Un président peut en cacher un autre

On ne peut pas ne pas avoir remarqué le jeu de cache-cache médiatique auquel se livrent cette semaine deux présidents de la République, l’actuel, Emmanuel Macron, et son prédécesseur, François Hollande.

Quand le premier est l’hôte du JT de TF 1 à 13 h ce jeudi, l’autre qui était déjà sur France 2 mardi soir, s’invite sur la 5 le même soir dans C à vousalors qu’il avait déjà fait la matinale de France Inter. Et on nous annonce pour dimanche soir une interview croisée   d’Emmanuel Macron face à Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin.

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Evidemment, cette concomitance, organisée ou fortuite (?), encourage journalistes et commentateurs à ne retenir que les oppositions entre les deux hommes, les tacles de celui qui ne manque pas une occasion, dans son livre et sur les plateaux de télévision, de rappeler qu’il a sinon « créé » Macron du moins que sans lui, Hollande, son successeur n’aurait jamais pu… lui succéder !

Alors ce livre de François Hollande ? D’abord une remarque que j’ai peu vu partagée : c’est, sauf erreur de ma part, la première fois qu’un ancien chef d’Etat, français ou étranger, écrit ses souvenirs – on aurait du mal à appeler cela mémoires – moins d’un an après son départ du pouvoir.

Ensuite, comme l’a relevé un journaliste malicieusement, c’est un peu un remake du bestseller de Gérard Davet et Fabrice Lhomme (Un président ne devrait pas dire çà).

Il n’empêche que ce témoignage vaut pour les chapitres qui n’ont pas retenu l’attention des médias (Macron, les femmes de Hollande) : les relations internationales, les rapports avec les dirigeants de la planète, la solitude inhérente à la fonction. Du coup, on en reste à un goût de trop peu – y aura-t-il une suite plus élaborée ? – et à l’impression un peu pénible d’un personnage, pour qui on a souvent éprouvé de la sympathie mais qui n’a toujours pas digéré son retrait forcé le 1er décembre 2016.

Quant à Emmanuel Macron, je suis en train de lire un bouquin vraiment intéressant – et bien écrit ce qui ne gâche rien ! – qui vaut infiniment mieux que le résumé schématique de son bandeau de couverture.

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Oui Mathieu Larnaudie s’est bien intéressé à la désormais fameuse promotion Senghor de l’ENA, qui a vu sortir le futur président de la République et toute une génération qui est aujourd’hui aux commandes de nombre d’entreprises, de ministères ou d’institutions.

Et si on veut bien se donner la peine de lire les portraits et les interviews menés par Larnaudie, jamais à charge ni complaisants, de personnalités qui ont certes en commun le passage par l’ENA au début du siècle, mais qui sont loin d’avoir les mêmes opinions politiques, on constatera vite l’inanité des commentaires, de la presse ou des réseaux sociaux, sur le « clan » Senghor qui se partagerait tous les postes, dans le cadre évidemment d’un complot organisé.

Que n’a-t-on pas lu, par exemple, sur la toute récente désignation de Sibyle Veil comme présidente de Radio France ? A peine avait-elle annoncé sa candidature, qu’on soulignait sa double « proximité » avec Emmanuel Macron – membre de la même promotion Senghor et de surcroît épouse de Sébastien Veil, censé être du « premier cercle » du nouveau président ! – Et il allait de soi que le CSA, aux ordres, allait la choisir pour complaire au Château… Que Sibyle Veil ait fait une partie de sa carrière au cabinet de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, qu’elle ait été nommée à l’été 2015 – deux ans avant l’élection d’E.Macron ! – directrice des finances et des opérations de Radio France, et que sa candidature à la présidence – à la suite de la révocation de Mathieu Gallet – ait eu une pertinence évidente pour poursuivre le travail qu’elle avait déjà engagé au sein de l’équipe dirigeante de la Maison ronde, que son projet présenté publiquement devant le CSA ait été le plus complet et le plus convaincant, tout cela compte peu… face à l’argument définitif embouché par tous ceux qui ont oublié de réfléchir avant de parler…

Thalys, Palmyre : com’ de crise ou crise de com’ ?

