ces chefs-d’oeuvre. Ce n’est pas une surprise, on sait que Michel Dalberto est dans son élément naturel, depuis son grand Prix du Concours Clara Haskil en 1975, et les disques exceptionnels qu’il a consacrés à Schubert (dont une intégrale parue chez Denon republiée par Brilliant Classics).

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Deuxième partie, du piano plus impérial encore si c’est possible, Debussy et Chopin, si proches finalement, le Prélude op.45, cinq mazurkas, la 4e Ballade, trois extrais du 2e cahier d’Images. Et deux bis qui n’avaient rien de fortuit : d’abord pour rendre hommage à  Pressler La soirée dans Grenade de Debussy puis à son maître Vlado Perlemuter, une phénoménale Ondine (le premier volet de Gaspard de la nuit) de Ravel.

Le printemps

La Tribune des critiques de disques de France Musique avait mis à l’honneur ce dimanche Beethoven et l’une de ses oeuvres les plus célèbres : sa 5eme sonate pour violon et piano dite « Le printemps« .

http://www.francemusique.fr/emission/la-tribune-des-critiques-de-disques/2014-2015/sonate-violon-piano-printemps-beethoven-10-05-2014-20-30

Excellente idée de faire le point sur la surabondante discographie de cette sonate, qui est toute allégresse, bonheur simple, tournée vers Haydn et Mozart. Le risque ou le piège d’une écoute morcelée, à l’aveugle, qui est le propre de ce genre de tribune, est de détruire les mythes, d’abîmer les versions dites « de référence ». En l’occurrence, tel n’a pas été le cas, et on a plutôt aimé redécouvrir une version qui avait fait sensation à sa parution il y a 40 ans : Perlman/Ashkenazy.

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J’imagine que Jérémie Rousseau a reçu quantité de messages de protestation : pourquoi n’avoir pas retenu, ou avoir oublié telle ou telle version légendaire, ou toute récente ? Les mélomanes, et cette espèce particulière de mélomanes que constituent les discophiles, ont leurs exigences, leurs préférences, leurs propres références !

Pour compléter le beau panorama offert par la dernière Tribune, quelques-unes de mes versions favorites.

La toute récente intégrale des sonates pour violon et piano de Beethoven captée en concert au Wigmore Hall de Londres par un duo qui fonctionne à merveille, Alina Ibragimova et Cédric Tiberghien

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Après sa légendaire partenaire Clara Haskil, Arthur Grumiaux a réenregistré six des dix sonates pour violon et piano de Beethoven avec Claudio Arrau (en 1975/1976). Cet enregistrement nous a été restitué dans la collection Eloquence. Un grand duo !

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Dans les grands anciens, impossible de passer à côté du charme et du rayonnement solaire de deux de nos plus grands violonistes français, Christian Ferras et Zino Francescatti (et de leurs formidables partenaires respectifs, Pierre Barbizet et Robert Casadesus)

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