Happy Birthday

Il a soixante-dix ans aujourd’hui et on a l’impression d’avoir toujours vécu avec lui. Comme l’écrit Renaud Capuçon dans les notes de présentation de l’un des deux considérables coffrets qui lui sont consacrés.

Happy birthday Mister Perlman !

Comme son contemporain Daniel Barenboim, Itzhak Perlman a beaucoup, énormément enregistré pour tous les grands labels, surtout EMI (devenu Warner) et Deutsche Grammophon.

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Je laisserai aux critiques patentés le soin de caractériser par les mots idoines l’art et le jeu de Perlman. 

Mes oreilles se sont habituées depuis l’adolescence à un son pur et chaleureux, à un très beau violon toujours sensuel, jamais vulgaire. Et dans les partitions très techniques (Paganini, Wieniawski) une virtuosité qui ne vise pas l’épate.

Se livrer au jeu des comparaisons serait aussi ridicule que fastidieux.

Cela étant, on n’est pas obligé de souscrire à la totalité de ces propositions, tout n’est pas de la même eau, en partie à cause des accompagnateurs. Quand Giulini sert Beethoven et Brahms aux mêmes hauteurs que son soliste, cela donne des versions de référence. Quand Previn, Foster ou Barenboim sont à la manoeuvre, on n’est pas toujours dans l’élan, la souplesse et la légèreté, parfois même on entend la rapidité de la mise en boîte.

Dans le coffret DG, peu de doublons avec la somme EMI – sauf les concertos de Mozart – plutôt des compléments, Berg, Stravinsky, Lalo, et un couplage inattendu du concerto de Tchaikovski et du 1er concerto de Chostakovitch où Perlman dirige le jeune Ilia Gringolts. Mais surtout deux intégrales que j’ai toujours beaucoup aimées des Sonates pour violon et piano de Beethoven avec Vladimir Ashkenazy, naguère parues chez Decca, et des Sonates pour violon et piano de Mozart avec Barenboim.

https://www.youtube.com/watch?v=9kYJZoDrFeQ

Bel hommage à un artiste rayonnant, de ceux qui donnent envie d’aimer la musique.

Disques d’été (VIII) : Mauvais goût

J’ai toujours rêvé d’entendre, voire d’animer, une émission de radio qui serait consacrée aux musiques un peu honteuses, de mauvais goût, comme les gens qui disent regarder Arte et se repaissent en cachette de Dallas ou d’Amour, gloire et beauté (ça me rappelle un épisode authentique : Armin Jordan n’acceptait jamais de répétition qui commence trop tôt le matin pour pouvoir regarder tranquillement dans sa chambre d’hôtel  les épisodes du très mauvais feuilleton du moment !)

France Culture fait un tabac avec une émission qui s’intitule Mauvais genres. Je doute que le nouveau directeur de France Musique qui a pourtant été à bonne école et qui ne passe pas pour être orthodoxe, lance ou accepte un projet aussi « déviant ». Quoique…

De quoi s’agit-il ?

D’abord de ces musiques dites « légères », pas très sérieuses, un peu crapuleuses, qui sont juste très agréables à écouter… et très difficiles à bien jouer. Les Anglo-Saxons sont beaucoup moins coincés que nous dans ce domaine, les Anglais ont toute une ribambelle de compositeurs qui restent quasiment inconnus sur le Continent (voir quelques références à la fin de ce billet)

Quant aux Américains, à Boston, à Cincinnati, à Los Angeles, les soirées « Pops » ou du fameux « Hollywood Bowl » sont les plus courues (avec des chiffres de fréquentation à faire frémir tous les Cassandre de la musique classique). Depuis mon premier voyage aux Etats-Unis en 1987, j’ai collectionné à peu près tous les disques, souvent des « live », des mythiques Boston Pops et de leur non moins mythique chef de 1930 à 1979, Arthur Fiedler (références à la fin de ce billet)

https://www.youtube.com/watch?v=LiAhE9ya5OU

Une fois – en 1999 ou 2000 – j’ai eu la chance d’assister à une soirée du célèbre Hollywood Bowl. Musicalement décevant, un chef mollasson qui avait réussi l’exploit de nous endormir avec un Boléro de Ravel avachi, mais une première étonnante, la présence du mime Marcel Marceau ! Mais ce n’est pas la qualité musicale qu’on vient chercher, plutôt une ambiance unique de fête.

