La valse de l’Empereur

Vienne commémore par plusieurs expositions et manifestations le centenaire de la mort – le 21 novembre 1916 – de son dernier empereur, François-Joseph (https://fr.wikipedia.org/wiki/François-Joseph_Ier_d%27Autriche).

L’une des plus célèbres valses de Johann Strauss porte le titre de Kaiser Walzer (Valse de l’Empereur). On devrait plutôt écrire « Valse des Empereurs », puisque l’oeuvre résulte d’une commande faite au fils Strauss pour marquer la visite de François-Joseph d’Autriche à Guillaume II de Prusse à Berlin en 1869. Le titre initial était d’ailleurs Hand in Hand (le  précurseur germanique du  mano en la mano cher au général de Gaulle en visite au Mexique en 1964). C’est l’éditeur Simrock qui trouva plus habile d’appeler cette valse Kaiser Walzer, puisqu’ainsi nommée, on maintient l’ambiguïté sur l’identité du ou des Kaiser !

Pour une oeuvre de circonstance, on peut dire qu’elle aura porté chance à son auteur. Ici une version que je trouve idéale, sans empois, sans lourdeur, captée lors de l’un des deux concerts de Nouvel An que dirigea le regretté Claudio Abbado.

Deux disques indispensables :

Une seule oeuvre de Johann Strauss fait, en réalité, directement allusion à l’empereur d’Autriche-Hongrie. Précisément une marche  au titre compliqué : Kaiser Franz Joseph I. Rettungs-Jubel-Marsch. Ecrite pour célébrer avec pompe mais élégance le rétablissement de l’empereur après l’agression au couteau dont il avait été victime le 18 février 1853 de la part d’un jeune forgeron hongrois Janos Libenyi.

Emouvant de retrouver cette marche sous la baguette du plus viennois des chefs (même s’il était né à Berlin), notre cher Nikolaus Harnoncourt, disparu le 5 mars dernier.

Nettement plus dispensable le film de Billy Wilder La Valse de l’Empereur (1948) avec Bing Crosby et Joan Fontaine, qui pousse la caricature jusqu’à l’absurde.

http://www.tcm.com/mediaroom/video/377182/Emperor-Waltz-The-Movie-Clip-Voice-Of-Austria.html

Centenaire ou pas,  François Joseph n’aura jamais la postérité de son épouse Elisabeth, beaucoup plus connue sous le nom de Sissi. Et le promeneur des bords du Léman à Genève ne peut éviter le jardin et la statue qui immortalisent celle qui mourut sous les coups d’un anarchiste à sa descente de bateau sur le quai du Mont-Blanc

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Thalys, Palmyre : com’ de crise ou crise de com’ ?

Deux événements occupent depuis hier le devant de l’actualité : l’attentat manqué du Thalys et la destruction de l’un des édifices majeurs du site antique de Palmyre en Syrie.

Sur le Thalys, je ne vais pas répéter ce que j’écrivais dans un précédent billet (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/08/05/vox-facebooki/). J’ai relayé ce matin sur ma page Facebook et mon compte Twitter ce que le président de la République a écrit :

Cette Légion d’Honneur récompense le courage et le formidable acte d’humanité de Christopher Norman, Anthony Sadler, Aleksander Skarlatos et Spencer Stone ‪#‎Thalys‬« 

Je l’ai entendu en direct citer les autres « héros » de l’événement (l’un voulant demeurer anonyme, l’autre étant encore hospitalisé) mais il n’a pas fallu deux secondes pour que, sur les réseaux sociaux, une fois de plus, la meute se déchaîne contre ce président si nul, si mal informé, parce qu’on n’avait vu que les quatre décorés du jour !

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On a parfois honte de considérer certains comme des « compatriotes ».

En revanche, ayant longtemps été un usager régulier du Thalys, je n’avais pas été surpris du témoignage de l’acteur Jean-Hugues Anglade. Combien de fois n’avais-je pas constaté, dans des circonstances évidemment beaucoup moins dramatiques, l’absence, l’évanescence des contrôleurs (laissant souvent les stewards faire le boulot à leur place), leur attention très relative aux passagers !

Mais qu’une personnalité connue s’avise de dénoncer un comportement problématique, ça la fiche mal, et c’est là que les « pros » de la com’ de crise interviennent : http://www.challenges.fr/politique/20150824.CHA8645/thalys-comment-la-sncf-essaie-d-eteindre-la-polemique-anglade.html.

Extraordinaire dialectique ! On n’imaginait pas pareille résurgence des principes léninistes : le Parti (la SNCF ici) a toujours raison.

