Le tsar Nicolai

C’est hier, juste avant un concert d’hommage à Kurt Masur – j’y reviendrai demain, que j’ai eu confirmation (merci Forumoperade la disparition, prématurément annoncée en juillet 2015, du ténor suédois Nicolai GeddaLe compatriote de Jussi Björling a eu une carrière d’une longévité exceptionnelle, sur scène comme au disque.

Premiers enregistrements, jamais dépassés, à 27 ans, des opérettes de Johann Strauss, sous la baguette idéale d’Otto Ackermann avec une partenaire de légende.

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Elisabeth Schwarzkopf, interrogée le 23 décembre 1995 par Jean-Michel Damian, avait cité ce Wiener Blut comme l’enregistrement qu’elle préférait. Ce duo avec Nicolai Gedda est bien proche de la perfection (écouter notamment à 2’25 ») :

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Gedda n’a jamais renoncé à ce répertoire où sa voix solaire faisait merveille.

Mais il détient une sorte de record des rôles qu’il a joués et enregistrés, comme en témoigne une discographie d’une incroyable diversité.

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On comprend le secret de sa longévité, en écoutant Nicolai Gedda, ici octogénaire, expliquer, certes en suédois, sous-titré anglais, la technique qui fut la sienne et celle de ses glorieux aînés (Caruso, Björling).

Ici, dans un extrait des Pêcheurs de perles de Bizet, capté dans les années 90, la voix n’a rien perdu de son éclat, et on admire la diction française d’un chanteur qui parlait et chantait couramment toutes les langues de l’opéra.

J’ai eu le privilège de l’entendre chanter pour la soirée surprise organisée, au théâtre de Vevey, pour les 90 ans de son illustre voisin et collègue Hugues Cuénoden 1992. Pour preuve de la modestie de ce grand musicien, cette anecdote rapportée hier par mon ami François Hudry sur sa page Facebook

« Il me revient le souvenir de ma rencontre chez lui, en dessus de Morges, en Suisse, pour une émission de la Radio Suisse. C’était un jour de canicule. Gedda (prononcer Yedda) avait si chaud qu’il m’avait appelé le matin même pour me donner rendez-vous…dans son garage, afin d’avoir un peu de fraîcheur pendant notre entretien. Muni du NAGRA d’usage en bandoulière, j’arrive dans ce que je croyais être son garage, lorsqu’une voix péremptoire me demanda ce que je faisais là. Je répondis que j’avais rendez-vous avec Nicolaï Gedda et la voix de répondre d’un ton sentencieux : « Monsieur, vous êtes ici dans le garage de Madame Audrey Hepburn ». J’avais probablement mal écouté la description faite par un autre de ses voisins célèbres : le ténor et grand ami Hugues Cuenod ! La Suisse Romande est peuplée de célébrités qui vivent dans la quiétude et la discrétion, mais je n’oublierai jamais cette méprise qui me fait rire encore aujourd’hui en ce triste jour de sa disparition. »

Un aspect moins connu du répertoire qu’affectionnait Nicolai Gedda, la chanson populaire russe.

So long Leonard !

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Je ne sais pas si la disparition de Leonard Cohen donnera lieu aux mêmes excès de traitement médiatique que celle de David Bowie (lire La dictature de l’émotion), et peu m’importe finalement !

C’est un souvenir très personnel qui remonte à ma mémoire. Mon père, mort d’un infarctus foudroyant en décembre 1972, était professeur d’anglais, et j’ai appris après sa mort par plusieurs témoignages de ses collègues ou de ses élèves qu’il était parfois audacieux dans ses choix pédagogiques : à ses élèves de première ou terminale il faisait étudier des textes contemporains… comme des Songs de Leonard Cohen ! Nous n’en avions jamais parlé ensemble…

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Je n’écoute jamais Suzanne sans en être profondément remué.. ni bien d’autres de ses chansons.

Merci Monsieur Cohen…

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Florence

La météo en région parisienne ce mardi était une invitation au cinéma. Je n’étais pas le seul à en avoir eu l’idée, à en juger par l’affluence inhabituelle dans ce complexe associatif…images

J’avais vu le pendant français du film de Stephen FrearsMarguerite de Xavier Giannoli avec Catherine Frot dans le rôle titre qui lui a valu le César de la meilleure actrice en 2016.

La comparaison entre les deux films tourne très nettement à l’avantage du dernier sorti. Certains ont reproché à Stephen Frears de s’en tenir à un biopic, et à une mise en scène trop léchée. Comme s’il y avait besoin d’en rajouter à la vie et au personnage si peu ordinaires de Florence Foster Jenkins. Giannoli en fait des tonnes dans la caricature, même si Catherine Frot parvient à rester crédible et émouvante, au contraire de Michel Fau qui fait ce qu’il sait parfaitement faire – et ce pour quoi on l’aime ! -, l’extravagant, le doux dingue.

Meryl Streep est, quant à elle, totalement, parfaitement, le personnage (jusqu’à d’ailleurs prêter sa propre voix à ses vocalises improbables). Je ne suis pas objectif s’agissant de cette actrice américaine que j’admire depuis toujours et qui ne m’a jamais déçu ou désorienté dans aucun de ses films, que j’aime aussi comme citoyenne engagée.

Hugh Grant campe un mari éperdu, aveuglé par l’amour qu’il porte à Florence. Le pianiste est incarné, à la perfection, par un Simon Helberg touchant de vérité – combien d’apprentis musiciens ou de professionnels se reconnaîtront dans ce personnage ! –

Florence Foster Jenkins est un cas extrême, mais les deux films qui lui sont consacrés jettent une lumière crue sur des phénomènes qui n’ont pas perdu de leur actualité : les fans, la cour, les admirateurs qui gravitent autour des stars, l’entourage immédiat d’un grand soliste, d’une grande chanteuse, voire d’un chef d’orchestre célèbre, osent-ils dire la vérité, parfois désagréable, à ceux qu’ils croient servir en les protégeant de la réalité ?

La réponse n’est jamais simple, j’en sais quelque chose depuis trente ans que je fais le métier de servir la musique et les musiciens…