Deux événements occupent depuis hier le devant de l’actualité : l’attentat manqué du Thalys et la destruction de l’un des édifices majeurs du site antique de Palmyre en Syrie.

Sur le Thalys, je ne vais pas répéter ce que j’écrivais dans un précédent billet (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/08/05/vox-facebooki/). J’ai relayé ce matin sur ma page Facebook et mon compte Twitter ce que le président de la République a écrit :

Cette Légion d’Honneur récompense le courage et le formidable acte d’humanité de Christopher Norman, Anthony Sadler, Aleksander Skarlatos et Spencer Stone ‪#‎Thalys‬« 

Je l’ai entendu en direct citer les autres « héros » de l’événement (l’un voulant demeurer anonyme, l’autre étant encore hospitalisé) mais il n’a pas fallu deux secondes pour que, sur les réseaux sociaux, une fois de plus, la meute se déchaîne contre ce président si nul, si mal informé, parce qu’on n’avait vu que les quatre décorés du jour !

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On a parfois honte de considérer certains comme des « compatriotes ».

En revanche, ayant longtemps été un usager régulier du Thalys, je n’avais pas été surpris du témoignage de l’acteur Jean-Hugues Anglade. Combien de fois n’avais-je pas constaté, dans des circonstances évidemment beaucoup moins dramatiques, l’absence, l’évanescence des contrôleurs (laissant souvent les stewards faire le boulot à leur place), leur attention très relative aux passagers !

Mais qu’une personnalité connue s’avise de dénoncer un comportement problématique, ça la fiche mal, et c’est là que les « pros » de la com’ de crise interviennent : http://www.challenges.fr/politique/20150824.CHA8645/thalys-comment-la-sncf-essaie-d-eteindre-la-polemique-anglade.html.

Extraordinaire dialectique ! On n’imaginait pas pareille résurgence des principes léninistes : le Parti (la SNCF ici) a toujours raison.

L’autre événement qui a évidemment une dimension historique, politique et morale sans commune mesure avec l’attentat manqué du Thalys, c’est Palmyre. Après l’assassinat de l’ancien directeur du site antique, c’est maintenant la destruction du temple de Baalshamin. Evidemment, la colère, l’indignation sont générales. J’évite à dessein de surenchérir dans le vocabulaire qui décrit les faits et mon sentiment.

Parce que, précisément, les auteurs de cette barbarie utilisent remarquablement toutes les ressources de la communication moderne. Et à leur profit.

Hitler, Staline, Pol Pot, et d’autres encore en Arménie ou au Rwanda pouvaient commettre génocides et meurtres de masse à l’abri des regards indiscrets, et dans l’indifférence (ou la neutralité) à peu près générale.

Les groupes qui, au Proche Orient, en Afrique (ne pas oublier Boko Haram et AQMI), font de la terreur et de l’horreur leur seule arme politique, font en sorte que leurs forfaits connaissent le retentissement maximal, suscitent la réprobation générale, mais surtout – et c’est là le piège tendu à nos démocraties, à nos libertés – ils provoquent la révolte des citoyens de bonne foi contre leurs propres dirigeants incapables – c’est ce qui s’écrit à longueur de « commentaires » – d’agir et de réagir face à ces terroristes. On est surpris d’ailleurs qu’Obama, Hollande, les dirigeants européens, ne prennent pas des cours de stratégie en lisant Facebook…. Le club des « Y a qu’à » et des ‘Faut qu’on‘ n’a jamais connu autant d’adeptes !

On parle bien d’un piège : donner un large écho, s’indigner avec vigueur de leur barbarie ne fait que renforcer ces terroristes, ne pas rendre compte de leurs forfaits nous en rendrait complices.

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Il me semble cependant qu’on peut, en tant que citoyens libres dans un pays libre, éviter de se tromper de cible, et face à une menace d’une ampleur inédite, garder le sens de la mesure dans notre expression et manifester une solidarité élémentaire à l’égard de ceux qui nous gouvernent, quelles que soient nos opinions.