L’autre événement qui a évidemment une dimension historique, politique et morale sans commune mesure avec l’attentat manqué du Thalys, c’est Palmyre. Après l’assassinat de l’ancien directeur du site antique, c’est maintenant la destruction du temple de Baalshamin. Evidemment, la colère, l’indignation sont générales. J’évite à dessein de surenchérir dans le vocabulaire qui décrit les faits et mon sentiment.

Parce que, précisément, les auteurs de cette barbarie utilisent remarquablement toutes les ressources de la communication moderne. Et à leur profit.

Hitler, Staline, Pol Pot, et d’autres encore en Arménie ou au Rwanda pouvaient commettre génocides et meurtres de masse à l’abri des regards indiscrets, et dans l’indifférence (ou la neutralité) à peu près générale.

Les groupes qui, au Proche Orient, en Afrique (ne pas oublier Boko Haram et AQMI), font de la terreur et de l’horreur leur seule arme politique, font en sorte que leurs forfaits connaissent le retentissement maximal, suscitent la réprobation générale, mais surtout – et c’est là le piège tendu à nos démocraties, à nos libertés – ils provoquent la révolte des citoyens de bonne foi contre leurs propres dirigeants incapables – c’est ce qui s’écrit à longueur de « commentaires » – d’agir et de réagir face à ces terroristes. On est surpris d’ailleurs qu’Obama, Hollande, les dirigeants européens, ne prennent pas des cours de stratégie en lisant Facebook…. Le club des « Y a qu’à » et des ‘Faut qu’on‘ n’a jamais connu autant d’adeptes !

On parle bien d’un piège : donner un large écho, s’indigner avec vigueur de leur barbarie ne fait que renforcer ces terroristes, ne pas rendre compte de leurs forfaits nous en rendrait complices.

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Il me semble cependant qu’on peut, en tant que citoyens libres dans un pays libre, éviter de se tromper de cible, et face à une menace d’une ampleur inédite, garder le sens de la mesure dans notre expression et manifester une solidarité élémentaire à l’égard de ceux qui nous gouvernent, quelles que soient nos opinions.

Du rire aux larmes

On a commencé la semaine tout sourire, on la termine dans les larmes de sang de la Tunisie et de l’Isère

http://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/021167297081-tunisie-attentat-terroriste-a-sousse-1132119.php

Pourtant on a bien aimé la dernière des Mousquetaires au Couvent à l’Opéra-Comique, la dernière pour l’insubmersible Jérôme Deschamps, formidable rénovateur de la Salle Favart, dernière pour l’établissement lui-même avant travaux (et une réouverture prévue au printemps 2017). Dans le public, la bande reconstituée des Deschiens, on a reconnu François Morel, Yolande Moreau, une ribambelle d’anciens ministres et même le Président de la République qui s’est invité discrètement au dernier acte.

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Mercredi fin de saison pour l’Orchestre de Paris à la Philharmonie, dans un programme d’apparence facile, qui a désarçonné une partie du très nombreux public présent. On the waterfront de Bernstein n’a pas la célébrité de West Side Story et les facéties de Heinz-Karl (dit HK) Gruber, même défendues avec talent par Hakan Hardenberger, semblent curieusement datées (https://en.wikipedia.org/wiki/Heinz_Karl_Gruber).

Deuxième partie beaucoup plus dans la tonalité des Prom’s : Fazil Say dans Rhapsody in Blue et une compilation des suites dites « de jazz » de Chostakovitch. Succès garanti.

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(Le parterre de la Philharmonie transformé en « promenade » comme au Royal Albert Hall de Londres)

Hier soir, nettement moins de monde pour un programme a priori plus austère, dans le cadre toujours aussi impressionnant de Saint-Louis des Invalides.

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Dans le cadre de l’exposition du musée de l’Armée De Gaulle-Churchill, l’orchestre symphonique de la Garde républicaine proposait la 2e symphonie (1941) d’Arthur Honegger et l’interminable « saucisson » qu’est le Concerto pour violon (1910) d’Edward Elgar, que l’archet inspiré et virtuose de Daniel Hope a brillamment sauvé de ses longueurs pas vraiment divines.

Pur hasard, trois concertos pour violon, et pas des moindres, Beethoven, Saint-Saëns (le 3ème) et Elgar portent le même numéro d’opus : 61.

Un conseil : réécouter le chef-d’oeuvre d’Honegger dans les versions de référence de Karajan et Munch.

