Et alors ?

Et alors ? La réplique restera dans les annales !

Le petit côté rebelle, le « je fais ce que je veux » de l’adolescent pris en défaut, prêteraient à sourire si les circonstances n’étaient aussi sérieuses. Laissons le candidat Fillon à ses démêlés…Comme l’écrivait Françoise Giroud, dans un article d’une cruauté acérée (lire : L’Express 24 avril 1974à propos d’un autre candidat à la présidentielle, qui se réclamait lui aussi du général de Gaulle : « On ne tire pas sur une ambulance » !

Et alors ? C’est une formule que j’emploie souvent, non comme une bravade, mais pour ne jamais considérer une opinion, un avis, comme définitifs, surtout dans le domaine de la musique, de la culture en général. Il suffit qu’une plume « autorisée » ait émis un jour un jugement péremptoire sur tel interprète, tel enregistrement, pour que la simple contestation de cette position passe pour outrecuidante.

Et alors ? je n’ai jamais aimé qu’on m’impose du prêt-à-penser, ce n’est pas maintenant que je vais me mettre à la « conformité ».

Par exemple, une discussion sur Facebook il y a quelque temps sur le pianiste suisse Karl Engel m’a convaincu de racheter ses enregistrements des sonates et des concertos de Mozart, dont je m’étais séparé, lors d’un déménagement, les considérant comme non indispensables – ils n’étaient jamais cités comme des « références » -.

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Au cours de cette « discussion », je vois réapparaître le cliché sur le bon pianiste desservi par un accompagnement au choix terne, poussif, banal… Remarquez j’avais lu ou entendu la même chose – un avis expédié en deux lignes – sur la première intégrale des concertos de Mozart réalisée par Geza Anda avec la formation salzbourgeoise soeur, qu’on appelait alors Camerata academica. 

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C’était le temps où la critique ne jurait que par Murray Perahia, paré de toutes les vertus de l’interprète mozartien par excellence. Moi je n’ai jamais osé dire que ce Mozart gracieux et perlé m’indiffère, et que je lui préfère de cent coudées le piano charnu, charnel, humain de Geza Anda ou Karl Engel…

Autre « vérité »établie : Otto Klemperer est un chef lent, désespérément lent. On évoque donc à son sujet une vision marmoréenne, granitique, hiératique – on a le choix -. Et puis on s’avise de réécouter sa Missa solemniset on entend l’une des interprétations les plus incandescentes de l’histoire du disque !

https://www.youtube.com/watch?v=-NNKxOj809k

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Pour en revenir à Mozart, pourrait-on imaginer que cette version toute de fougue et de fièvre de la 25ème symphonie est due au vieux Klemperer, en 1956, bien des années avant la révolution harnoncourtienne ?

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Autre certitude : Karajan, à la fin de sa vie, n’était qu’hédonisme sonore, legato moelleux, au détriment du respect de la partition. Et alors ? que dire de cette gravure de 1982 de la 94ème symphonie de Haydn ? en particulier le deuxième mouvement (à 9’30), un andante presque allegro. 

https://www.youtube.com/watch?v=NZe3A18AHaM

Frans Brüggen, en comparaison, semble avoir des pieds de plomb !

Et alors donc ? Ne jamais rien tenir pour acquis, et écouter d’une oreille neuve et fraîche même ce qu’on croit connaître par coeur. C’est la différence entre musique et politique : il y a souvent de bonnes surprises !

Génération Le Luron

Je viens de voir le documentaire diffusé le 4 avril dernier (et rediffusé le 29 prochain) : http://www.france3.fr/emission/thierry-le-luron-le-miroir-dune-epoque

Avec une double émotion. Par le plus grand des hasards, j’ai vu les débuts d’un jeune homme de 17 ans à la télévision, en 1970. Je ne sais plus pour quelle raison mon père, qui était professeur d’anglais, avait accompagné à Paris une classe de son lycée  de Poitiers pour l’émission « Le jeu de la chance », diffusée en direct un dimanche après-midi. Et c’est alors qu’on vit le dénommé Thierry Le Luron chanter un air de Rossini d’une superbe voix de baryton. Il revint plusieurs semaines de suite pour son talent de chanteur jusqu’à ce qu’il se risque à une imitation du Premier ministre de l’époque, Jacques Chaban-Delmas, devant Jean Nohain et tout un plateau stupéfaits par la qualité de la prestation. La suite est connue : https://fr.wikipedia.org/wiki/Thierry_Le_Luron.

Avant le documentaire de France 3, Jacques Pessis avait déjà consacré un film à son ami, disparu il y a trente ans :

https://www.youtube.com/watch?v=BZZEX886TKc

Thierry Le Luron, je l’ai retrouvé « en vrai » au début des années 80. Notamment lorsqu’invité à un congrès politique, il fut ce qu’il a toujours été, impertinent, percutant, imperméable aux pressions des puissants, se moquant allègrement de ceux qui l’avaient invité (et payé pour sa prestation !).

Et puis, même s’il l’a toujours nié, pour protéger sa famille, son image, sa vie privée, TLL a été, pour toute une génération, la mienne, le triste symbole d’une jeunesse décimée par la maladie du siècle, le virus jamais nommé, tant à l’époque il semait la terreur. À Paris, dans les lieux à la mode, tout le monde savait que l’imitateur faisait des fêtes jusqu’au bout de la nuit et préférait les garçons. Personne n’était dupe des couvertures de Paris-Match et des photos retouchées pour masquer les avancées de la maladie qu’il combattait avec un cran admirable. L’un de ceux qui partageaient ses nuits, et sans doute sa vie, le pianiste Daniel Varsano, l’a suivi dans la mort dix-huit mois plus tard, non sans avoir laissé quelques disques admirables, qui nous rappellent son talent singulier.

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Le Luron, comme Coluche – tous les deux disparus en 1986 ! – manquent plus que jamais à notre univers politique et culturel.