Carrie, Debbie, ABBA et quelques autres

Puisque ce blog est un peu un journal, ma chronique du temps présent, il fait aussi office de mémoire nécrologique. Le rythme est soutenu en cette fin d’année, Carrie Fisher (que je n’ai jamais vue en princesse Leia puisque je n’ai jamais vu aucun film de la série Star Wars !), Claude Gensac (elle, je ne dois pas avoir loupé un de ses films avec Louis de Funès), Pierre Barouh (je connaissais le nom, un peu ses chansons, mais j’ai aimé les hommages qu’on lui a rendus), ce matin la mère de Carrie Fisher, l’inoubliable Kathy Selden de Chantons sous la pluieDebbie Reynolds :

Evidemment d’autres souvenirs affluent : l’inoubliable spectacle monté par Jean-Louis Grinda à l’opéra de Liège en 1999 puis repris à Paris, Molière du meilleur spectacle musical 2001, avec dans le rôle de Kathy Selden, Isabelle GeorgesEt la production tout aussi magique du Châtelet en 2015 : Singin in the rain.

Souvenirs encore hier soir, avec une Flûte enchantée à l’opéra de Stockholm. Chantée en suédois (!!), avec des chanteurs encore verts, une jeune cheffe d’orchestre pas très passionnante à la tête d’une formation qui n’avait pas – et de loin – l’allure et la justesse de celle de la veille (Fedora), mais une mise en scène ludique, poétique, à laquelle je n’ai pas compris grand chose, mais ce n’était pas non plus l’essentiel ! N’est pas Bergman qui veut… Souvenirs parce qu’en septembre 1991 (bicentenaire de la mort de Mozart); j’avais emmené mon fils aîné – 11 ans – voir son premier opéra dans un lieu magique, le Théâtre du Joratà Mézières dans le canton de Vaud en Suisse. Cette Flûte enchantée mise en scène par Patrice Caurier et Moshe Leiserdirigée par Armin Jordan

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Ce matin, ciel couvert sur Stockholm, météo idéale pour commencer la tournée des musées  dans le quartier de Djurgarden

img_7303img_7304img_7305Visite d’abord du Musée Vasaimpressionnant. J’en reparlerai demain…(à lire et voir ici : La Cathédrale engloutie)
Mais la curiosité du lieu c’est le musée consacré au groupe mythique de pop suédois ABBA

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Le ticket d’entrée est hors de prix (25 €), et même si l’exposition est plutôt bien faite et complète (une belle rétrospective de la pop suédoise des années 50 à aujourd’hui), on a un peu l’impression de s’être fait gruger par le système financier très efficace qui permet aux membres du groupe dissous en 1982 de continuer à prospérer au plus haut niveau ! Mais quand on aime, la nostalgie n’a pas de prix…

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Un vieux festival

Ils ne sont pas si nombreux les festivals qui peuvent se targuer d’en être à leur 69ème édition ! C’est le cas de celui de BesançonQui s’achève à la fin de cette semaine et qui accueillait hier et aujourd’hui un orchestre, un chef et un soliste qui me sont particulièrement chers, l’OPRL, Christian Arming et Tedi Papavrami.

14355798_10154007850158247_5277474715835804185_n(Photo OPRL/Facebook)

Pour les Liégeois, c’est un retour dans la capitale franc-comtoise, très exactement 14 ans après un concert Beethoven dirigé par Louis Langrée (le 14 septembre 2002) avec Ning Kam, Vitali Samochko et David Cohen dans le Triple concerto !

J’ai trois autres souvenirs personnels de Besançon, 1991, 1992, 1995, mais liés non pas directement au Festival mais au Concours international de jeunes chefs d’orchestre

Comme producteur « responsable de la musique symphonique » (sic) de la Radio suisse romande, j’étais évidemment directement intéressé par les activités de ce concours, qui avait jadis distingué des chefs comme Seiji Ozawa (et plus récemment Kazuki Yamada ou Lionel Bringuier). 