Les Berlinois ont leur célèbre Waldbühne, qui se termine immanquablement par le tube de Paul Lincke – une sorte d’épigone berlinois de Johann Strauss – Berliner Luft :

On continuera une autre fois ce petit tour du monde, qui ne passe malheureusement pas par Paris

Encore ceci sur un chef qu’on peut autant admirer que détester – Herbert von Karajan. Qui n’a jamais eu honte de diriger, et même d’enregistrer, Suppé, Lehar, Strauss, la Gaîté Parisienne d’Offenbach/Rosenthal : il aimait cette musique et la servait avec les mêmes soins que le grand répertoire classique, avec ce surcroît de chic, d’élégance, de raffinement, dont très peu de ses confrères étaient capables. Il avait même enregistré -son choix? ou à la demande d’un producteur ?- toute une série de marches allemandes et autrichiennes, un double album LP qui ne fut jamais disponible en France, partiellement édité en CD. Puis-je faire l’aveu ici que je n’ai pas écouté qu’une seule fois ces « tubes » de la musique de « divertissement » et puis les Berliner Philharmoniker là-dedans…!!

https://www.youtube.com/watch?v=FvezwQlCZlg

En revanche, le même Karajan pouvait se vautrer dans le vrai mauvais goût, par exemple dans un célèbre Adagio qui n’est pas d’Albinoni, ou dans d’impossibles menuets lentissimes de Bach, Haendel, Haydn ou Mozart (les plus mauvais Concertos brandebourgeois de Bach ou Concerti grossi de Haendel de la discographie, c’est lui !).

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Des touches et des voix

J’aurais pu titrer « l’été meurtrier », les disparitions survenant à un rythme accéléré : hier on apprenait le décès le 10 juillet d’une légende, Jon Vickers (https://en.wikipedia.org/wiki/Jon_Vickers).

On ne peut pas dire que la voix ait jamais été belle, pas sûr d’ailleurs que le Canadien l’ait cherché. En revanche, on a grandi avec son Florestan, son Tristan, son Otello et on vibrait à l’intensité de ses incarnations.

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En revanche, on peut souhaiter un bon anniversaire, 90 ans le 11 juillet, à un autre grand ténor dont un site spécialisé avait prématurément annoncé la mort, Nicolai Gedda. Warner avait déjà édité un copieux coffret, qui essayait de retracer la prodigieuse carrière du chanteur suédois, installé depuis des lustres sur les bords du lac Léman.

51fgWVa6XyL 81+LB3mFQVL._SL1417_Un autre coffret est annoncé, avec des opérettes (intégrales) de Strauss et LeharGedda a particulièrement brillé, depuis les premières gravures avec Schwarzkopf et Ackermann jusqu’aux versions Electrola des années 70

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À Montpellier, l’événement c’était samedi le grand marathon pianistique. On en connait qui n’ont pas loupé une seule note des six concerts qui se sont déroulés à la Salle Pasteur de 9h30 à 23h15 : les deux livres du Clavier bien tempéré de Bach (le premier à Cédric Pescia, le second à Dominique Merlet), les Préludes de Chopin et le 1er cahier de Préludes de Debussy à Nelson Goerner, les Préludes op.89 de Chostakovitch avec Muza Rubackyte et le Ludus Tonalis de Hindemith par Andrei Korobeinikov. 

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Autour de Philippe Cassard, maître d’oeuvre de cette folle journée, Cédric Pescia, Dominique Merlet, Nelson Goerner, Muza Rubackyte.11701135_10153031169037602_5025133019420429048_nAprès un dimanche éclaté dans toute la région, ce lundi invite les curieux à (re)découvrir le coeur de Montpellier à la faveur de rencontres musicales inattendues.

