Eloge de la lenteur

Le vent, une bise glacée, a soufflé en tempête ce week-end sur les bords de l’Oise, où je me reposais d’une semaine plutôt chargée. J’ai revisité une partie de ma discothèque, en quête d’artistes, d’interprètes… apaisants. Deux légendes du XXème siècle, si opposées par leurs origines et leur carrière, aux parcours contemporains, Otto Klemperer (1885-1973) et John Barbirolli (1899-1970), se sont imposées à mes oreilles.

Warner a copieusement réédité le legs imposant du vieux chef allemand réalisé en une vingtaine d’années pour EMI à Londres, avec le Philharmonia. On sait que c’est un homme diminué par plusieurs accidents, affaibli par la maladie, qui a gravé cette somme, et du coup la critique s’est souvent contentée de qualifier Klemperer de marmoréen, impressionnant, grandiose, mais insensible au vent de modernité, de recherche d’authenticité qui soufflait déjà fort sur Bach, Haendel, Haydn ou Mozart du fait de plus jeunes collègues, comme Marriner, Colin Davis, et bientôt Leonhardt, Harnoncourt. La comparaison entre les versions Klemperer (1964) et Davis (1966) du Messie de Haendel est sans pitié pour le grand aîné !

Oui, Klemperer est souvent hiératique, parfois complètement à côté du sujet (concertos brandebourgeois de Bach), ou comme statique (dans un Cosi fan tutte privé de substance dramatique). Et puis, souvent, il vous prend à la gorge, vous impose sa lenteur qui n’est pas absence de mouvement, creuse la partition jusqu’à la sève (les symphonies de Beethoven, Schumann, Brahms, même une étonnante symphonie de Franck !). Parfois c’est la surprise, foudroyante

La 25ème symphonie de Mozart, la plus agitée, la plus Sturm und Drang, de toute la discographie !

C’est le même Klemperer qui, dans Beethoven, vide Fidelio de tout élan et insuffle, au contraire, à la Missa solemnis une énergie, un rayonnement spirituel inégalés :

https://www.youtube.com/watch?v=-9MIiIo0dUA

Et puis, en dehors de tous autres critères, existe-t-il plus haute vision de la Passion selon St Matthieu de Bach ?

Dietrich Fischer-Dieskau nous avait confié, lorsque France-Musique était allé célébrer son 70ème anniversaire dans les studios de la RIAS à Berlin, que l’enregistrement de cette Passion avait été un chemin de croix pour tous les interprètes, Klemperer n’étant pas dans ses meilleurs jours à cause de sa santé. C’est Wilhelm Pitz, le chef de choeur attitré de Bayreuth, qui officiait alors à la tête des choeurs anglais, et c’est à lui qu’en réalité se fièrent solistes, choristes et même musiciens pour faire tenir le tout ensemble…Il n’empêche, c’est bien le Bach de Klemperer.

John Barbirolli, c’est autre chose. C’est une manière d’aborder les grandes arches symphoniques (Brahms, Mahler) comme des fleuves au cours changeant, tour à tour tempétueux ou languide. Donc d’assumer des tempos alentis, contrastés, là où la plupart de ses confrères pressent le pas, confondant souvent vitesse et vivacité, mouvement et animation. Le Sibelius du chef italo-britannique est sans doute celui qui évoque au plus près les immensités de la Carélie, forêts et lacs à perpétuité.

 

Warner vient de republier les symphonies et les ouvertures de Brahms que Sir John avait gravées à Vienne au milieu des années 60, et que j’avais réussi à acheter au fil des ans en disques séparés dans d’improbables collections économiques éphémères. Une expérience singulière, un Brahms qui surprend, mais comme c’est celui – la 4ème symphonie – avec lequel j’ai appris cette musique, je suis en terrain familier.

 

La nostalgie a une patrie : Vienne, un héraut : Barbirolli.

Up and down

Un résumé de l’actualité de la semaine ? Faite de hauts et de bas, en effet.

On avait apprécié le beau spectacle proposé par le Théâtre des Champs-Elysées (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/02/17/ceci-nest-pas-un-opera/), on était très curieux de découvrir ce que pouvait donner, installé place des Nations à Genève, l’ancien théâtre éphémère de la Comédie-Française jadis installé dans les jardins du Palais Royal à Paris. Avec un Alcina de Haendel prometteur sur le papier.

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La critique a plutôt aimé (http://abonnes.lemonde.fr/musiques/article/2016/02/19/opera-alcina-dotee-de-nouveaux-charmes_4868196_1654986.html). Seul bémol – et de taille – de ma part, je n’aime pas la vulgarité gratuite de la mise en scène et le surlignage permanent des intentions et des gestes.

