La découverte de la musique (VI) : le cor des Alpes et Karajan

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Avant de poursuivre le récit de mon été festivalier de 1974 (Lucerne), une précision géographique qui n’est pas sans rapport avec la musique. La petite ville du centre de la Suisse est située au bord du lac des Quatre Cantons (Vierwaldstättersee), protégée par deux montagnes familières aux Lucernois : le Pilatus ci-dessus, et le Rigi ci-dessous.

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Animant un jeu de culture musicale le samedi matin, à la fin des années 80, sur la chaîne culturelle de la Radio suisse romande (Espace 2), j’étais toujours en quête d’anecdotes, de musiques méconnues. J’avais reçu de l’éditeur suisse Claves un CD auquel je n’avais guère prêté attention (le titre et la couverture n’y incitaient pas vraiment) et que j’ai fini par ouvrir, en panne d’inspiration.

J’ai alors découvert que c’est au cours d’un séjour sur les pentes du Rigi que le jeune Brahms a entendu une sonnerie de cor des Alpes (Alphorn), qu’il a reproduite sur une carte postale qu’il a envoyée à Clara Schumann… et qu’il a ensuite utilisée telle quelle dans le finale de sa Première symphonie !

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Un souvenir plus récent : au cours d’une séance d’Ecouter la musique consacrée à la 1ere symphonie de Brahms à Liège, le cor solo de l’Orchestre, Bruce Richards, nous avait fait la surprise de jouer ce fameux thème sur un authentique cor des Alpes !

Revenons à l’été 1974 et au Festival de Lucerne.

Ma mémoire a fait un tri dans les concerts qui ne m’ont pas marqué ou déçu. L’un des temps forts du Festival devait être le concert de Yehudi Menuhin – les concertos pour violon de Bach avec les Festival strings, placidement dirigés par Rudolf Baumgartner. J’ai déjà raconté (lire Quelque chose de Menuhin) ma déception, et ma surprise le lendemain.

Le festival de Lucerne déborde largement sur septembre, mais la perspective de la rentrée scolaire pour mes deux soeurs plus jeunes (ma rentrée universitaire était pour début octobre) obligeait la petite famille à rentrer en France. J’ai tout de même pu assister à l’un des deux concerts de Karajan avec « son » orchestre philharmonique de Berlin, le 31 août. J’en suis sorti – bêtement – déçu, je n’étais pas prêt à goûter les subtilités d’un programme qui comportait La Mer de Debussy et le Pelléas et Mélisande de Schoenberg. Le triptyque debussyste ne m’était pas familier, quant à Schoenberg je faisais manifestement un blocage (cf. mon billet d’hier). Je me suis rattrapé depuis…

Karajan et Lucerne, c’est une histoire qui vaut d’être rappelée. Le chef autrichien, compromis avec le régime nazi, avait été, de fait, banni des principales scènes de concert et d’opéra dans l’immédiat après-guerre. En 1948, le festival de Lucerne, fondé dix ans plus tôt par Ansermet et Toscanini, lui tend la main et lui offre ainsi une réhabilitation spectaculaire. Karajan ne l’oubliera jamais, et jusqu’en 1988 (il est mort en juillet 1989), il honorera chaque été le festival de Lucerne de sa présence. Le rituel était immuable : à partir de 1968 avec les Berliner Philharmoniker deux concerts, deux programmes différents le 31 août et le 1er septembre (le détail de quarante ans de présence de Karajan à Lucerne sur l’excellent site japonais Karajan info). C’est dans l’orchestre du Festival que Karajan trouvera son légendaire premier violon berlinois Michel Schwalbé. C’est aussi avec cet orchestre qu’il réalisera, trois mois avant sa mort prématurée, en septembre 1950, l’un des disques les plus parfaits de Dinu Lipatti, un 21ème concerto pour piano de Mozart, pour l’éternité !

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Disques d’été (II) : vive la Suisse !

Nul ne devrait ignorer que le 1er août est le jour de la Fête Nationale suisse (https://fr.wikipedia.org/wiki/Fête_nationale_suisse).

Petite revue de détail de disques récents d’interprètes hélvètes.

On a en déjà parlé (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/07/27/souvenirs-meles/) : une réédition très bon marché (en téléchargement) d’une intégrale des symphonies et trois ouvertures de Schubert, qui tient fièrement sa place face aux Harnoncourt, Marriner, Abbado et autres références, celle du regretté Marcello Viotti (chef suisse pur jus)

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Marcello était un formidable chef d’opéra, qui a eu heureusement le temps de graver plusieurs ouvrages, dont ces courts opéras de Rossini 

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et son dernier enregistrement avec un « cast » de premier choix :

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L’autre Suisse qui fait l’actualité, tout jeune quadragénaire, qui se partage entre Paris et Vienne, est Philippe Jordan, directeur musical de l’Opéra de Paris et des Wiener Symphoniker. Une discographie encore maigre, mais construite, comme tout ce que fait le fils d’Armin Jordan, avec un soin particulier : musique française à l’honneur – l’atavisme ! -dans des disques où les timbres, la chaleur de l’incomparable orchestre de l’Opéra sont exaltés.

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Enfin, il faudrait y consacrer plusieurs billets – le grand festival suisse de l’été finissant c’est Lucerne, on y a tant de souvenirs ! Personne ne peut oublier celui qui en fut l’âme durant la dernière décennie : Claudio Abbado, qui avait ressuscité l’orchestre du festival de Lucerne, tel que les fondateurs, Ansermet et Toscanini l’avaient imaginé, les meilleurs musiciens d’Europe rassemblés l’espace d’un été sur les rives du Lac des Quatre-Cantons à l’ombre du Rigi et du Pilatus.

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