Et sur France Culture, à 15 h, dans Continent Musiques d’été on évoque l’histoire du Festival au micro d’Anna SIgalevitch : http://www.franceculture.fr/emission-continent-musiques-d-ete-multidiffusion

La musique seulement

Un week-end à l’abri des tragédies du monde. Contraste absolu avec le dernier, tout entier consacré à préparer l’émission spéciale #SoiréeJeSuisCharlie diffusée de l’Auditorium de la Maison de la radio sur France 2, France Inter, France Culture, la RTBF, etc.

Des disques pour se retrouver, se ressourcer.

D’abord cet extraordinaire récital d’Arthur Rubinstein d’avril 1963 joint au numéro de janvier de Diapason (http://www.diapasonmag.fr/actualites/a-la-une/concert-inedit-de-rubinstein-en-1963-notre-indispensable-de-janvier-est-arrive)

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J’avais déjà une immense admiration pour le musicien et l’homme, ici je découvre un Beethoven torrentiel, un Schumann impétueux, et tout le reste prodigieux pour un pianiste de 81 ans devant un public hollandais captivé. Et quelle belle prise de son ! Indispensable !

Cela faisait un moment que j’avais le coffret de 3 CD sur ma table, pas eu le temps de l’ouvrir. Excellente idée, très bon texte, sélection intelligente des extraits, mais un défaut majeur : nulle part, ni sur les CD eux-mêmes, ni sur la couverture, ni dans le livret pas l’ombre d’une indication sur les interprètes. On reconnaît bien sûr les voix de Renata Scotto, Leontyne Price, Lucia Popp, on sait que tout est tiré du fonds RCA ou Sony. Dommage, vraiment dommage…

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Avant qu’ils ne soient, peut-être, distribués en France, on est allé chercher du côté de l’Italie, via amazon.it, deux coffrets bienvenus.

D’abord la suite des rééditions du legs Christopher Hogwood chez Oiseau-Lyre : après les indispensables coffrets Beethoven, Haydn, Mozart, Vivaldi, voici ses Bach (contenu des 20 CD : http://www.amazon.it/Bach-Recordings-Christopher-Hogwood/dp/B00Q2MK9II/ref=sr_1_1?s=music&ie=UTF8&qid=1421482197&sr=1-1&keywords=bach+hogwood). On va prendre le temps de déguster…

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Et puis tandis que Deutsche Grammophon s’apprête à rhabiller le coffret des Early Years de Lorin Maazel (mais rien de neuf, pas même les quelques disques berlinois jadis parus sous étiquette Philips), on apprécie ce regroupement des splendides Tchaikovski et Sibelius, et de quelques Richard Strauss, captés à Vienne – Maazel était dans sa trentaine – dans la miraculeuse Sofiensaal.

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C’est par Maazel et les Viennois que j’ai découvert, adolescent, les premières symphonies de Tchaikovski et surtout les symphonies de Sibelius, un coffret de vinyles déniché dans ce qui était alors une caverne d’Ali Baba pour les mélomanes aux Puces de Saint-Ouen. Là encore, un indispensable de toute discothèque !

https://www.youtube.com/watch?v=C9EE45xUVjA

À l’échelle de Richter

S’il est un musicien qui est entré dans la légende très tôt dans sa carrière, c’est le pianiste russe Sviatoslav Richter (1915-1997). L’approche du centenaire de sa naissance donne – enfin – à ses éditeurs l’occasion de rééditions aussi bienvenues qu’attendues. En réalité, la discographie de ce géant est aussi complexe, dispersée, que sa manière très singulière de mener ce que, dans son cas, on ne peut pas appeler une carrière.

Le beau film de Monsaingeon l’illustre à merveille :

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Il n’a pas toujours été facile pour les éditeurs officiels de restituer la variété et la diversité des enregistrements, souvent de concert, de Richter.

