L’orgue spectacle

Comme par une loi des séries morbide, les disparitions se sont enchaînées ce week-end : après Michel Legrand (Tristesse), l’écrivain Eric Holder (Mademoiselle Chambon), le journaliste et animateur Henry Chapieret l’organiste, compositeur, improvisateur Jean Guillou.

J’évoquais il y a peu l’excellent « guide » des organistes co-écrit par Vincent Warnier et Renaud Machart (Les bons tuyaux)

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C’est Renaud Machart qui avait « traité » le musicien, titulaire de l’orgue de Saint-Eustache à Paris de 1963 à 2015 (!).

img_1125(Saint-Eustache à Paris, le 22 janvier 2019)

C’est encore Renaud Machart qui signe, ce soir, dans Le Monde,, le portrait contrasté d’un organiste atypique, d’un musicien qui ne laissait personne indifférent. Extraits :

« Après Marie-Claire Alain (1926-2013), André Isoir (1935-2016) et Michel Chapuis (1930-2017), c’est le dernier grand organiste français de renommée internationale issu de cette formidable génération qui disparaît. Jean Guillou, titulaire de la tribune de l’église Saint-Eustache, à Paris, de 1963 à 2015, est mort à Paris samedi 26 janvier, le même jour que Michel Legrand. Il avait 88 ans…

Comme Legrand, qui travailla avec des artistes aux pedigrees divers, Guillou aura sans cesse voulu faire sortir l’orgue de l’église, travaillant avec le mime Marceau, s’intéressant aux chants des baleines, au théâtre nô, à la musique d’Extrême-Orient, à l’orgue de Barbarie, pour lequel il avait une tendre affection. La télévision devait lui consacrer de nombreux reportages et portraits où il témoignait de ces dilections…

...Guillou fut un improvisateur de génie, constituant des mondes sonores aux couleurs et miroitements qui pouvaient donner souvent l’impression d’une fresque sonore dépeignant l’Apocalypse, des abîmes de lave, des mondes surnaturels….

Peu sensible au jeu « historiquement informé « qui intéressa vite ses contemporains…, Jean Guillou n’était pas non plus affidé aux traditions de l’école d’orgue symphonique ou néo-classique. Il développera un style personnel, clair, incisif, détaillé, parfois surprenant dans ses choix de registration, mais d’une personnalité et d’une intelligibilité telles qu’il finissait par convaincre par sa logique propre, y compris dans d’étonnantes transcriptions dont il était l’auteur. »

Jean Guillou avait beaucoup enregistré pour Philips (un coffret avait été réédité il y a quelques années) puis pour d’autres labels.

Brilliant Classics avait édité un triple album, à très petit prix, toujours disponible, qui propose un panorama plutôt réussi de l’art du musicien disparu :

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Un premier CD enregistré sur les orgues de Saint-Eustache : Bach, Mozart, Widor, Liszt et Guillou lui-même, un deuxième capté sur l’orgue de Notre-Dame des Neiges de l’Alpe d’Huez à la conception duquel il avait directement participé, toute une série de transcriptions plus spectaculaires les unes que les autres, un troisième enfin avec des versions tout aussi enthousiasmantes des tubes de l’orgue avec orchestre, la 3ème symphonie de Saint-Saëns et la symphonie concertante de Jongen.

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Tristesse

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Michel Legrand (24 février 1932-26 janvier 2019)

Il y a trois ans déjà j’écrivais ceci : La mort et la tristesse et en mai dernier : Immortels

Pourquoi pleurer la mort d’un musicien, d’un artiste, d’un créateur ? Pour ses proches, la douleur, la peine, la tristesse sont compréhensibles, mais pour nous autres qui ne les avons connus que de loin ou par le seul truchement d’un média, quel sens notre affliction a-t-elle, surtout si elle s’affiche d’abondance sur les réseaux sociaux ? Comme s’il fallait participer à l’émotion collective obligée…

….En quoi une mort doit-elle nécessairement être triste (ah la formule convenue : « apprend avec tristesse la disparition de… ») ? en quoi et pourquoi devrait-elle nous attrister, nous affecter ?

La perte d’un proche, la mort d’un père, d’une mère, d’un enfant,  d’un être aimé, la tragique réalité de sa disparition de notre existence, de l’obligation qui nous est faite de continuer à vivre sans lui, en son absence, c’est une tristesse infinie, beaucoup plus, une douleur, un chagrin inépuisables. Que vos amis, vos relations, ceux qui vous sont connectés sur les réseaux sociaux, partagent votre peine, vous réconfortent, vous soutiennent, peut sinon atténuer votre douleur, du moins alléger le poids de cette mort. J’aime ce mot  de condoléances qui en rejoint un autre, tout aussi fort, la compassion.

Mais lorsqu’il s’agit de la disparition d’une célébrité de la politique, de la littérature, de la chanson, de la musique, de la scène, il n’y a pas de séparation, d’absence. Notre vie ne s’en trouve pas bouleversée…

Mardi dernier, lorsque j’ai appris l’accident de la route qui avait ôté la vie à un jeune (31 ans) et talentueux photographe de mes amis, j’ai été bouleversé, j’ai éprouvé une infinie tristesse, j’ai partagé la douleur de ses amis, de sa famille. Nous restent les souvenirs des beaux jours et ses photos.

Quand ce matin j’ai appris la mort de Michel Legrandje ne me suis pas cru obligé d’écrire des RIP sur les réseaux sociaux ou d’exprimer mon émotion ou ma tristesse. Ni de reprendre les « nécros » que les médias ont dégainées dès la nouvelle connue.