Autre sujet qui, malheureusement, reste d’actualité : le nom d’un orchestre (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/02/09/une-forme-olympique/). Réjouissante séquence hier dans Le Petit Journal de Canal +

http://www.canalplus.fr/c-emissions/c-le-petit-journal/pid6515-le-petit-journal.html?vid=1364380

C’est le nom d’Umberto Eco qui fait l’actualité mortuaire ce matin. Le personnage est sans doute immense, et on attend la déferlante des hommages. Je serais bien incapable d’y ajouter le mien. Je n’ai pas lu Eco (mais n’ayant pas été ministre de la Culture je ne risque pas l’opprobre) ni même vu le film Le Nom de la rose. J’ai tort sans doute.

Un toujours bien vivant, lui, à bientôt 80 ans, le chef suisse Charles Dutoit à qui son éditeur historique Decca rend un hommage justifié, en même temps qu’il célèbre une aventure artistique exceptionnelle de 25 ans entre lui et l’orchestre symphonique de Montréal. Par bien des aspects, Dutoit est l’héritier du grand Ernest Ansermet (1883-1969). Il a rarement suscité l’enthousiasme de la critique européenne, sous des dehors de dandy élégant, le chef n’est pas dépourvu de caractère. Et quand on écoute ses enregistrements à l’aveugle – c’est arrivé plusieurs fois dans des émissions de critique de disques – il n’est pas rare que, dans la musique française en particulier, que ses disques obtiennent le haut du classement.

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35 CD généreusement remplis qui méritent beaucoup mieux qu’un coup d’oreille distrait. Et de nombreuses pépites dans la musique française.

http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2016/02/20/dutoit-80-8571057.html#more

Une patronne vierge

Pas certain qu’on ait vraiment eu le coeur de fêter la Sainte-Cécile en ce dimanche 22 novembre… C’est pourtant la patronne des musiciens (et des brodeurs !), je gage que peu d’entre eux savent pourquoi, et d’abord qui est cette Cécile, que tant de compositeurs ont honorée ?

Une réponse avec ce poème de Mallarmé ? Voire.

Sainte

A la fenêtre recélant
Le santal vieux qui se dédore
De sa viole étincelant
Jadis avec flûte ou mandore,

Est la Sainte pâle, étalant
Le livre vieux qui se déplie
Du Magnificat ruisselant
Jadis selon vêpre et complie :

A ce vitrage d’ostensoir
Que frôle une harpe par l’Ange
Formée avec son vol du soir
Pour la délicate phalange

Du doigt, que, sans le vieux santal
Ni le vieux livre, elle balance
Sur le plumage instrumental,
Musicienne du silence.

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(Détail d’un vitrail de Notre-Dame de Sablé-sur-Sarthe)

Cécile est romaine, martyre des premiers temps du christianisme, demeurée vierge malgré un mariage forcé. Le rapport avec la musique et les musiciens ? Plutôt ténu, mais c’est tout l’objet de la légende qui entoure Sainte-Cécile, et qui a inspiré nombre de compositeurs (https://fr.wikipedia.org/wiki/Cécile_de_Rome)

Benjamin Britten, né le…22 novembre 1913, pouvait difficilement éviter de chanter sa sainte patronne : Hymn to St Cecilia

Plus près de nous encore, Arvo Pärt, répond à une commande de la bien nommée Accademia Nazionale di Santa Cecilia  de Rome, en 2000, avec Cecilia, vergine romana

https://www.youtube.com/watch?v=0RNAYqd1zK4

Au XIXème siècle, Gounod, Liszt et Chausson rendent hommage à la vierge martyre et à sa légende.

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https://www.youtube.com/watch?v=jftblgvmGVU

En remontant les siècles, on ne compte plus les tributs musicaux à Sainte-Cécile, Handel, Purcell, Haydn, Scarlatti bien sûr, mais Luca Marenzio, Peter Philips, John Blow, etc.

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Sir Christopher

La sanglante actualité de ces dernières heures a complètement éclipsé la disparition d’un grand musicien, Christopher Hogwood, qui venait de fêter son 73ème anniversaire (http://fr.wikipedia.org/wiki/Christopher_Hogwood).

De la génération des William Christie ou John Eliot Gardiner, celle d’après Harnoncourt ou Norrington, Christopher Hogwood est très représentatif de cette génération de musiciens britanniques, qui ont considérablement enrichi notre connaissance de la musique ancienne et classique, puis se sont tournés sans complexe vers les répertoires plus contemporains, sans jamais renier leurs premières amours. Christopher Hogwood avait régulièrement dirigé l’Orchestre philharmonique de Radio France.

Il reste heureusement une abondante discographie, qui n’a pas toujours été considérée par la critique à sa juste valeur. J’avoue avoir découvert assez récemment ses symphonies de Haydn, Mozart et Beethoven, flamboyantes, magnifiquement enregistrées avec l’Academy of Ancient Music qu’il avait fondée en 1973. Mais aussi des Haendel et des Vivaldi tout aussi passionnants. Et plus récemment des programmes originaux avec l’Orchestre de chambre de Bâle.

https://www.youtube.com/watch?v=C4UYUp8gHEU

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