Le label russe Melodia ressort au compte-gouttes certaines raretés – mais qui ont parfois déjà été éditées à l’ouest. Warner et EMI avaient déjà versé leur écot :

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On trouve notamment dans ce précieux coffret une version vraiment inattendue – et exceptionnelle – du rare Concerto pour piano de Dvorak avec rien moins que Carlos Kleiber (et ses musiciens bavarois) comme partenaires du grand Richter !

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Decca regroupe en un fort pavé de 52 CD tout le legs discographique « officiel » réalisé de 1957 aux années 2000 par Sviatoslav Richter pour Philips, Decca et Deutsche Grammophon, coffret évidemment indispensable !91bvJ78LH2L._SL1500_

Il y avait déjà des rééditions séparées par label (notamment un gros coffret Philips, l’un des tout premiers qui avait été siglé France Musique en 1995), mais c’est la première fois qu’on a vraiment tout, parfois en double, avec un livret très bien documenté (détails de ce coffret ici : http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2014/12/22/richter-centenaire-8350549.html)

RCA annonce une somme un peu moins importante mais tout aussi essentielle, résultant pour beaucoup de la première tournée que Richter fut autorisé à faire aux Etats-Unis en 1960, et notamment un légendaire 2e concerto de Brahms (avec Leinsdorf) et un 1er de Beethoven (avec Munch)

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On ne peut que se réjouir que l’effort de réédition soit à la mesure de cette si grande figure de la musique du XXème siècle. Richter for ever

Phénoménal

Reçu ce matin par la poste un lourd coffret de 80 CD que j’ai ouvert comme un cadeau de Noël avant l’heure, le deuxième volet de la réédition intégrale, entreprise par SONY, de tous les enregistrements réalisés par Leonard Bernstein pour le label américain. Il y avait déjà eu une première salve, à peine moins imposante (https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/03/18/bernstein-forever/) avec « The Symphony Edition » A1Axq9ksvaL._SL1500_ La nouveauté, c’est une exceptionnelle compilation d’oeuvres concertantes et symphoniques de Bach à… Bernstein ! 91tB0E0QjcL._SL1500_ C’est encore plus incroyable que le premier coffret. On se demande déjà comment (et quand ?) Bernstein chef, et parfois pianiste, a pu enregistrer autant et aussi bien, un répertoire aussi immense, en moins d’une quinzaine d’années (dont la période – 1958/1969 – où il fut le directeur musical du Philharmonique de New York). C’est proprement hallucinant, et chaque galette prise au hasard réserve des surprises, même si les enregistrements nous sont depuis longtemps familiers. Le simple énoncé des compositeurs et solistes qui font partie de ce deuxième gros coffret donne le tournis : Bach, Barber, Bartok, Beethoven, Ben Haim, Berlioz, Bernstein, Bizet, Borodine, Brahms, Britten, Chabrier, Chostakovtich, Copland, Dallapiccola, Debussy, Dukas, Dvorak, Elgar, Enesco, Falla, Feldman,Gershwin, Gounod, Grofé, Grieg, Hindemtih, Honegger, Holst, Ives, Ligeti, Liszt, Mendelssohn, Moussourgski, Mozart, Nielsen, Offenbach, Piston, Poulenc, Prokofiev, Rachmaninov, Ravel, Respighi, Revueltas, Rimski-Korsakov, Rossini, Saint-Saëns, Sibelius, Johann Strauss, Richard Strauss, Stravinsky, Suppé, Tchaikovski, Thomas, Wagner – liste non exhaustive !etc… Et puis de savoureuses ouvertures, pièces de genre, marches, valses, que Bernstein transfigure par son charisme, son énergie… et sa culture. Comme cette ouverture de Raymond d’Ambroise Thomas (quand nous rendra-t-on la version télévisée du chef à la tête de l’Orchestre National ?)

