Et si, pour une fois

emmanuel-macron-et-ses-ministresEt si, pour une fois…

… on faisait crédit à un Président installé depuis moins d’une semaine, à un gouvernement nommé avant-hier, au lieu de systématiquement et immédiatement dézinguer les uns, ricaner des autres.

… on avait le droit de se réjouir que des professionnels reconnus, de belles personnalités – je pense en premier lieu évidemment à Françoise Nyssen, la nouvelle Ministre de la Culture – soient nommés aux bons postes, aux bonnes responsabilités.

… on écoutait, on respectait les électeurs, qui ont tout de même montré éloquemment qu’ils ne faisaient plus confiance aux partis traditionnels, et qui ont placé en tête du premier tour deux candidats qui proposaient de rompre avec les vingt dernières années, et qui, aujourd’hui, ont envie d’espérer que quelque chose change enfin

… on changeait de logiciel  – ce que vient de dire Mathieu Croissandeau, le patron de l’Obssur France 5 – pour analyser la nouvelle donne politique,  ce fait majeur que sont l’élection du plus jeune chef d’Etat qu’ait connu notre pays,  et la constitution d’un gouvernement qui réunit en effet des ministres d’origines politiques diverses. Les partis traditionnels, sévèrement battus au premier tour de la présidentielle, et beaucoup d' »experts »médiatiques de la chose publique, continuent à appliquer des grilles d’analyse qui n’ont plus cours, à se livrer au jeu aussi facile que vain qui consiste à monter en épingle les propos passés des nouveaux ministres sur le nouveau Président et sa ligne politique. Rien que le décompte – tant de ministres de droite, tant de gauche, tant du centre – est obsolète.

… on revendiquait une fierté retrouvée d’être de nouveau, nous la France, le centre d’intérêt du monde entier, et de l’Europe en particulier. Le nouveau président, comme Obama jadis aux Etats-Unis, est attendu, entendu avec espoir, curiosité, bienveillance. Même si cela ne devait pas durer, il en est des premiers pas d’un président comme du premier contact d’un chef avec un orchestre : c’est la première impression qui compte. Et le moins qu’on puisse dire est qu’en dehors des éternels grincheux hexagonaux, les médias du monde entier se sont passionnés pour cette élection hors norme, et ce président qui bouleverse l’ordre établi.

… on cessait, pour quelque temps, l’auto-dénigrement, la dérision facile, pour souhaiter que cette nouvelle aventure réussisse, que les espoirs ne soient pas déçus. Finalement juste souhaiter que notre pays sorte de la spirale du déclinisme et de la morosité qui n’a que trop longtemps été son seul horizon.

Le sens du monde

Lundi soir j’espérais que toute la semaine serait marquée du sceau du bonheur éprouvé à l’écoute des deux voix mêlées de Sonya Yoncheva et Karine Deshayes.

13516558_10154610974329796_3279155323797290830_n(Photo J.Ph.Raibaud/TCE)

Celle qui va ouvrir le 11 juillet le Festival de Radio France Montpellier LRMP (lefestival.eu) – Karine Deshayes – retrouvait celle qui va clore en beauté le même Festival le 26 juillet avec Iris de Mascagni – Sonya Yoncheva. Pour un Stabat Mater de Pergolese (La jeunesse interrompue) très attendu par un théâtre des Champs-Elysées archi-comble, capté « live » par Sony qui devrait le publier à l’automne.

Ce mardi Radio Clapas diffusait une interview réalisée il y a quelques jours, dans laquelle j’évoque l’Orient fascinant, inspirant, qui trace le fil rouge de l’édition 2016 du Festival, en souhaitant qu’on oublie, le temps de quelques concerts, cet Orient guerrier, menaçant, mortifère !  A écouter ici : https://soundcloud.com/radio-clapas/interview-festival-radio-france-montpellier.

Le soir même j’étais sévèrement démenti, une fois encore la terreur aveugle frappait à Istanbul...

Et puis j’ai trouvé ceci sur Facebook, un discours pas comme les autres, qui vient à point pour redonner foi dans notre pauvre humanité, et du sens à notre présence dans ce monde.

 

 

Le difficile art de la critique

Je ne pensais pas qu’une ligne hier matin sur Facebook déclencherait un débat aussi nourri, argumenté et contre-argumenté sur un thème vieux comme le monde, en tout cas vieux comme le concert et le disque : la critique.

Point de départ : l’émission de nouveautés du disque animée par Rodolphe Bruneau-Boulmier et Emilie Munéra sur France Musique, que j’entends par hasard sur le chemin de l’aéroport. Rodolphe dit son embarras d’avoir à parler d’un double CD et son hésitation à en diffuser un extrait. Ce n’est pas n’importe quoi ni n’importe qui : les deux concertos pour piano de Brahms enregistrés en concert par Daniel Barenboim au clavier, Gustavo Duhamel dirigeant la Staatskapelle de Berlin, publiés par Deutsche Grammophon. Une belle affiche, un label prestigieux.

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Je prêtai d’autant plus l’oreille à RBB que j’avais déjà écouté un extrait sur Itunes et que j’avais été effondré par ce que j’avais entendu. Comment DG et les artistes avaient-ils donné leur accord à cette publication ?.

Impossible de résumer ici le débat qui s’en est suivi sur Facebook : « Pourquoi perdre du temps et de l’antenne à diffuser un mauvais disque ? » « Attitude démago-populiste, on se paye à bon compte un grand artiste », etc…

Rien de nouveau depuis l’équation : critique musical = musicien raté !