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Triste semaine aussi pour nos amours de jeunesse, Laura Antonelli, Magali Noël et Patrick McNee

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https://www.youtube.com/watch?v=pchB-4dKpDE

Mais c’est sans doute la mort accidentelle de James Horner, le compositeur de Titanic, qui aura le plus marqué le grand public…

Le silence des larmes

Ce mercredi 7 janvier, vers midi, réunion dans mon bureau, à l’ordre du jour, un texte technique. Autour de la table, de proches collaborateurs, dont B. récemment arrivée auprès de moi. Une première « alerte » du Monde sur mon portable : fusillade à Charlie Hebdo. Ce n’est pas la première fois qu’on tire sur un journal, ni celui-ci en particulier. Quelques minutes plus tard, nouvelle « alerte », des morts cette fois. B. sort téléphoner, revient livide, elle a eu Philippe son mari au bout du fil. Charlie Hebdo, c’est leur famille, leurs amis… Nous arrêtons la réunion. La télé de mon bureau n’est pas branchée – je ne l’ai pas encore utilisée depuis mon arrivée – je consulte mon téléphone, personne n’a encore la mesure de la gravité de la situation. Je sors de la Maison de la radio, j’ai un déjeuner à l’extérieur, je prends le métro pour m’y rendre. Pendant le déjeuner, les nouvelles se précisent, terribles, dramatiques. Mais tout le monde n’est pas comme moi branché sur des sites d’information, les conversations continuent. Je reprends le chemin de la Radio en sens inverse, descends à la station Charles Michels, traverse la Seine et m’arrête à hauteur de la statue de la Liberté, la première de Bartholdy, le modèle de celle qui sera envoyée en Amérique. L’air est lourd, la ville est calme, on ne connaît pas encore l’identité des morts de Charlie Hebdo. Etrange pressentiment, sentiment de calme avant la tempête.

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Les rendez-vous reprennent : deux dames polonaises venues nous parler de Penderecki, d’autres questions liées à la musique contemporaine, le budget de la musique de chambre, bref l’ordinaire des jours.

Puis plusieurs échanges téléphoniques avec Mathieu G.. Il faut faire, dire quelque chose ce soir avant le concert de l’Orchestre National de France. Ajouter une pièce à un programme déjà – bien involontairement – placé sous le signe du recueillement ? Après les quelques mots, justes, sincères, du Président de Radio France devant un Auditorium bien garni, le Prélude de Lohengrin est joué avec une émotion et une intensité palpables par les musiciens du National et leur jeune chef Robin Ticciati.

Le concerto pour harpe d’Hosokawa transparent, aérien sous les doigts de Xavier de Maistre prolonge ce sentiment d’élévation qui s’est emparé de nous, et qui va culminer avec une Quatrième symphonie de Mahler et son Lied final (La vie céleste). Le public fait spontanément silence avant d’applaudir chaleureusement Camilla Tilling, le chef et l’Orchestre.

La soirée se termine chez Chaumette, qui accepte toujours de nous recevoir tard après le concert, et tous les convives éprouvent l’envie de se réconforter avec des nourritures et des vins roboratifs. Personne ne le dit, mais tout le monde sent bien que la tragédie du jour était dans tous les esprits et que ce concert était nécessaire pour surmonter l’effroi.

Entre-temps il a été décidé de rassembler les collaborateurs de Radio France le lendemain, jeudi, à 14 h 30 pour un moment de recueillement. Pour ne pas bouleverser le plan de travail de l’autre orchestre maison, l’Orchestre Philharmonique qui donne le soir le premier d’une série de trois concerts dirigés par Daniel Harding autour de Beethoven et Berg.  

Le plan Vigipirate alerte attentat a été déclenché, la Maison de la radio est sous haute protection, toutes les issues habituelles sont fermées, à une exception près. En sortant du restaurant, vers minuit, je constate une agitation inhabituelle, je comprends en voyant un imposant convoi toutes sirènes hurlantes que le Ministre de l’Intérieur vient de passer. Rentré chez moi, je consulte les dernières informations, longuement, je n’ai pas envie de dormir, je lis et relis les noms des victimes. Je n’y crois pas, on ne peut jamais croire à la mort, à la disparition de ceux qui nous sont chers, on ne fait que s’y résoudre.(Lorsque mon père est mort brutalement en décembre 1972, il m’a fallu plusieurs semaines pour réduire de cinq à quatre les couverts que je disposais sur la table de la salle à manger familiale). Je ne regarde pas les images de la télévision,  je n’ai pas envie d’entendre les experts, les politiques nous expliquer les causes, les raisons, les conséquences de l’attentat. Je réécoute le prélude de Lohengrin et je pleure doucement.

