L’aristocrate et le moujik

Presque simultanément Deutsche Grammophon nous livre deux beaux coffrets sur l’art de deux des plus grands violoncellistes du XXème siècle, qui ont fait les riches heures de la marque jaune (et accessoirement de Philips et Decca) : Mstislav Rostropovitchet Pierre Fournier.

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Deux immenses personnalités, deux styles pour le moins opposés (pour user de clichés un peu faciles, l’élégance aristocratique du Français, l’intensité contagieuse du Russe). On peut aimer l’un et l’autre, et s’amuser au jeu des comparaisons lorsque le même chef (Karajan) les accompagne dans la même oeuvre (Don Quichotte de Richard Strauss).

Le coffret Rostropovitch ne contient rien qui n’ait été déjà réédité, mais regroupe tout ce qui est paru sous les labels DGG, Decca et Philips (et par Melodia pour ce qui est des séances de trios avec Kogan et Gilels), et inclut – à la différence du coffret EMI/Warner – les prestations du violoncelliste comme chef d’orchestre (et d’opéra) et pianiste accompagnateur de son épouse Galina Vichnievskaia. Plusieurs doublons, voire triplons (le Quintette à deux violoncelles de Schubert avec les Taneiev, les Melos et les Emerson) Détails ici : Rostropovitch l’intégrale Deutsche Grammophon.

Dans le cas de Pierre Fournier, on attendait depuis longtemps pareil hommage (après le coffret Warner). La longue carrière du violoncelliste français y est richement documentée, depuis les premières gravures avec Clemens Krauss et Karl Münchinger en 1953, jusqu’à une ultime séance en 1984 deux ans avant sa mort avec son fils Jean Fonda. Deux versions du Don Quichotte de Richard Strauss. Deux intégrales magnifiques des sonates piano-violoncelle de Beethoven avec Friedrich Gulda et Wilhelm Kempff, et de celles de Brahms  avec Rudolf Firkusny et Wilhelm BackhausEt ce qui reste pour moi une référence des Suites pour violoncelle de BachDétails à lire ici : Pierre Fournier, l’aristocrate du violoncelle

https://www.youtube.com/watch?v=0uJvUtyEtcg

De Pierre Fournier, Rostropovitch*, jamais avare d’un superlatif, avait dit qu’il était son « dieu », son « maître ».

*Sur l’orthographe et la prononciation de Rostropovitch, lire Comment prononcer les noms de musiciens

Des cadeaux intelligents

Nous connaissons tous l’horreur de la question rituelle à l’approche des fêtes de fin d’année : que va-t-on pouvoir offrir à X, quel cadeau original faire à Y ? Et affronter la foule des grands magasins ?

Quelques suggestions personnelles… toutes disponibles sur le Net et sans se ruiner !

D’abord une formidable aubaine : 25 ans d’Europakonzerte de l’Orchestre philharmonique de Berlin25 DVD dans un boîtier format CD (un exemple à suivre, svp Messieurs les distributeurs de DVD !), à moins de 50 €. 51hfw6oqkzl-_sl1200_81adiunl5al-_sl1484_L’idée est née en 1991 de proposer, chaque 1er mai, un concert prestigieux des Berliner dans un lieu ou une salle emblématiques d’Europe. L’affiche de ces concerts – chefs, solistes, programmes – parle d’elle-même. Indispensable !

Autre coffret de DVD, même format, mais plus cher et plus hétéroclite, même s’il restitue l’art multi-facettes du pianiste Daniel Barenboim

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Après une discussion passionnée sur Facebook à propos d’une récente réédition de « live » captés à Dresde sur le chef/compositeur italien Giuseppe Sinopoliprématurément disparu en 2001 à 54 ans, je signale deux coffrets formidables (l’un de 16 CD musique orchestrale et chorale, l’autre de 8 CD concertos) à trouver sur www.amazon.ità des prix inversement proportionnels au talent unique du chef disparu :

71cvmcaiirl-_sl1146_5132aldmcdl(Voir détails des deux coffrets à la fin de cet article)

Une nouveauté qui pourrait passer inaperçue : la 4ème symphonie et le concerto pour violon de Weinberg (1919-1996) dans un boîtier au format livre de poche, et à un prix dérisoire. Un très grand compositeur qu’on commence seulement à redécouvrir et à enregistrer, un magnifique concerto pour violon.

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https://www.youtube.com/watch?v=wMSwLkHrtg4

Dans un registre plus traditionnel en ce temps de Noël, deux jolis disques, qui sortent un peu des sentiers balisés, avec la fine fleur des interprètes français de la jeune génération.

