La découverte de la musique (IX) : première à Saint Pétersbourg

Alors que, dès le lycée, j’avais pris le russe en seconde langue (mon attirance pour la Russie éternelle n’est donc pas récente !), puis entrepris à l’Université des études de langues, dont le russe, j’ai dû attendre vingt ans après l’obtention de mon diplôme de langues slaves, pour mettre le pied dans un pays que j’avais fini par connaître presque intimement, par la littérature, le théâtre, l’histoire, la politique, la musique évidemment.

C’était le 23 septembre 1995. Grâce à Claude Samuel, alors directeur de la musique de Radio France, donc mon « patron » -à l’époque le directeur de France Musique était sous l’autorité du directeur de la musique – qui était en cheville avec une organisation de voyages culturels, un séjour à Saint-Pétersbourg avait été organisé à l’intention d’auditeurs aisés de la chaîne. Clou du long week-end : le concert d’ouverture du prestigieux Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg, dans la grande salle de la Philharmonie face à l’hôtel Europe sur la Perspective Nevski.

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Mais comme il fallait bien justifier le voyage auprès des instances administratives de Radio France, on s’était mis en tête de diffuser ce concert en direct sur France Musique !

Seul petit problème : trois ans après la disparition de l’Union Soviétique, les structures étatiques publiques avaient pour la plupart volé en éclat, et la radio-télévision d’Etat qui diffusait jusqu’alors tous les grands concerts moscovites ou pétersbourgeois, a fortiori l’ouverture de saison, n’était plus responsable de rien. On finit par apprendre que l’ex radio d’Etat semi-privatisée acceptait de diffuser ce concert aussi sur France Musique, moyennant signature d’un contrat. Bien avant l’été, les démarches avaient été entreprises, des négociations entamées entre Radio France et ladite radio, des propositions de contrats toutes plus farfelues les unes que les autres (je me rappelle l’une d’elles comportant un forfait de frais de…ménage à assumer par Radio France !). Mais au moment de partir pour Saint-Pétersbourg, rien n’était signé. Le dernier contrat proposé par les Russes comprenait un montant de droits de diffusion absolument exorbitant.

Je dis à Claude Samuel et aux services de Radio France à Paris qu’une fois sur place, je pourrais peut-être, avec mes connaissances de russe, débrouiller l’écheveau et tenter d’obtenir le précieux direct. Je parvins à me glisser dans les coulisses de la magnifique salle de la Philharmonie, et à trouver un interlocuteur capable de comprendre la situation. Nous avions un direct dans moins de 30 minutes, et toujours aucun contrat. Le dit interlocuteur, qui devait être haut placé dans la hiérarchie locale, expliqua au soliste, Viktor Tretiakov, et au chef Youri Temirkanov, qu’il était hors de question qu’ils commencent le concert, tant que le type devant lui (moi !) ne signait pas le contrat de plusieurs pages évidemment toutes rédigées en russe…

Le gracieux personnage m’intima, dans un anglais approximatif, de signer là et là et encore là, pensant que je n’avais rien compris de ses échanges avec le chef et le soliste.

Je pris mon temps pour lire son document, je biffai quantité de phrases, voire de paragraphes, sous son regard ébahi, et j’acceptai finalement que ladite radio russe facture à Radio France un montant de l’ordre de 5000 francs français pour cette transmission en direct. Je lui tendis le document avec un grand sourire et le remerciai – en russe- pour son amabilité ! Je ris encore de la tête qu’il fit…

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À moins de dix minutes du début, je pus avertir France Musique que le direct aurait bien lieu (pas de téléphone portable à l’époque) et je revins dans la salle, trouvant à grand peine Claude Samuel confortablement installé sur sa chaise, et lui racontant la victoire obtenue de haute lutte. Pour seule réponse j’eus droit à une engueulade, parce que j’avais engagé Radio France sans mandat. J’avais sauvé le direct, mais bon… Evidemment la facture ne fut jamais présentée à Radio France et le contrat aussitôt oublié.