Isaac Stern Zino Francescatti, André Watts, Glenn Gould, Yehudi Menuhin, Rudolf Serkin, Philippe Entremont, Gold et Fizdale, Dave Brubeck, André Previn, Gary Graffman, Pinchas Zukerman, Leonard Rose sont les solistes de pratiquement tous les concertos du répertoire, parfois en plusieurs versions. D’autres chefs ont encore plus enregistré que Bernstein (je pense à Antal Dorati) mais il y a  peu d’exemples d’une telle prodigalité à si haut niveau. Bernstein ou le désir fou de musique !

Des livres de musique

Les livres s’empilent sur ma table de chevet, cadeaux, envois, achats. On les ouvre, on les respire, on les suit en parallèle.

Dans l’ordre de réception, ce cadeau d’amis de théâtre :

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Le grand chef britannique, parfait francophone, était l’invité de Vincent Josse sur France Musique lundi dernier. Trop brève rencontre avec ce personnage d’exception : John Eliot Gardiner est de cette catégorie rare des aventuriers de la musique (http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2013/03/18/happy-birthday-mister-gardiner.html).

John Eliot Gardiner a grandi sous le regard d’un des deux portraits authentiques de Bach, conservé dans la maison de ses parents où il avait été caché pendant la Seconde Guerre mondiale (c’est ce portrait qui figure en couverture de l’édition originale en anglais du livre de Gardiner)

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Cet ouvrage est le fruit d’une vie passée à parfaire sa science et sa pratique de la musique de Bach. Nourri d’archives et d’analyses, il nous fait rencontrer « l’homme en sa création » : nous ressentons ce que pouvait être l’acte de faire de la musique, nous habitons les mêmes expériences, les mêmes sensations que lui. John Eliot Gardiner mêle avec un talent rare érudition, passion et enthousiasme. (Présentation de l’éditeur)

Gardiner avait déjà laissé une discographie exceptionnelle de Bach chez Archiv, il a récidivé sous son propre label pour l’intégrale des cantates, un projet qu’il a conduit depuis une quinzaine d’années.

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Autre ouvrage, que je n’attendais pas sous cette plume : Chopin ou la fureur de soi, de Dominique Jameux :

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J’ai bien connu Dominique Jameux, d’abord et surtout comme auditeur, puis comme directeur de France Musique : producteur exigeant, parfois ombrageux, concentré sur des périodes, des compositeurs, qu’il revisitait, et nous aidait à redécouvrir sans cesse. Et je n’ai pas le souvenir à l’époque qu’il ait manifesté à l’antenne cet amour de Chopin qui nous vaut aujourd’hui ces 350 pages passionnantes et très personnelles. Jameux, ce sont des ouvrages de référence sur Berg, Boulez, Richard Strauss mais pourquoi Chopin ?

« Première (raison) : le caractère résolument individuel, voire intime, tant de ce que Chopin nous glisse à l’oreille que de l’écho que nous lui donnons en nous. Chopin c’est comme la radio : une parole (musicale) qui s’adresse à un auditeur; Moi, vous. Chopin n’a pas de public. Chaque auditeur est seul à l’écouter. L’expérience Chopin le touche au plus secret… » 

Dominique Jameux livre aussi une discographie très personnelle de « son » Chopin : je n’ai pas été surpris d’y retrouver l’incomparable Nelson Goerner.

https://www.youtube.com/watch?v=Vn_YbBXawrc

Beau document qui nous permet de retrouver Frans Brüggen dans une pièce peu connue de Chopin.

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Enfin – provisoirement – un nouveau pavé dû à l’inépuisable André Tubeuf :

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Quinze ans de chroniques mensuelles dans Classica sont rassemblées ici : pour l’essentiel  de grandes figures du passé, le panthéon personnel de l’octogénaire philosophe, mais aussi quelques beaux portraits d’artistes d’aujourd’hui, comme Leif Ove Andsnes ou Philippe Jordan. Et toujours l’inimitable style Tubeuf…

Le hasard m’a fait ouvrir ce livre à la page 59, juste après que j’ai terminé mon dernier billet (https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/10/13/la-mort-danita/).

