La reine dans ses oeuvres

Quand on la voit sur scène, à son piano, on a peine à imaginer qu’elle a tourné les trois quarts de siècle en juin dernier (Martha A.). En classant des photos l’autre jour, je suis tombé sur celles-ci, prises en novembre 2001 à Liège, lorsque Martha Argerich avait répondu à mon invitation pour deux concerts dirigés par Armin Jordan.

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(Sur ces photos, prises au bord de la Meuse dans ce qui était le restaurant L’Héliport on aperçoit, outre Armin Jordan et Martha Argerich, le pianiste Mauricio Vallina et le chef d’orchestre Louis Langrée, alors directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Liège).

EuroArts sort un coffret de 7 DVD pour célébrer les 75 ans de la reine Martha.

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La compilation est plutôt bien faite et le minutage généreux (et le prix très raisonnable !). On retrouve le singulier documentaire, Bloody Daughter réalisé par la benjamine des filles de Martha Argerich, Stéphanie, dont le père est le pianiste américain Stephen KovacevichAinsi que le film de Georges Gachot Evening Talks, contemporain des concerts liégeois de la pianiste argentine (on y voit d’ailleurs le même jeune pianiste cubain Mauricio Vallinaqui vaut surtout pour les extraits de répétitions du concerto de Schumann.

Beaucoup d’échos de concerts récents, à Verbier, à Buenos Aires. Et deux archives tout simplement époustouflantes : le 1er concerto de Tchaikovski capté à Preston (une ville du Lancashire au nord de Liverpool) – ah la robe très seventies de Carnaby street !! – et le 3ème concerto de Prokofiev donné, la même année (1977), à Croydon. La performance de la pianiste dépasse l’entendement, l’extrême virtuosité des deux oeuvres est comme transcendée par un jeu qui semble ignorer toutes les difficultés techniques sans l’ombre d’un effort apparent. Proprement hallucinant !

En revanche, le texte de présentation aurait pu d’abord être mieux rédigé (un recopiage de la notice Wikipedia !), et surtout relu et corrigé dans ses traductions allemande et française. Le Concours international de Genève (Geneva Competition), devient ainsi soit Genua, soit Gênes.

Un généreux coffret pour tous les amoureux de la reine Martha !

 

 

Les sans-grade (I) : Otmar Suitner

Pendant cette semaine loin de l’actualité européenne, je veux consacrer quelques billets/portraits à tous ces chefs d’orchestre qui ont fait les beaux jours de l’industrie phonographique triomphante, qui ont bien servi la musique, et qui ne sont jamais ou si peu cités dans les dictionnaires des interprètes. Bref, des musiciens qui n’ont jamais recherché (ou à qui on n’a jamais autorisé) la notoriété internationale, mais qui n’en sont pas moins talentueux, voire exceptionnels.

Ainsi, premier de notre liste, le chef autrichien Otmar Suitner, né en 1922 à Innsbruck, mort en 2010 à Berlin. Dès 1990, Suitner, atteint de la maladie de Parkinson, avait dû renoncer à sa carrière.

Etrange destinée musicale et personnelle : sans jamais avoir épousé les idées du régime, Otmar Suitner fait l’essentiel de sa carrière en RDA, dirigeant à peu près toutes les phalanges de renom de l’ex-Allemagne de l’Est. Mais son passeport autrichien lui permet de diriger régulièrement à l’Ouest…et de fonder et entretenir deux familles, l’une à l’Est, l’autre à l’Ouest de Berlin (lire http://de.wikipedia.org/wiki/Otmar_Suitner) !

J’ai un seul souvenir « live » de ce chef. Il avait été invité à la fin des années 80 à diriger l’Orchestre de la Suisse Romande à Genève. Une symphonie de Schubert je crois et surtout la très rare – au concert – 1ere symphonie de Bruckner. Je m’étais glissé dans le studio Ansermet de la maison de la Radio à Genève, où avaient lieu les répétitions. Et ce que je vis me stupéfia : un chef muet à son pupitre, pas un mot, rien, le silence. Lorsqu’il avait une remarque à faire, il se déplaçait jusqu’au musicien ou au pupitre concerné et chuchotait en des termes inaudibles pour le reste de l’orchestre. Inutile de dire que le procédé s’avéra diablement efficace et que le résultat au concert fut grandiose !

Otmar Suitner a heureusement beaucoup enregistré, trop peut-être, car tout n’est pas de la même eau. Je trouve ses Mozart et Beethoven très bien joués, superbement enregistrés (les studios et les ingénieurs du son de l’ex-VEB ont toujours eu le chic pour des prises de son exceptionnellement « naturelles », aérées), mais avec trop peu d’aspérités à mon goût. En revanche, ses intégrales des symphonies de Brahms et de Dvorak sont dans le peloton de tête de mes références pour ces oeuvres. Ardent promoteur de Reger, Hindemith, Paul Dessau, cultivant aussi brillamment la muse plus légère de ses origines, Strauss et Suppé, on trouve aisément les enregistrements d’Otmar Suitner, souvent à tout petit prix, sur ITunes.

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