Berlioz versus Stravinsky

Les Troyens c’est probablement l’ouvrage – un opéra en 5 actes ! – qui conforte ceux qui aiment autant que ceux qui détestent Berlioz. Les premiers y voient et y entendent les trouvailles géniales, l’absence de limites à une inventivité phosphorescente, les seconds y trouvent des longueurs loin d’être toujours « divines », les élucubrations d’un personnage mégalomane.

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Le spectacle qu’on a vu à l’opéra Bastille mercredi – devant un impressionnant parterre de directeurs d’opéras ! – n’aura sûrement pas fait changer d’avis les détracteurs du compositeur natif de La Côte Saint-André… mais pas non plus convaincu – c’est un euphémisme – ses admirateurs. On a connu metteur en scène plus inspiré (Dmitri Tcherniakov), fosse et plateau plus enthousiasmants. Occasion manquée. J’en reste au souvenir ébloui du spectacle vu à Amsterdam en 2010.

Consolons-nous si besoin avec quelques perles du coffret Berlioz (Berlioz Complete workscomme ce magnifique Nocturne à deux voix (jadis paru sous étiquette DGG)

Coffret Berlioz qui comprend la fantastique intégrale des Troyens captée à Strasbourg en novembre 2017 !

Signalons aux fans du ténor Michael Spyres – j’en suis ! – qu’il chantera le rôle-titre de Fervaal de Vincent d’Indy – en version de concert – le 24 juillet prochain à Montpellier dans le cadre du Festival Radio France !

Hier soir, à Radio France, célébration du talent et de la jeunesse : un violoncelliste de 20 ans devenu star mondiale par la grâce d’un mariage princier, un chef qui le toise du haut de ses…32 ans (!!) qu’on découvre à chaque concert, depuis 2014, plus pertinent, insolemment doué, charismatique – si le mot n’est pas trop galvaudé .

51600587_10156314440032602_7981583776243253248_nSheku Kanneh-Mason jouait le concerto d’Elgar et Santtu-Matias Rouvali dirigeait l’orchestre philharmonique de Radio France, en état de grâce, dans Debussy (Prélude à l’après-midi d’un faune, avec la flûte enchantée de Magali Mosnier) et Stravinsky (phénoménal Petrouchka). Rouvali avait déjà offert au public de Montpellier, en juillet 2018, un Sacre du printemps idiomatique, narratif, légendaire. Il renouvelle l’exploit avec Petrouchka, et quelle maîtrise exceptionnelle d’une partition qui reste, cent huit ans après sa création, d’une complexité intimidante pour les interprètes !

Un concert à écouter absolument sur francemusique.fr

Mon métier comporte son lot de contraintes, de déceptions, de désagréments, mais je les oublie vite quand j’ai la chance de rencontrer des artistes comme ces deux-là. Si simples, modestes, très conscients des risques d’une notoriété trop vite acquise, si profondément musiciens. Longue et belle vie à Sheku ! Quant à Santtu-Matias Rouvali, le prochain rendez-vous est déjà pris : il vient avec « son » orchestre philharmonique de Tampere à Montpellier pour deux concerts en juillet 2019 (#FestivalRF19) !

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Premières

Trois premières très différentes cette semaine.

Lundi soir au Châtelet l’un des films les plus originaux de Marcel L’Herbier, magnifiquement restauré, L’Inhumaine, de 1924.

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Une restauration parfaite à voir le 4 mai prochain sur Arte. Explications de Serge Bromberg :