« Anita Cerquetti, l’intruse.

Intruse, oui. Projetée sous les pleins feux de la façon la plus spectaculaire, sans qu’elle l’ait en rien recherché, sans que ce fût en rien dans son caractère… Il y eut l’incident Norma, à Rome, début janvier 1958 – la dérobade (*). L’autre Norma appelée en hâte serait forcément, aux yeux du monde, une remplaçante. Pourtant en Italie, depuis six ou sept ans, Anita Cerquetti se multipliait dans les plus grands théâtres, chantant Verdi, chanteuse essentiellement noble, comme aucune autre alors ni en Italie ni ailleurs…

(*) Le 2 janvier 1958, à la fin du premier acte de Norma, Maria Callas quitte définitivement la scène de l’Opéra de Rome. Prétextant une indisposition elle n’achèvera pas sa représentation. Le public est stupéfait. Le scandale éclate le lendemain dans toute la presse.

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Heureux

François Hudry a bien fait de le rappeler : http://www.qobuz.com/info/Editoriaux/Francois-Hudry-Cum-grano-salis/N-oublions-pas-Gluck175553.

2014 est une aubaine pour les marchands d’anniversaires, dans le désordre Rameau, Richard Strauss, Carl Philip Emanuel Bach… et Gluck – liste non exhaustive. On ne parle même pas des commémorations historiques, les 70 ans du Débarquement aujourd’hui, dans quelques semaines le centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Dans la masse des publications et rééditions que suscitent ces anniversaires, une mention spéciale à Decca qui propose une des plus intéressantes et intelligentes compilations des grands ouvrages lyriques de Christoph Willibald von Gluck :

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Contenu de cette précieuse boîte :

1. Orfeo ed Euridice, version viennoise en italien (1762) / McNair, Ragin, Sieden, Gardiner

2. Orphée et Eurydice, version parisienne en français (1774) / Croft, Delunsch, Harousseau, Minkowski

3. Alceste, version parisienne (1776) / Groves, Otter, Henschel, Beuron, Tézier, Testé, Gardiner

4. Paride ed Elena / Kozena, Gritton, Sampson, Webster, McCreesh

5. Armide / Delunsch, Naouri, Le Texier, Workman, Beuron, Kozena, Minkowski

6. Iphigénie en Aulide / Otter, Van Dam, Dawson, Aler, Cachemaille, Laurence, opéra Lyon Gardiner

7. Iphigénie en Tauride / Montague, Allen, Aler, Alliot-Lugaz, Argenta, Borst, opéra Lyon Gardiner

 

Initiation

Je l’ai déjà raconté, j’ai découvert peu à peu la musique classique, d’abord par quelques 33 tours qu’il y avait à la maison ou qu’on nous offrait à Noël, puis en cherchant les disques les moins chers – à la mesure de mes faibles moyens. Des collections aujourd’hui disparues, qui ne disent plus rien aux moins de 50 ans (Fontana, Musidisc, la Boîte à musique, Vanguard, la Guilde du disque, etc.). En Suisse, il y avait Ex Libris, une filiale des coopératives Migros, qui éditait sous sa marque des enregistrements d’origine Deutsche Grammophon, Decca ou Philips.

J’ai repensé à cela en faisant mon article sur Ernest Ansermet (https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/05/06/un-suisse-chez-les-russes/). L’un de mes premiers disques achetés en souscription chez Ex Libris c’était un double album consacré au Requiem allemand de Brahms… dirigé par Ansermet, avec plusieurs ensembles choraux dirigés par un homme que j’aurais la chance de côtoyer plus tard, pendant mes années à la Radio Suisse romande, infatigable animateur, entrepreneur, inventeur, l’inestimable André Charlet. Son décès il y a deux mois m’avait échappé, mais qui de ceux qui l’ont connu, approché, aimé (ou moins aimé !) pourrait oublier André ?

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On se rappelle toujours ses premiers disques, on leur garde une affection même si l’on est déçu par la suite ( https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/05/04/on-ne-reveille-pas-un-souvenir-qui-dort/). 