En 1991, j’étais venu de Genève assister à la finale, trois concurrents, mais un seul qui, dès son entrée sur scène, sans qu’il ait encore dirigé une seule note, montrait qu’il était chef, ce sentiment imperceptible, indéfinissable, mais que tous les musiciens d’orchestre connaissent bien. Ils savent immédiatement reconnaître celui qui est.. ou n’est pas le chef, à tous les sens du terme ! En l’occurrence ce fut bien lui, George Pehlivanian, qui remporta un 1er prix à l’unanimité. Le public liégeois se rappelle encore cette boule d’énergie au pupitre de l’OPRL, la dernière fois c’était pour le festival Rachmaninov de février 2013 (lire ce papier enthousiaste de Jean-Marc Onkelinx : Festival Rachmaninov).

L’année suivante, 1992, je reçus une invitation à faire partie du jury du Concours ! Quel honneur, quelle responsabilité aussi ! Et quelle expérience passionnante. Voir tous ces jeunes chefs répéter, prendre leurs marques (ou pas), captiver ou au contraire lasser le jury, et puis voir un talent se révéler, sortir de sa chrysalide, un très grand souvenir. De surcroît le jury était présidé par le très distingué et délicieux Alexander Gibson, lui-même ancien lauréat du Concours.

J’ai retrouvé par hasard le compte-rendu de l’Humanité de la finale de ce concours 1992 : Cela s’est joué entre un Belge, un Chinois, un Italien…

On ne sait pas trop ce qu’il est advenu du premier, en revanche le deuxième nommé a fait depuis un beau parcours, illustré encore cet automne par la parution de ce magnifique livre-disque, enregistré « sur le vif » le 24 juillet 2015 au Festival de Radio France Montpellier (CHOC de Classica)

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En 1995, je reçois une nouvelle invitation à siéger au Concours. Entre-temps je suis devenu directeur de France Musique (depuis l’été 1993), une absence d’une semaine de Paris n’est pas très bien vue par mes patrons de Radio France, mais le prestige du concours, etc… Cette année-là le jury est présidé par John Nelson. Personne parmi les candidats ne se détache vraiment, certains ne sont pas prêts – c’est le cas du fils d’un chef d’orchestre français, qui depuis a pris un bel envol, mais à qui John Nelson et d’autres membres du jury avaient dû expliquer amicalement qu’il devrait mûrir et s’aguerrir ). Un premier prix est attribué à un jeune Japonais, dont je n’ai plus jamais entendu parler depuis…

C’est finalement le lot de tous les concours, qui ne sont jamais une garantie de carrière pour les lauréats, mais qui, parfois, révèlent d’authentiques talents. Et pour qui a, comme moi, eu la chance de siéger dans plusieurs jurys, c’est sans doute l’expérience la plus enrichissante sur le plan artistique et humain. On ne voit plus jamais les artistes de la même manière, on mesure le courage, l’énergie, l’abnégation qu’il faut à un jeune musicien, au-delà de ses qualités musicales, d’abord pour affronter ces compétitions inhumaines, ensuite pour se lancer dans une carrière complètement aléatoire.

Victoires

On va tenter de ne pas relancer un débat aussi vieux que ce type de cérémonies : pour ou contre les Victoires de la musique classique – qui ont lieu ce mercredi soir à Toulouse ?

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Juste un point d’histoire, donc un rappel : lorsque France Musique, dont j’avais alors la charge, avait été sollicitée pour diffuser la soirée simultanément avec France 3, il y a une vingtaine d’années, j’avais répondu oui sans hésiter, même si, dans cette grande maison qu’est Radio France, une telle décision devait être avalisée, approuvée par toute une hiérarchie. Je me rappelle les hauts-le-coeur, les mines abattues, de producteurs de la chaîne, mais aussi d’autres collaborateurs, France Musique ne pouvait décemment pas s’abaisser à participer à une opération qui ne visait qu’à soutenir le commerce et l’industrie du disque…Et dont les modalités de vote et de sélection des « nommés » étaient discutables.

Ce sont les mêmes d’ailleurs qui, à la même époque, ne comprenaient pas que je veuille envoyer France Musique (et plus tard d’autres chaînes de Radio France) couvrir un phénomène qui me semblait appelé à se développer considérablement : la Folle Journée de Nantes…

Bref, je n’ai jamais regretté d’avoir poussé la chaîne musicale du service public à s’associer avec le seul prime time de l’année dévolu à la musique classique. Et je regarderai l’émission ce mercredi soir.

