Pas de panique

Tous les adjectifs y sont passés depuis hier soir, à propos du premier tour des élections régionales françaises. Un peu de raison ce matin peut ne pas nuire à la réflexion.

D’abord ceci que j’ai lu sur le « mur » d’un ami musicien, signé d’une dame sans doute très bien, mélomane certainement :

Cher…, pour la 1ère fois j’ai voté FN après une longue réflexion. 
Vous voulez protéger vos enfants moi aussi.
Vous voulez « du bien vivre ensemble » moi aussi. Je hais les racistes. 
Mais il y a des dérives que je ne souhaite pas voir aboutir d’où ce vote. Ce qui ne fait pas de moi une personne idiote ou amorale.

Et ceci encore sur Libération.fr :

http://www.liberation.fr/france/2015/12/06/nicolas-lebourg-les-themes-du-fn-parlent-aux-gens_1418781

Quand on analyse un scrutin, il faut d’une part ne pas céder à l’irrationnel, d’autre part regarder les réalités et se garder des effets de loupe déformants.

Ceux qui crient « panique », « horreur », « marée noire » expriment un sentiment compréhensible –  que je partage – mais je doute que tous se soient déplacés pour voter. Le premier parti de France, et depuis plusieurs scrutins, est celui des abstentionnistes. Je n’ai entendu personne analyser sérieusement ce phénomène qui est vraiment, mais vraiment, préoccupant. Pourquoi la moitié des électeurs ne vote-t-elle plus, pourquoi la moitié des électeurs semble-t-elle réfuter, récuser un système de représentation politique que les Constitutions successives de la République française ont donné l’illusion qu’il était immortel ?

Le Front National ne fait plus peur, on ne glisse plus honteusement son bulletin FN dans l’urne (cf. supra la réflexion de cette dame mélomane), les jeunes n’entendent plus les mises en garde de la classe politique traditionnelle. Et puis, on est bien navré de le dire, c’est le seul parti qui présente de nouveaux visages, qui met en selle de tout jeunes candidats : les succès de tous ces jeunes maires aux municipales, l’élection à 22 ans de   la députée du Vaucluse, la montée en puissance d’une équipe rajeunie autour de la fille du fondateur. Qu’ont fait les forces politiques traditionnelles pendant ce temps-là ? Elles donnent à revoir un film qui n’a pas changé de casting depuis des lustres. La déconvenue risque d’être pire encore en 2017 si l’élection présidentielle n’est que le match retour de 2012 !

Ajoutons qu’on n’a pas cessé hier de comparer des éléments incomparables ! On est passé de 22 à 13 régions. On n’a pas cessé de rappeler que le Nord-Pas de Calais était un fief de gauche, sauf que la nouvelle région comprend la Picardie, qui n’est pas négligeable. Idem pour  d’autres nouvelles grandes régions (comme Midi Pyrénées Languedoc Roussillon). Qui a remarqué que, dans le cas de la région la plus peuplée, dont le périmètre n’a pas été modifié, l’Ile-de-France, il n’y a pas d’irruption du FN, l’étiage gauche-droite n’a quasiment pas bougé depuis 2010 ?

Pour autant faut-il céder à la panique ? Rien n’est moins sûr. Dans toutes les élections de ce type, le deuxième tour corrige le premier tour, la raison l’emporte sur l’humeur, les clivages traditionnels se retrouvent. Mais ceux qui vont s’exprimer cette semaine, responsables politiques, médias, seraient bien inspirés de s’abstenir de stigmatiser, de dénoncer les millions d’électeurs du FN. Ils ne feraient que les renforcer dans leur conviction qu’ils ont fait le bon choix au premier tour, et donneraient aux hésitants des arguments pour le confirmer au second.

Une chose encore : la démocratie, c’est accepter la liberté des électeurs, le verdict des urnes. Et s’engager pour faire prévaloir ses idées, faire partager à ceux qui doutent, craignent, hésitent, des valeurs simples, essentielles, comme la liberté, l’égalité et la fraternité. Et aller voter dimanche prochain !

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Changer

Au terme d’une longue soirée partagée entre les chaînes françaises et belges de télévision, une seule musique me venait à l’esprit, obsédante :

C’est ce que chante une jeune fille errant sur le champ des morts, après une terrible bataille, à la recherche de son bien-aimé. C’est la puissance de la musique de Prokofiev écrite pour le film d’Eisenstein Alexandre Nevski. Le sentiment du ravage, de la désolation…

Je n’ai pas reconnu ma France hier soir.

Mais je ne me sens pas le droit d’insulter ces compatriotes qui ont mis beaucoup d’ombre sur le bleu de notre drapeau tricolore. Ni d’insulter qui que ce soit d’autre d’ailleurs. À un choc pareil, très largement irrationnel, dé-raisonnable, on n’oppose pas l’invective ou le mépris. On essaie de comprendre, et je ne suis pas loin de penser, comme plusieurs analystes l’ont fait remarquer hier soir, que depuis le 21 avril 2002 – pour rappel, l’élimination du candidat socialiste Lionel Jospin au 1er tour de l’élection présidentielle, et la présence au second tour de Jean-Marie Le Pen face au président sortant Jacques Chirac –  on n’a tiré aucun enseignement, on n’a rien changé au logiciel politique français. Les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, comment s’étonner que triomphe la seule parole qui s’adresse à ces millions d’électeurs déboussolés, désarçonnés, révoltés, en leur promettant des lendemains qui chantent ? L’invocation de l’Histoire, la mémoire de ses horreurs, n’ont aucun poids, quand on n’a pour horizon que son malheur quotidien.

La parole publique doit changer, les hommes et les femmes de culture doivent changer, les politiques doivent  changer. Sortir de leur entre-soi, de leurs conventions, de leurs lamentations.

Il y a bientôt 25 ans, tous nos frères d’Europe orientale ont cru de toutes leurs forces que la liberté était possible, pour peu qu’on la veuille, que le changement était possible, pour peu qu’on le veuille. A-t-on déjà oublié la dernière Révolution du siècle passé ?

https://www.youtube.com/watch?v=IInG5nY_wrU

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