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Trouvé hier chez mon libraire de la rue de Bretagne un excellent ouvrage tout ce qu’il y a de plus sérieux sur une musique qui n’a jamais été très prise au sérieux, l’Easy listening !

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La musique easy listening erre au-dessus de tous les styles musicaux qui existent depuis le XVIIIe siècle jusqu’au début des années 1970. C’est une musique large, sans oeillères, qui va puiser son inspiration à des sources bien dissemblables comme les compositeurs de musique classique, les big bands américains des années 1940, les ensembles gamelan balinais folkloriques, les Beatles, la bossa-nova ou la musique hawaïenne traditionnelle. Elle rassemble des personnages aussi différents que l’illustre Burt Bacharach, l’hypnotique pseudo-Indien Korla Pandit, la diva péruvienne Yma Sumac, le Français Roger Roger, auteur de pastilles musicales pour l’ORTF et de son compère Nino Nardini, ou encore Ennio Morricone, c’est dire la difficulté de recenser tous les représentants de cette famille musicale qui a servi de base de données infinie et de source d’inspiration pour des artistes tels que les Beastie Boys, le Wu-Tang Clan, Stereolab, The Avalanches, Portishead, The Cramps etc. Des ascenseurs et supermarchés au salon des clubs lounge, de l’exotica qui envahit l’Amérique d’après-guerre aux bandes-son des films d’exploitation, cet ouvrage définit les contours d’un genre musical omniprésent et pourtant mal connu. (Présentation de l’éditeur).

Il faut saluer ce travail remarquable, et souhaiter qu’il soit complété par tout un pan de ce qui fait bien partie de l’histoire de l’Easy listening, la profusion de grands orchestres américains, souvent issus de phalanges classiques (Boston Pops, Cincinnati Pops, Hollywood Bowl) ou animés par des musiciens charismatiques (MantovaniXavier Cugat, Frederick Fennell, Morton Gould, etc.).

Et comme, pour la plupart d’entre nous, ce 25 décembre ne sera pas blanc, ce potpourri qui réveille en moi tant de souvenirs d’enfance :

 

  • Coffrets Sinopoli /
  • Orchestral Works (16 CD) Beethoven Symph.9 (Dresde) – Brahms Requiem allemand (Phil.tchèque) – Bruckner Symph.4 & 7 (Dresde) – Tchaikovski Symph.6 & Roméo et Juliette (Philharmonia) – Elgar Variations Enigma & Sérénade cordes & In the South – Maderna Quadrivium & Aura & Biogramma (NDR) – Mahler Symph.5 (Philharmonia) – Mendelssohn Symph.4 (Philharmonia) – Schumann Symph.2 (Vienne) – Moussorgski Tableaux d’une exposition (New York) – Ravel Valses nobles et sentimentales (New York) – Ravel Boléro & Daphnis (Philharmonia) – Debussy La Mer (Philharmonia) – Respighi Pins de Rome, Fontaines de Rome, Fêtes romaines (New York) – Schoenberg La nuit transfigurée & Pelléas et Mélisande – Schubert Symph.8&9 (Dresde) – Sinopoli Lou Salomé (Popp, Carreras, Stuttgart) – R.Strauss Ainsi parlait Zarathoustra (New York) Don Juan (Dresde) Danse des sept voiles (opéra Berlin)
  • Concertos (8 CD) Beethoven Concertos piano 1&2 (Argerich, Philharmonia) – Beethoven Conc.violon & Romances (Mintz, Philharmonia) – Bruch conc.vl.1 + Mendelssohn Conc.vl (Shaham) – Elgar Conc.violoncelle + Tchaikovski Variations Rococo (Maisky) – Manzoni Masse Omaggio a Edgar Varese (Pollini, Berlin) + Schoenberg Symph.de chambre op.9 (Berlin) – Mozart Conc.fl.harpe + Symph.conc.vents (Philharmonia) – Paganini Conc.vl.1 + Saint-Saëns Conc.vl.3 (Shaham, New York) – Sibelius & Tchaikovski Conc.vl (Shaham, Philharmonia)

Quand j’ai eu mon Bach

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L’actualité a complètement occulté l’excellent dossier que le numéro de janvier de Diapason consacre à un compositeur qui n’a jamais fait l’objet des foudres ni de Pierre Boulez ni de David Bowie, ni de quiconque avant eux d’ailleurs. Même si on n’aime ou ne comprend pas toute son oeuvre, Bach est le père, la référence, la source de notre musique. Incontesté. Incontestable.