Le Figaro d’aujourd’hui consacrait un beau papier à ces jeunes artistes, pour qui une distinction comme Les Victoires de la musique classique a changé la donne. (http://www.lefigaro.fr/musique/2016/02/22/03006-20160222ARTFIG00212-classiques-les-nouveaux-chemins-de-la-reconnaissance.php).

Et tous ceux qui ont été récompensés ces dernières années l’ont mérité, et pour beaucoup, ont réussi à commencer une carrière (quel mot détestable s’agissant d’art) honorable. L’avantage de la jeune génération, c’est qu’elle n’a aucune illusion sur le monde culturel et musical d’aujourd’hui – même si bien des agents sont loin d’avoir évolué dans le même sens ! – et qu’elle connaît les codes, utilise, à bon escient, les modes de communication les plus adaptés à une large diffusion de leur art.

Oui Youtube, les réseaux sociaux, ont révolutionné l’accès à la culture et l’organisation du monde musical. Plus de faux-semblant possible, plus d’entre soi, de pratiques réservées au seul petit milieu professionnel. Instantanément, tel concurrent ou lauréat d’un prestigieux concours peut se faire connaître du monde entier, tel ensemble peut acquérir la notoriété – dès lors que le talent est là – sans passer par la case disque ou tournée de lancement. D’ailleurs, l’enregistrement d’un disque, les engagements, suivent, accompagnent, et ne précèdent plus que rarement le début de carrière.

On ne fait aucun pronostic sur les lauréats de ces Victoires 2016. Parce qu’on connaît tous ces musiciens, qu’on a parfois eu la chance de les repérer, de les soutenir, de les engager au tout début de leur carrière, qu’on aime leur parcours, leur attitude à l’égard des compositeurs et du public.

Beaucoup sont passés à Montpellier dans le cadre du Festival de Radio France et Montpellier Languedoc Roussillon ou seront présents dans l’édition 2016 (comme Florian Noack ci-dessus)*.

Une mention particulière pour un très beau disque, auquel j’ai pu contribuer, celui d’un merveilleux altiste, Adrien La Marca (le grand frère Christian-Pierre, au violoncelle, n’est pas mal non plus !). Un programme qui lui tenait à coeur, enregistré finalement à la Salle philharmonique de Liège…(L’album « English Delight », hommage à l’alto et aux compositeurs anglais est un voyage sur quatre siècles, de Dowland, Purcell, Vaughan Williams, Bridge, Clarke, Britten à Jonathan Harvey Chacune de ces pièces est liée à un moment spécial du parcours artistique et musical d’Adrien La Marca)

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  • Le détail de l’édition 2016 (11-26 juillet) du Festival de Radio France Montpellier et de la Région Languedoc Roussillon Midi Pyrénées (vivement un nouveau nom pour cette grande région !) sera dévoilé le 4 mars prochain.

 

Sibelius m’était conté

« Le plus mauvais compositeur du monde » – dixit René Leibowitz* – est né le 8 décembre 1865. On célèbre donc aujourd’hui le sesquicentenaire de Jean Sibelius, souvent évoqué ici :(https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/11/20/le-bonheur-sibelius/).

On ne devient pas sibélien par hasard. À part peut-être la Valse triste, Sibelius n’est pas abonné aux tubes de la musique classique. En ce qui me concerne, c’est un coffret acheté par souscription, donc à un prix que mes très modestes moyens d’étudiant me permettaient, qui m’a mis sur la route du compositeur finlandais. C’était un coffret de quatre 33 tours Deutsche Grammophon, je m’en souviens comme si c’était hier, tous dirigés par Karajan : la 2e symphonie de Brahms, les Tableaux d’une exposition de Moussorgski/Ravel, des intermezzi d’opéras… et le Concerto pour violon de Sibelius avec Christian Ferras en soliste ! Il y a pire comme initiateurs…

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Mais autant l’avouer, je n’accroche pas immédiatement à ce concerto, ce n’est ni Mendelssohn ni Tchaikovski. Il faudra que j’écoute passionnément La Tribune des critiques de disques de France Musique – le trio Panigel-Bourgeois-Goléa – pour que je découvre les mille beautés de l’oeuvre et ce qui allait définitivement m’arrimer à la musique de Sibelius : la rudesse et l’infinité des espaces imaginaires qu’elle ouvre. Et comme Goléa détestait ce concerto, je n’en ai été que plus convaincu de l’aimer.