Résumons, on peut distinguer trois types de critiques :

  • les critiques auto-proclamés
  • les critiques automatiques
  • les critiques autocritiques

Dans la première catégorie, presque tous les internautes, adeptes des réseaux sociaux, animateurs de sites, blogs et autres forums. Comme les supporters de football, ils refont le match à la place des joueurs et les équipes à la place des sélectionneurs. Le problème c’est qu’ils finissent par croire qu’ils ont la science – de la critique – infuse et le font croire aux malheureux organisateurs de concerts qui n’arrivent plus à convaincre les rares critiques professionnels qui restent de faire un papier, un articulet, même une brève.

Les musiciens qui, pour certains, supportent déjà mal la critique tout court, supportent encore moins cette nouvelle race de critiques auto-proclamés (sauf lorsque, par exception, ils écrivent des gentillesses).

Je force le trait ? Pas sûr.

Dans la deuxième catégorie, les critiques automatiques, je range les fans, les fans de lyrique en premier. Leurs admirations, et leurs détestations, sont inconditionnelles, exclusives, pavloviennes. J’ai en mémoire deux discussions, lors de dîners entre amis qui faillirent se terminer en pugilats : l’une sur Callas – je n’avais fait qu’exprimer un ras-le-bol à propos d’une Xème réédition, d’un best of -, l’autre sur Joan Sutherland, dont le timbre caverneux et le français pâteux ne m’ont jamais séduit. Comme je ne suis pas un spécialiste de la chose lyrique, j’avais dit tout cela en passant, légèrement, et après tout si Callas et Sutherland ont leurs affidés, tant mieux pour eux. Mais on n’allait pas me laisser proférer pareils outrages, je devais rendre gorge…Et pour alimenter leur « argumentation » (?) mes contempteurs s’en prenaient violemment aux concurrentes supposées de leurs idoles, Tebaldi, Caballé, dont j’étais forcément le suppôt. Je me suis bien gardé depuis de glisser quelque nom de chanteuse dans une conversation…Tout au plus fait le test des écouteurs, que vous placez délicatement dans les oreilles de vos contradicteurs : faites entendre « Merce, dilette amiche« , le boléro d’Elena au 5e acte des Vêpres siciliennes de Verdi, d’abord par Callas – en général le torturé demande grâce dès les premières notes – puis, comme un baume, par Anita Cerquetti. Concluant non ?

Mais ce type de critiques automatiques vaut pour le piano, le violon, les chefs d’orchestre. Pour en revenir au point de départ de ce billet, Daniel Barenboim est le  type même de musicien qui les suscite. On en connaît qui, par principe, lui dénient toute qualité de chef d’orchestre ou l’exècrent comme pianiste.

Heureusement, il y a une troisième catégorie, les critiques autocritiques. Ceux qui n’ont pas d’avis définitif, qui font confiance à leur expérience et à leurs oreilles, plutôt qu’à l’air du temps, à la pression de la « com », qui aiment et respectent  suffisamment les artistes pour ne tomber ni dans la complaisance ni dans la condescendance.

La critique est une école de l’humilité. J’en ai fait l’expérience grâce à la première émission de critiques de disques qui a reposé sur le principe de l’écoute à l’aveugle, Disques en lice, lancée fin 1987 sur Espace 2, la chaîne culturelle de la Radio suisse romande, par François Hudry. Pendant six ans, jusqu’à mon départ pour France Musique, semaine après semaine, nous avons exploré tous les répertoires, entendu, comparé des centaines de versions et appris la modestie. Tel(le) pianiste présenté(e) comme une référence absolue ne passait jamais l’épreuve de la première écoute, tel orchestre au son typiquement américain s’avérait être plus français que français, tel(le) chanteur/euse  si reconnaissable était un(e) illustre inconnu(e).

La critique est nécessaire, n’en déplaise aux artistes. Elle est exigeante. Elle demande une juste distance, une grande culture, et l’amour de l’art de ceux que l’on critique.

Pourquoi sommes-nous si déçus par un nouvel enregistrement de Barenboim ? Parce que nous l’avons tant aimé dans des Mozart, des Beethoven d’exception, même des Chopin, récemment dans Schubert, et aussi dans les mêmes concertos de Brahms avec John Barbirolli dans ses jeunes années.

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Je sais aussi d’expérience, et la critique n’est pas mon métier, qu’on ne sert pas les musiciens, a fortiori quand on les aime, par l’hypocrisie ou le silence, on n’est pas obligé pour autant de les blesser inutilement. Le musicien, l’artiste sait mieux que quiconque si son récital, son concert, a été réussi ou… moins réussi. Il n’a que faire des compliments de complaisance.

Pour finir sur une note d’humour : j’assistais hier soir à l’ouverture de la 36ème édition de Piano Jacobins à Toulouse. Nicholas Angelich avait choisi de donner deux sonates de Beethoven (la 5ème et la 21ème « Waldstein ») et la Sonate de Liszt. Mon voisin, la cinquantaine bien mise, une allure de mélomane averti, se penche vers moi, tandis que résonnait encore la dernière note de la sonate de Liszt : « Vous savez ce qu’il a joué ? »…

P.S. Comme je ne veux pas me ranger dans la catégorie des critiques automatiques, je n’écrirai rien sur ce récital, parce que je serais forcément très subjectif. Ceux qui me connaissent savent la longue amitié, le profond respect, et la constante admiration que je nourris depuis bientôt vingt ans pour Nicholas.