Pour cette nouvelle restauration, Lobster Films a pu reprendre le travail depuis les négatifs originaux nitrate encore en bon état grâce au matériel conservés par le CNC.
Ces éléments ont été scannés en 4K sur le Nitroscan des laboratoires Eclair, et la restauration numérique a été effectuée aux laboratoires Lobster Films en 2014. 
Mais outre la qualité d’image absolument lumineuse de cette nouvelle restauration, c’est la restitution des teintes qui permet de découvrir enfin L’Inhumaine telle que Marcel L’Herbier l’avait imaginée. En effet, l’usage était de monter le négatif des films dans l’ordre des teintes. Sur une même bobine se trouvent assemblés bout à bout tous les éléments teintés bleus, sur une autre les éléments teintés verts, ou jaune, ou rouge. 
Ainsi, en remettant dans l’ordre ces plans filmés en noir et blanc et en suivant les indications précieuses écrites à l’encre directement sur la pellicule – indications ne figurant pas sur l’interpositif des années 1970 – ce sont bien les teintes d’origine qui son reconstituées pour chaque plan. Certaines chutes de montage donnent également des indications de teintages et de virages authentiques, et datant de l’époque. 
La remise dans l’ordre de ces plans après teintage révèle l’œuvre au plus proche de ce qui fut montré pour la première fois, éclatante de précision, de beauté formelle et véritable feu d’artifice hypnotique de teintages et de virages. Quant au problème de l’intensité des teintes et de l’insertion des flashes de couleurs pures dans le montage final très rythmé, il a pu enfin être résolu grâce aux nouvelles technologies de restauration numérique.
Une résurrection…

Le film était accompagné par une création musicale du percussionniste Aidje Tafial pour ensemble instrumental, en partie inspirée des partitions que Darius Milhaud avait composées pour deux séquences majeures du film. Indépendamment de la qualité des interprètes, la musique peinait à se renouveler, donnant un sentiment de monotonie paradoxal pour un film aussi audacieux dans le propos, les décors, les situations…

Mardi c’était la première de Penthesilea, le septième opéra de Pascal Dusapin, à La Monnaie de Bruxelles. 

Une heure et demie de musique âpre, sombre, extrêmement prenante – c’est la marque du compositeur – qui vous empoigne et ne vous lâche plus jusqu’au terme de l’oeuvre.

“Dévorée par la passion, rongée par le devoir, affamée par le désir” : telle est Penthésilée, la reine des Amazones, face au guerrier grec Achille qu’elle affronte durant la guerre de Troie. Mais comment traiter de la démesure en évitant le piège de la surenchère illustrative ? C’est à ce dilemme que répond magistralement Pascal Dusapin en composant son septième opéra, Penthesilea, une commande de la Monnaie de Bruxelles, sur l’un des mythes les plus terrifiants de la Grèce antique qui relate la mort d’Achille, tué et dévoré par celle qu’il aime, Penthésilée.
Peu d’auteurs se sont risqués à l’approcher et, quand ils l’ont fait, c’était au risque d’une réprobation générale. Lorsque Heinrich von Kleist s’empare du sujet pour écrire une pièce de théâtre en 1807, celle-ci fait scandale, ne sera jamais publiée de son vivant et devra attendre le XXe siècle avant d’être montée (Fabienne Arvers, Les Inrocks)

Deux jours plus tard, contraste total avec une autre première (pour moi), Le Pré aux Clercs, l’un de ces nombreux opéras français du début du XIXème siècle, dû à Ferdinand Hérold, qui remporta un succès immédiat à sa création en décembre 1832 à l’Opéra-Comique qui le proposait dans une nouvelle production mise en scène avec autant d’efficacité que de sobriété par Eric Ruf, bien dirigée par Paul McCreesh à la tête de l’orchestre Gulbenkian, dans des costumes « d’époque » superbes.

Modèle des Huguenots de Meyerbeer, inspiré de l’unique roman de Mérimée et du style troubadour, c’est l’ouvrage qui, quoiqu’ayant causé la mort de son compositeur, resta le plus longtemps au répertoire de l’Opéra Comique, avec plus de 1600 représentations jusqu’en 1949 !

Distribution de belle qualité, presque entièrement francophone, mention spéciale pour Michael Spyres, Eric Huchet, Marie Lenormand, Jael Azzaretti, Emiliano Gonzalez Toro.

Malheureusement il faudra attendre la publication en CD prévue par le Palazzetto Bru Zane pour se remettre l’ouvrage dans l’oreille, France Musique n’ayant pu capter l’ouvrage pour cause de grève.

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