Quelques années plus tard, mon premier achat dans une véritable caverne d’Ali Baba du disque classique au marché aux puces de Saint-Ouen sera l’intégrale des symphonies dans une version dont j’ignorais alors qu’elle serait louée par les meilleurs critiques et constamment rééditée : Lorin Maazel et les Wiener Philharmoniker.

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On l’aura compris, ce n’est pas d’hier que date mon histoire d’amour pour Sibelius.

Il y a dix ans, exactement à la même période, j’avais eu la chance d’assister aux épreuves du Concours Sibelius à Helsinki (la lauréate d’alors, la merveilleuse Alina Pogostkina, nous a laissé quelques beaux concerts à Liège). Souvenirs lumineux d’une semaine pourtant plongée dans la nuit (le soleil se levait timidement vers 11h du matin, pour disparaître à nouveau vers 14 h), le froid, le gel. J’étais retourné, en juillet 2006, pour visiter bien sûr Ainola, la maison de Sibelius, et la Carélie de lacs et de forêts qui a nourri toute son oeuvre.

Un conseil en cette période qui n’incite pas à l’espoir : écoutez, gavez-vous de Sibelius, d’une musique généreuse, qui respire loin et large.

*http://www.resmusica.com/2013/01/06/rene-leibowitz-l’assassin-assassine/

La révélation Dinorah

Le nom me disait quelque chose, Jean-Charles Hoffelé avait attisé ma curiosité sur Facebook, je m’étais aussitôt mis en quête du précieux objet et j’ai dû attendre 24 heures pour le découvrir, le postier n’ayant rien trouvé de mieux que de coincer le paquet dans ma boîte aux lettres.

Et depuis, elle ne me quitte quasiment plus. Elle ? Dinorah Varsi, une pianiste dont la disparition, à 73 ans, au début de l’été 2013, m’avait laissé indifférent (http://www.diapasonmag.fr/actualites/a-la-une/la-pianiste-dinorah-varsi-est-morte).

Pourtant je me rappelle maintenant, quelques mois après la mort de mon père (le 6 décembre 1972), j’avais acheté à prix de souscription, un double album 33 tours Philips des concertos de Chopin, Dinorah Varsi au piano, Jan Krenz (un chef polonais que je retrouverais bien des années plus tard avec l’orchestre de Liège) dirigeant l’orchestre philharmonique de Monte Carlo (à l’époque il s’appelait encore orchestre national de l’opéra de Monte-Carlo !).

Mais j’avais complètement perdu de vue cette pianiste, qu’on ne citait jamais, ou si peu, dans mes revues favorites.

Et voilà qu’un éditeur allemand courageux publie quelque chose de magnifique, de somptueux, un considérable coffret de format 33 tours, à un prix dérisoire compte-tenu du travail qui a dû précéder cette publication.

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La totalité des enregistrements studio (au début pour Philips) de celle qui fut lauréate du Concours Clara Haskil en 1967, 13 CD de concerts, 5 DVD, 1 audio CD d’entretiens, et un livre de 112 pages.

Je suis encore loin du compte, et ce coffret va me nourrir encore des jours et des soirs, mais déjà ces Chopin… Pas le souvenir d’avoir entendu jusqu’à présent, même chez les très grands, une aussi parfaite combinaison entre beauté du son, rigueur du chant, exactitude des tempi, respiration belcantiste, éloquence narrative.

J’ai un point de repère, la Première Ballade. Tant s’y fourvoient, incapables de liberté et de poésie dans le chant initial, suspendu, confondant vivacité et précipitation en avalant les traits périlleux de la dernière partie. Alors qu’il suffit de chanter, toujours, même quand Chopin vire à la virtuosité. J’avais dans l’oreille la perfection d’Arturo Benedetti Michelangeli, j’aurai désormais la merveille délivrée par Dinorah Varsi, une autre manière de perfection.