Mes premiers Vivaldi (L’estro armonico) par Paul Kuentz et son orchestre de chambre (avec Monique Frasca-Colombier au premier violon) : j’avais trouvé l’album – un Deutsche Grammophon ! -pas cher à la Librairie des Etudiants à Poitiers, et m’étais fait apostropher par un garçon à peine plus âgé que moi – c’était « une mauvaise version » ! – qui se proposait de m’en faire entendre de meilleures. C’était déjà un mordu de Vivaldi, il l’est toujours, puisqu’il signe toujours des chroniques dans Diapason (Roger-Claude Travers).

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La musique baroque, des concertos de Bach par exemple, c’était chez Musidisc Roland Douatte et son Collegium Musicum, au clavecin Ruggero Gerlin… Plus jamais entendu parler d’eux. Pas plus que de chefs d’orchestre qui s’appelaient Karl Ritter ou Carl Bamberger – pseudos de chefs plus connus ? – Ou Richard Müller-Lampertz, qui avec un orchestre hambourgeois, je crois, m’a fait découvrir des Danses slaves de Dvorak ou la 2e rhapsodie hongroise de Liszt.

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La mode était aussi aux disques-catalogues très bon marché : ainsi un disque au look très seventies, aux couleurs flashy, avec Karajan en surimpression – la Moldau de SmetanaLes Préludes de Liszt (qui sont restés ma référence), des Danses hongroises de Brahms, un autre tout violet de marque CBS consacré à Pierre Boulez (le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, l’ouverture des Maîtres Chanteurs de Wagner – que j’ai tout de suite détestée ! – et à l’inverse une mélodie que j’ai aussitôt aimée, Die Nachtigall, extraite des Sieben frühe Lieder d’Alban Berg… Et puis, un jour de soldes d’été, un coffret de 3 disques bradé de valses et polkas de Strauss par Boskovsky et le philharmonique de Vienne (déjà !).

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Et puis il y eut la période des « Clubs du disque », et autres souscriptions par correspondance, où l’on pouvait encore, pour des prix adaptés aux maigres ressources d’un étudiant, acquérir de très intéressants coffrets. On imagine le sentiment d’intense fierté, d’émotion qui m’étreignait lorsque le postier venait apporter d’imposants paquets à la maison familiale de Poitiers. Je me les rappelle comme si c’était hier.

Quatre disques dont Karajan et le Philharmonique de Berlin étaient l’objet, le sujet, l’ornement : une très intelligente compilation/initiation. Avec la 2e symphonie de BrahmsFinlandia et le concerto pour violon de Sibelius – avec Christian Ferras -, les Tableaux d’une exposition de Moussorgski/Ravel et un disque d’intermezzi d’opéras (qui me ravit toujours autant !).

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Ou un beau coffret rouge d’une dizaine de galettes consacré aux grands concertos pour violon à partir du fonds EMI : Milstein, Oistrakh, Menuhin...

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Encore du vert foncé pour la Guilde du Disque et une 6e symphonie de Beethoven avec Munch et un orchestre hongrois, les 2e et 4e de Beethoven par Monteux et la NDR de Hambourg, etc…

Et puis je ne peux oublier – parce que je les ai tous conservés, à la différence de tout le reste de ma discothèque vinyle – les disques que mon « lecteur » de russe – de mes dernières années de lycée – me rapportait d’Union Soviétique (ou m’envoyait dans de drôles de paquets cartonnés !), de marque Melodia – puisque c’était le seul label autorisé et officiel -. C’est notamment par ces disques que j’ai découvert la 3e symphonie de Khatchaturian avec orgue (une version dirigée par Rojdestvenski… que je n’ai jamais retrouvée en CD). J’ai longtemps rêvé de la programmer…ce sera l’une des surprises de la prochaine saison de l’Orchestre philharmonique royal de Liège !

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La phénoménale version de Kondrachine, enregistrée à Moscou en 1967, a heureusement été rééditée.