Sa disparition ne change rien à la célébrité, ni à l’universalité du talent de Michel Legrand. Que les hommages qui lui sont rendus permettent de redécouvrir les aspects moins connus de sa carrière et de sa création, on s’en réjouit.

Michel Legrand est mort, sa musique demeure, vive, vivante.

https://www.youtube.com/watch?v=URGTwqNAhhc

 

Les Français aux Oscars

Comme le disait une commentatrice de la soirée des Oscarsles compositeurs français ont la cote à Hollywood ! Après Maurice Jarre, Georges Delerue, Gabriel Yared, Michel LegrandAlexandre Desplat a été récompensé pour la seconde fois par un Oscar de la meilleure musique de film.

J’aime beaucoup l’homme et le compositeur, que j’ai eu la chance de rencontrer à plusieurs reprises avec son épouse, Dominique Lemonnier, elle-même musicienne, lors de concerts classiques notamment. Sa modestie n’est pas feinte, sa parfaite connaissance du répertoire symphonique est perceptible dans sa création. Dans cet entretien récent, rediffusé ce matin sur France 2, Alexandre Desplat cite Mozart et Bill Evans… il y a pires sources d’inspiration !

Je me suis réjoui que, l’an dernier, se soit concrétisé l’un des projets qui avaient été lancés à l’été 2014 pour les formations musicales de Radio France : Alexandre Desplat dirigeait l’Orchestre National de France pour enregistrer sa bande-son du dernier film de Luc Besson, Valérian et la cité des mille planètes (lire Dans les coulisses de l’enregistrement de la musique de Valerian).

Je ne vais pas ici enfoncer des portes ouvertes sur l’importance de la bande originale, de la musique d’un film. Ni retracer – il y faudrait tout un ouvrage – la longue histoire des compositeurs qui ont donné leurs lettres de noblesse à un genre qui est tout sauf secondaire. Au point que, pour certains, la postérité n’a retenu que leur contribution au 7ème art, comme Bernard Herrmann ou Nino Rota.

On signale la toute récente réédition en coffret très économique des enregistrements que Riccardo Muti a consacrés aux compositeurs italiens du XXème siècle, dont 2 à Nino Rota81cfRe2-rjL._SL1500_Et l’excellente anthologie Bernard Herrmann d’Esa-Pekka Salonen

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Pour en revenir aux compositeurs français récompensés par les Oscars à Hollywood, petite revue de détail – non exhaustive, mais impressionnante !

Maurice Jarre (1924-2009) remporte pas moins de 3 Oscars, en 1963 pour Lawrence d’Arabieen 1966 pour Docteur Jivagoen 1985 pour La route des Indes. , trois films de David Lean. 

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Pour des raisons toutes personnelles, je ne vois ni n’écoute jamais le Docteur Jivago sans être saisi d’une intense émotion.

En 1971, c’est Francis Lai qui est honoré pour Love Story

En 1972 Michel Legrand reçoit un Oscar pour Un été 42 et en 1984 pour Yentl.

En 1980, l’excellent Georges Delerue est récompensé pour la musique du film I Love you, je t’aime

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En 1997, c’est Gabriel Yared qui remporte un Oscar pour le superbe Patient anglais

Plus près de nous, c’est le Breton Ludovic Bource qui est distingué en 2012 pour le film hors catégorie The Artist de Michel Hazanavicius qui rafle 5 Oscars !

Originaux

Vendredi soir j’étais à la Cité de la Musique pour une expérience originale, un projet comme toujours un peu fou de l’inclassable Hervé Niquet et de son Concert spirituel : la restitution d’un office à Saint Louis des Français de Rome

« Orazio Benevolo (1605-1672) fut d’abord enfant de choeur à l’église Saint-Louis des Français de Rome, avant d’en devenir le maître de chapelle. Il est l’auteur de nombreuses messes qui tantôt se situent dans l’héritage de Palestrina, tantôt s’aventurent sur des chemins plus novateurs. Pour ce concert, le chœur est réparti dans les balcons de la salle, autour du public, en référence à l’église romaine qui a connu la création de cette œuvre majestueuse. »

Expérience fascinante sur le plan sonore, puisqu’en effet nous, public, placé au centre de la salle, étions environnés par les musiciens et chanteurs répartis en huit groupes.

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Une expérience « polyphonique » que pourra revivre le public du Festival Radio France l’été prochain (les détails de l’édition 2017 sont annoncés le 10 mars prochain).

Samedi on apprenait la disparition d’un autre original : Jean-Christophe Averty

https://www.youtube.com/watch?v=V-LG7ZPjIgY

On a peine à imaginer que grâce à des talents aussi singuliers qu’Averty, un tel vent de liberté et  d’audace ait pu souffler sur la télévision et la radio publiques.

De la même génération qu’Averty, mais pas décidé à dételer, bien au contraire, Michel Legrand confirme qu’à 85 ans, il occupe une place originale dans la vie musicale. Et que, quand il décidé d’écrire de la musique « classique », il frappe fort et juste. Pour preuve, ce nouvel enregistrement (qui sort le 10 mars) écouté de bout en bout avec gourmandise :

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Le pianiste Legrand a encore de sacrés doigts, il connaît ses classiques – Messiaen, Ravel ne sont pas loin – et il confie au violoncelle d’Henri Demarquette une superbe élégie. Faut-il ajouter qu’ils bénéficient d’un accompagnement de grand luxe ?