Et les si fabuleuses Etudes, les deux cahiers des opus 10 et 25, trop souvent scolaires, comme à un concours du plus vite, plus fort, plus démonstratif. De nouveau, j’aurai à côté du « live » exceptionnel de Geza Anda de l’opus 25, les deux cahiers captés eux aussi en concert, à Schwetzingen, dans un son magnifique, de Dinorah Varsi. Une technique supérieure, un contrôle phénoménal des doigts, une virtuosité jamais vaine et prima la musica ! (moi qui n’aime pas beaucoup la 12eme étude de l’opus 10 dite « Révolutionnaire » parce que ce n’est le plus souvent que prétexte à épate, ici je rends les armes tellement c’est beau, animé d’un vrai souffle romantique !).

Et on ne parle pas de tout ce qu’on n’a pas encore écouté (Schumann, Ravel, Debussy, Beethoven)… ah si quand même la plus belle, je pèse mes mots, sonate D 664 de Schubert.

Et les concertos ? Un coup d’oreille aux tubes : le 1er de Tchaikovski, le 2eme de Rachmaninov, enregistrés dans les années Philips à Rotterdam. Vous ne pourrez plus jamais écouter les pachydermiques versions Richter-Karajan 22’10 le 1er mouvement (ou pire Kissin-Karajan ! 24′)  là où Varsi et Gardelli en prennent 18’20 pour le Tchaikovski ou Weissenberg -Karajan pour le Rachmaninov.

Ecoutez ce début du 2eme de Rachmaninov, ça avance droit, mais ça chante toujours… et on entend tout. (Le repiquage en CD est bien meilleur). Ecoutez la Rhapsodie sur un thème de Paganini, écoutez la pureté de son Mozart...

Je me demande comment j’ai pu vivre jusqu’ici en ignorant cette immense musicienne. Il me reste à rattraper le temps perdu et à vous conseiller de faire de même. Faites-vous offrir ce coffret pour les fêtes ! Indispensable.

Détail de toutes les plages de ce coffret (et possibilité d’écouter un extrait de chacune ! ) : (http://www.amazon.fr/Dinorah-Varsi-Legacy-collected-recordings/dp/B015OPMDCS/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1449417683&sr=8-1&keywords=dinorah+varsi)

Les vivants et les morts

Semaine pour le moins contrastée. Beaucoup d’avancées, les choses qui bougent enfin, les promesses tenues, des idées nouvelles qui bousculent les routines, tout ce que j’aime. Une énergie intacte malgré les inerties. La vie en somme…

C’est ce que je retiens du dernier – que je n’espère pas ultime –  ouvrage de l’ami Jacques Chancel, que je suis inquiet de ne pas avoir revu depuis un bon bout de temps.

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« L’âge est venu et mon appétit redouble, je ne vois que des soleils jusque dans les jours les plus sombres, je ne sais toujours pas d’où me vient cette résistance à l’ennui, ce bonheur de vivre, cette irrésistible envie de rester auprès de tous les miens. Pourquoi partir en effet ? » . Du pur Chancel, mais moins de ces phrases toutes faites, des fragilités, des nostalgies émouvantes dans ce journal 2011-2014.

Radio France et l’INA ont la bonne idée de rééditer en CD les grandes heures de cette émission légendaire qu’était Radioscopie

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C’était aussi un temps où les grands compositeurs du moment ne rechignaient pas à écrire les indicatifs des émissions de radio. Ici Georges Delerue :

https://www.youtube.com/watch?v=O3644HXPnVA

Semaine assombrie par des disparitions de gens qu’on a aimés ou côtoyés. Le nom de Jacques Barrot n’a jamais été très populaire, malgré une très longue carrière, l’homme qui occupa à peu près toutes les fonctions politiques, n’a jamais été (ni voulu être) aux avant-postes. Maire, Député d’Yssingeaux (Haute-Loire), plusieurs fois ministre de Giscard et Chirac, vice-président de la Commission Européenne (c’est entre autres à lui qu’on doit le projet européen de GPS Galileo), et depuis 2010 l’un des neuf Sages du Conseil Constitutionnel. Dans mes jeunes années, j’ai partagé nombre de combats d’idées et de convictions à ses côtés, puis la vie nous a séparés, sans que se réduisent l’attachement et l’affection que je lui portais. Je l’avais revu à Liège au cours d’une cérémonie un peu protocolaire au Palais provincial l’an dernier, nous avions rattrapé le temps perdu à nous raconter tout ce que nous étions devenus, et nos familles, et nos vies. Il m’avait fait promettre de venir déjeuner avec lui à Paris au Palais Royal (où siège le Conseil Constitutionnel). Je l’avais furtivement aperçu l’été dernier. J’ai manqué ce dernier rendez-vous.