Vieux sages

Pas d’âge limite pour les chefs d’orchestre, ils ne jouent d’aucun instrument, ne chantent pas, et ne risquent donc pas l’usure, les atteintes de l’âge de ceux qu’ils dirigent ! La liste est plutôt longue de ces stars des podiums qui sont restées en activité jusqu’à près de 90 ans : Arturo Toscanini, Pierre Monteux, Paul Paray, et plus près de nous Carlo-Maria Giulini (1914-2005). Pour ne citer que ceux qui exercent encore, Pierre Boulez bien sûr (1925), Bernard Haitink (1929), Lorin Maazel (1930)…

Une certaine logique veut que, prenant de l’âge – de l’expérience aussi – ces chefs d’orchestre deviennent moins fougueux, plus retenus, plus lents. C’est particulièrement évident dans le cas de chefs qui ont fait une longue carrière discographique : Klemperer, Karajan, Bernstein, Maazel. Et on a des démonstrations exactement contraires, j’y reviendrai.

Les éditeurs successifs de Carlo-Maria Giulini commémorent le centenaire de la naissance du grand chef italien, il reste des lacunes, mais ne nous plaignons pas, l’effort mérite d’être salué. EMI/Warner a ouvert le bal (lire : http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2013/11/26/giulini-la-classe-7996953.html ), Deutsche Grammophon avait déjà publié deux coffrets

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Récidive avec un coffret Giulini/VienneImageRien d’inconnu dans ce coffret, à une non négligeable exception près : la cantate écrite par le compositeur autrichien Gottfried von Einem (1918-1996) pour célébrer les 30 ans de la fondation de l’ONU, créée à New York le 24 octobre 1975 par Julia Hamari, Dietrich Fischer-Dieskau, le choeur de Temple University…et l’orchestre symphonique de Vienne, dirigé par celui qui en était alors le directeur musical, Carlo-Maria Giulini. Titre de la cantate : An die Nachgeborenen, littéralement « À ceux qui sont nés après »… après les désastres de la Seconde Guerre mondiale, sur des textes de Brecht, Holderlin et…Sophocle !

Sinon les quatre symphonies de Brahms, plus puissantes, creusées que celles réalisées à Londres ou Chicago, lorgnant déjà vers Bruckner, des 7ème, 8ème et 9ème symphonies marmoréennes, comme déjà figées dans l’éternité. Les « live » des concertos 1, 3 et 5 de Beethoven avec Arturo Benedetti Michelangeli, toujours aussi impressionnants…

Restera à DGG à rassembler encore quelques enregistrements réalisés notamment à Berlin.

Plus intéressants encore pour mesurer l’art du vieux chef – et parfois les limites de l’âge ! – les 22 CD que SONY a rassemblés :

ImageSi on oublie un Gloria de Vivaldi complètement hors de propos, un Requiem de Mozart sans relief (préférer la version EMI), le reste doit être écouté, même si les tempi du chef désarçonnent plus d’une fois dans Mozart, Beethoven ou Schubert – c’est lent, trop lent souvent, mais toujours habité – Idem pour les trois dernières symphonies de Dvorak, qui bénéficient du son légendaire (et d’une prise de son exceptionnelle) du Concertgebouw d’Amsterdam, tout comme de prodigieux Ravel, Debussy et Stravinsky (L’oiseau de feu)

Je retiens, quant à moi, une sublime Messe n°6 de Schubert, une Messe en si, hiératique, hors du temps, de Bach, une Symphonie de Franck (avec Vienne !) presque brucknerienne…et une intégrale inachevée des Symphonies de Beethoven avec l’orchestre de la Scala.

Je reviendrai dans un autre billet sur ces vieux chefs, qui, à l’inverse de Giulini, retrouvent au soir de leur vie, une nouvelle jeunesse, une « urgence » – pour reprendre une expression en cours chez les critiques ! – assez étonnantes. Cf. les derniers enregistrements de Monteux, Dorati, Stokowski ou Paray...