La nuit est courte, le réveil très matinal. J’écoute France Inter, le Premier Ministre est l’invité de Patrick Cohen. Je laisse un message à Mathieu G. : impossible de ne pas faire la minute de silence à midi précises comme toute la Nation. Puisque Beethoven est au programme de l’Orchestre Philharmonique, je vais demander à Daniel Harding et aux musiciens s’ils peuvent jouer l’allegretto de la 7e symphonie. Musiciens et chef donnent immédiatement leur accord, je n’en doutais pas. https://www.youtube.com/watch?v=J12zprD7V1k

L’émotion est considérable. Parmi les victimes de l’attentat d’hier, Bernard Maris, l’une des voix de France Inter, j’admire Mathieu Gallet et Laurence Bloch qui parviennent à aller jusqu’au bout de leur allocution. Ce matin devant l’orchestre, je n’y suis pas arrivé. Et maintenant, pendant qu’ils jouent Beethoven, je vois les musiciens, comme nous, en larmes…

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L’agenda de ce jeudi est bouleversé, les réunions se succèdent autour du président de Radio France, que faire ? comment faire ? Assez vite se forme l’idée d’une soirée d’hommage et de soutien, dès que l’on sait que la grande manifestation nationale aura lieu dimanche, et non samedi. La ministre de la Culture rend visite aux équipes de Radio France, avec elle et son cabinet on dessine plus précisément la forme et le contenu de l’hommage. En fin d’après-midi, je réunis les représentants des deux orchestres et du Choeur de Radio France, leur réponse ne m’étonne pas : ils veulent participer à cette soirée, même si tout doit être improvisé, préparé en un temps record.

Le concert du soir revêt, comme celui de mercredi, une intensité exceptionnelle : Christian Tetzlaff, Daniel Harding et le « Philhar » donnent une version violente, tendue, magnifique, du concerto pour violon de Beethoven. Suivront les Trois pièces op.6 de Berg, denses, et la 8e symphonie de Beethoven, d’une gravité inaccoutumée.

Aux premières heures de ce vendredi 9 janvier, réunion au sommet des équipes de  Radio France et de France Télévisions. On ébauche, la radio s’adapte, la télévision c’est nettement plus lourd, en moins de 48 h, il faut tout construire, même si on ne fait que filmer. Puis on se réunit avec les « patrons » de France Inter et France Culture et leurs équipes, on fait le canevas d’une soirée qui ne doit être ni triste ni étriquée : quelles personnalités convier ? des artistes, des humoristes, des musiciens ?

Une fois une première liste dressée, les coups de fil partent tous azimuts. On a décidé de se revoir dans l’après-midi, l’assistance s’est considérablement renforcée, la boîte de production contactée ce matin, les équipes de France 2. C’est maintenant décidé, on part sur une soirée en direct, l’heure et demie envisagée ce matin est intenable, on passe à trois heures. On change d’échelle, mais la Maison de la radio organise beaucoup d’événements ce week-end, des concerts à l’Auditorium, au Studio 104 (et la reprise des concerts de Jazz au 105 !). Or pour installer le plateau de la soirée de dimanche, il faut libérer l’Auditorium dès 14 h ce samedi. Pas d’autre solution que de transférer la répétition et surtout le concert de ce samedi soir prévus à l’Auditorium vers le Studio 104… Discussions un peu tendues avec les musiciens, qui ne comprennent pas pourquoi on doit les « déménager » 24 h avant l’événement. Les contraintes d’un direct télé de 3 heures ne sont pas forcément compatibles avec une exigence artistique parfaitement légitime. Sauf que personne ne pouvait prévoir l’attentat de mercredi, et encore mois la tuerie de ce vendredi à la Porte de Vincennes.

J’explique la situation à Daniel Harding, au violoniste Christian Tetzlaff, ils comprennent. Comme la veille, le concert de ce vendredi soir est incroyable d’énergie, de densité, de beauté. Copieux programme avec le Triple concerto de Beethoven (avec Lars Vogt, Christian Tanja Tetzlaff), en deuxième partie le Kammerkonzert et les trois fragments de Wozzeck de Berg, avec l’exceptionnelle Barbara Hannigan. Paavo Järvi s’est invité dans le public, heureux de découvrir l’Auditorium… et très inquiet de l’inachèvement de la Philharmonie qu’il doit inaugurer mercredi prochain ! Pascal Dusapin, Eric Tanguy, Philippe Schoeller sont là. Il est près de 23 heures quand nous débarquons, à quatorze, chez Chaumette, nous avons tous besoin de cette chaleur humaine, de boire et manger ensemble, de revivre aussi ces dernières heures, ces derniers jours.