Une image résume Jacques Barrot, ce reportage du 1er tour de la présidentielle de 2002

(On aura reconnu le grand type à côté de Jacques Barrot… dommage qu’il n’ait pas suivi la voie de son maître)

La Belgique, quant à elle, a perdu coup sur coup deux personnalités pour jamais associées à la vie musicale et à un concours de réputation mondiale : « le » Reine Elisabeth. Son président, Jean-Pierre de Launoit, et aujourd’hui la reine Fabiola qui en a été si longtemps la bienveillante gardienne. Souvenirs, souvenirs…

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Et puis, ce 6 décembre, comme chaque année depuis 42 ans, je constate que le temps qui passe n’efface rien, qu’il ravive au contraire la présence de ceux qui ne sont plus…

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De l’utilité des concours

Le Concours international de musique Reine Elisabeth vient de s’achever à Bruxelles, cette année il était dévolu au chant. L’année dernière c’était le piano, l’année prochaine ce sera le violon (http://www.cmireb.be/cgi?lg=fr&pag=1692&tab=87&rec=70&frm=0&par=secorig1677).

À Paris, on a un peu de mal à saisir l’engouement que suscite ce concours en Belgique – la radio, la télévision suivent quasiment toutes les épreuves, les concerts des lauréats déplacent les foules, et les passions se déchaînent (lire par exemple : http://camillederijck.over-blog.com/2014/06/cmireb2014-les-regrets-et-les-joies.html )

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Depuis que je suis dans le métier, je n’ai cessé de m’interroger sur l’utilité, voire la pertinence de ce genre de compétitions. Je ne sais plus quel grand pianiste (Claudio Arrau ?) aurait déclaré que les concours c’était bon pour les chevaux… pas pour les musiciens !

J’ai moi-même siégé plusieurs fois (et avec beaucoup de bonheur) dans des jurys de grands concours (Genève, Besançon par exemple). Mais là n’est pas la question…

Les concours sont-ils utiles pour les musiciens, pour le public, pour la musique ?

Trois questions, trois réponses qui ne concordent pas nécessairement.

1. Le grand concours de réputation internationale est-il nécessaire pour un jeune artiste qui veut se lancer dans la carrière ? Réponse à la normande : oui et non. Je suis sûr qu’on arriverait à dresser des listes d’importance équivalente d’une part des grands musiciens qui n’ont jamais eu besoin de concours pour réussir, d’autre part d’autres grands musiciens qu’un (ou des) concours ont mis sur l’orbite d’une grande carrière.

Je ne sache pas que Richter, Arrau, Rubinstein ou Horowitz aient dû leur réputation et leur carrière à un concours. En revanche, l’incroyable succès d’une adolescente argentine à Genève puis à Varsovie (Martha Argerich) a agi comme une révélation pour toute l’Europe mélomane.

Le concours est aussi, malheureusement, un miroir aux alouettes pour des dizaines, voire des centaines, de jeunes talents qui ne survivent pas à l’épreuve et à la notoriété éphémère qui en résulte.

2. Le concours est-il utile pour le public ? Sans doute, la mention d’un prix, d’une distinction, d’un concours prestigieux dans la « bio » d’un artiste, a-t-elle une petite influence sur le public. En tous cas, en Belgique, l’estampille « Lauréat du Concours Reine Elisabeth » pèse d’un poids non négligeable dans la notoriété d’un musicien, et durablement (des pianistes comme Frank Braley ou notre regrettée Brigitte Engerer peuvent en attester).

Un concours (comme le Reine Elisabeth qui fait salles et audience combles chaque mois de mai) a-t-il des effets positifs sur la vie musicale, la fréquentation des salles de concert ou d’opéra ? J’ai beaucoup plus de doutes.