Je passai tout le concert debout à côté d’une colonne, la salle était archi-comble, des centaines de spectateurs qui n’avaient pu obtenir de billet se pressaient à l’extérieur contre les portes de la salle, que j’ai vues pas loin de céder sous la pression…

Concert inoui, inoubliable, fabuleux.

Le violoniste Viktor Tretiakov, étrangement peu connu en Occident, alors qu’il était du niveau d’un David Oistrakh, d’un Boris Belkin ou d’un Gidon Kremer – ses deux contemporains – donna un concerto de Sibelius exceptionnel. Il devait être dans un grand soir, lui qu’on disait irrégulier (en fonction de son alcoolémie !).

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En deuxième partie, je crois n’avoir jamais entendu avant et depuis ce concert une aussi prodigieuse Cinquième symphonie de Chostakovitch, créée dans cette même salle le 21 septembre 1937 par le même orchestre dirigé par Evgueni Mravinski. Cette phalange unique au monde déjà entendue souvent à la radio, en concert au Victoria Hall (sous la direction de Mariss Jansons) sous la baguette de son chef titulaire depuis 1988, le grand (et lui aussi irrégulier) Youri Temirkanov, chantait dans son arbre généalogique de toute l’ampleur et le soyeux de ses cordes, de toute la richesse de son harmonie aux couleurs si caractéristiques.

 

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Le travail c’est la santé

Cette chanson résonne étrangement cinquante ans après sa création : les trente glorieuses sans chômage sont terminées depuis longtemps, on n’est pas certain que les millions de chômeurs apprécient l’humour de Salvador !

Le travail est au coeur de l’actualité : Robert Badinter a remis ce matin au Premier ministre un rapport directement inspiré d’un excellent petit livre qu’on avait lu d’une traite en juin dernier

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Voici la préface que signent les deux éminents juristes :

Depuis quarante ans, la société française souffre d’une grave maladie : le chômage de masse.
Ce mal a suscité une déferlante législative à tel point que le droit du travail apparaît aujourd’hui comme une forêt obscure où seuls les spécialistes peuvent trouver leur voie. Loin de favoriser l’emploi, le Code du travail suscite ainsi un rejet souvent injuste.
Il faut réagir.
Il n’est pas de domaine de l’Etat de droit qui ne repose sur des principes fondamentaux. C’est à mettre en lumière ces principes, disparus sous l’avalanche des textes, que cet ouvrage est consacré. Sur leur base, il appartiendra aux pouvoirs publics et aux partenaires sociaux de décliner les règles applicables aux relations de travail, selon les branches et les entreprises.
Mais rien ne sera fait de durable et d’efficace sinon dans le respect de ces principes. Puisse l’accord se faire sur eux, dans l’intérêt de tous.
Il se trouve que j’ai gardé de mes études universitaires un goût prononcé pour le Droit du travail, la vie a décidé d’autres chemins professionnels pour moi, mais je n’aurais pas détesté approfondir le sujet.
Le Droit du travail est sans doute l’expression la plus aboutie de ce qu’on peut appeler une politique sociale, et partant économique.
La France reste bloquée, slogan contre slogan, comme si la liberté s’opposait à la protection, comme si la mobilité s’opposait à la réduction du chômage, etc. Il ne sera pas passé 24 heures que le rapport de Robert Badinter ne soit étrillé par une certaine gauche comme par une certaine droite, qui sont aux abonnés absents de la réflexion politique.
C’est le gouvernement dirigé par le socialiste Elio di Rupo qui a instauré, en Belgique, le contrat de travail unique, il y a trois ans. Dans un pays pourtant ultra-syndicalisé, on n’a vu aucun défilé de masse se lever contre un tel projet, tout simplement parce qu’on s’est rendu compte que le nouveau système profitait au travailleur autant qu’à l’entreprise. En France, c’est tous aux abris dès qu’il s’agit de déverrouiller la machine à produire du chômage…
Un conseil : lisez le bouquin de Badinter et Lyon-Caen, et faites le lire à vos élus ! On peut toujours rêver…