10888478_10152642801682602_3062679517640005113_n (Daniel Harding et Barbara Hannigan)

Daniel Harding me confie ses projets. Celui que j’ai vu tout jeune remplacer au pied levé Simon Rattle en 1995 dans un Chant de la Terre mémorable au Châtelet, puis faire ses débuts dans le Don Giovanni de Peter Brook au festival d’Aix-en-Provence a une belle lucidité, une vraie vision de ce qu’est un chef d’orchestre aujourd’hui. « Un vrai chef commence à être bon à soixante ans »…! Il lui reste vingt ans pour le vérifier.

Deuxième nuit très courte, cette fois je n’échappe pas aux images des assauts lancés contre les terroristes. Le Président de la République a dit ce qui convenait. On aimerait que nulle querelle subalterne ne vienne entamer l’union nationale. Je crains que la trêve ne soit de courte durée…

Retour à Radio France ce samedi, la mise au point s’affine, les réponses arrivent, les artistes acceptent, la soirée de dimanche doit être digne, forte, puissante. Toute la maison de la radio est mobilisée. Fier d’appartenir à une communauté si généreuse.

Je ne me sens pas d’écrire à mon tour un texte d’analyse ou de réflexion sur les événements. Tant d’autres l’ont fait, et le feront, mille fois mieux que moi. Je livre ces deux textes, parfaits de fond et de forme, l’un de Jean d’Ormesson, l’autre d’un personnage sans doute peu connu en France, juriste extrêmement renommé en Belgique, naguère président de l’équivalent belge du Conseil Constitutionnel français, Lucien François :

L’émotion submerge Paris, la France, le monde. Nous savions depuis longtemps que, renaissant sans cesse de ses cendres, la barbarie était à l’œuvre. Nous avions vu des images insoutenables de cruauté et de folie. Une compassion, encore lointaine, nous avait tous emportés. La sauvagerie, cette fois, nous frappe au cœur. Douze morts, peut-être plus encore. Des journalistes massacrés dans l’exercice de leur métier. Des policiers blessés et froidement assassinés. La guerre est parmi nous. Chacun de nous désormais, sur les marchés, dans les transports, au spectacle, à son travail, est un soldat désarmé. Nous avions des adversaires. Désormais, nous avons un ennemi. L’ennemi n’est pas l’islam. L’ennemi, c’est la barbarie se servant d’un islam qu’elle déshonore et trahit. Les plus hauts responsables de l’islam en France ont dénoncé et condamné cette horreur. Il faut leur être reconnaissants.

La force des terroristes, c’est qu’ils n’ont pas peur de mourir. Nous vivions tous, même les plus malheureux d’entre nous, dans une trompeuse sécurité. Nous voilà contraints au courage. L’union se fait autour des martyrs libertaires d’un journal défendant des positions qui n’étaient pas toujours les nôtres. Des journalistes sont morts pour la liberté de la presse. Ils nous laissent un exemple et une leçon. Loin de tous les lieux communs et de toutes les bassesses dont nous sommes abreuvés, nos yeux s’ouvrent soudain sous la violence du coup. Nous sommes tous des républicains et des démocrates attachés à leurs libertés. Mieux vaut rester debout dans la dignité et la liberté que vivre dans la peur et dans le renoncement. Devant la violence et la férocité, nous sommes tous des Charlie Hebdo. (Jean d’Ormesson, Le Figaro, 7 janvier 2015)

On entend dire sur les ondes que l’heure est à la « lutte contre le radicalisme ». J’espère qu’on veut dire : le fanatisme ; pourquoi ne pas le dire proprement ? Craint-on de le dire trop crûment, comme lorsqu’on admoneste les « parvenus » en pensant « corrompus » ? L’émotion, surtout collective, obscurcit l’esprit. Il n’y a absolument rien de blâmable à être radical, pourvu naturellement que la direction soit bonne ; ce qui est inadmissible, c’est l’autoritarisme de la conviction, non le caractère plus ou moins « extrême » de son contenu. N’utilisons pas l’émotion publique pour stigmatiser les opinions nettes, les opinions qui ont des angles, et l’expression de telles opinions. La modération me paraît souvent préférable, mais elle n’est pas obligatoire. Dire à un assassin par intolérance qu’il est radical, c’est presque lui faire un compliment car il est fier de l’être, alors qu’il ne se sait pas fanatique ni barbare, ce qu’il est pourtant. (Lucien François, sur Facebook le 9 janvier 2015)