Il faut donc lire Diapason, et les remarquables articles de Gilles Cantagrel, la discographie proposée par Gaëtan Naulleau et Paul de Louit, et le billet de Jacques Drillon qui recycle le débat, plutôt stérile de mon point de vue, sur : Bach, clavecin ou piano ?.

J’ai plusieurs fois pris parti, ici, pour le piano, sans doute parce que c’est en jouant moi-même du Bach sur mon piano – et pendant mes quelques années d’études au conservatoire – et en entendant Bach au piano sur mes premiers disques. Quoique non… je me rappelle un disque Musidisc avec des concertos pour clavier de Bach joués par le claveciniste Roggero Gerlin et le Collegium musicum de Paris dirigé par Roland Douatte.

 

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Mais le vrai premier choc, ce fut un disque d’Alfred Brendel, retrouvé bien sûr dans l’imposant coffret Philips (http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2016/01/07/tout-brendel-8552178.html), les deux préludes de choral surtout « Nur komm’der Heiden Heiland » et « Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ ».

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Puis Le Clavier bien tempéré dans la version naguère parue sous étiquette Eurodisc et longtemps considérée comme une référence, puisque c’était celle du grand Sviatoslav Richter

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Depuis on y a regardé de plus près, et le bloc d’admiration s’est un peu fissuré, surtout lorsque beaucoup plus tard on a découvert la liberté, les libertés dont s’emparait le pianiste russe en concert. Et qu’on a retrouvées, magnifiées, dans le coffret du centenaire (attention édition limitée, la meilleure offre reste http://www.amazon.it)

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Dans les années 90, c’est à Tatiana Nikolaieva, en concert à Evian et à Genève, puis au disque, que je dois mes plus grands bonheurs chez un compositeur qu’elle chérissait entre tous (« la base », « la source », m’avait-elle répété, lorsque j’avais eu le bonheur de siéger à ses côtés dans un jury du Concours international de Genève).

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Puis j’ai butiné du côté d’Evgueni Koroliov et Vladimir Feltsman et bien sûr Martha Argerich (sa 2e Partita est la plus jazzy de toute la discographie !)

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Le dernier Kempff, à qui les doigts manquent parfois, pare son Bach d’une poésie ineffable.

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Et puis, à Maastricht, en voisin, j’ai découvert un jour un magnifique artiste, Ivo Janssen, qui me semblait exprimer à la perfection (magnifique instrument, superbe prise de son de surctoît) le Bach que j’aime :

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Et puis, Bach est inépuisable, tout est possible, toutes les visions sont intéressantes, dès lors qu’elles disent l’humanité, la simple grandeur, d’un compositeur qu’on n’aura jamais fini de découvrir.

Ce DVD reflet de concerts suisse et parisien est sans doute plein d’imperfections, il a une qualité primordiale à mes yeux et à mes oreilles : il nous met d’excellente humeur, il raconte la vie.

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Darius et les négresses

Ce n’est pas toujours par ses plus grandes oeuvres qu’on découvre un créateur. Pour moi c’est un souvenir très précis, un ami chanteur qui avait placé ces « Trois chansons de négresse » dans son premier récital :

La vérité est que je connaissais déjà Le boeuf sur le toit et Scaramouche. Des rythmes et des couleurs latino-américains si éloignés de l’image – un peu austère – que dégageaient les photos du compositeur, au prénom d’empereur persan : Darius Mlhaud.

Regardez ces deux-là comme ils s’amusent dans le 3e mouvement de Scaramouche :

https://www.youtube.com/watch?v=WFdwvamsh50

Chemin faisant dans ma découverte du répertoire, j’ai beaucoup lu que le compositeur français, né à Marseille en 1892 d’une famille juive installée depuis longtemps dans la région, mort à Genève en 1974 – il y a donc 40 ans -, avait été beaucoup trop prolifique pour retenir vraiment l’attention. Pas assez révolutionnaire pour les uns, trop profus pour les autres. Bref, pas là où il faut !

On n’en est que plus heureux de saluer la parution d’un coffret de 10 CD, à petit prix, qui porte le titre que Darius Milhaud avait donné lui-même à son autobiographie : Une Vie heureuse. On doit reconnaître, puisqu’on l’avait déploré en son temps, que la fusion Warner/Erato/EMI a, en l’espèce, produit une des meilleures compilations qui se puisse imaginer, piochant avec beaucoup de pertinence dans les catalogues EMI et Erato, et permettant à l’amateur de vraiment rencontrer l’homme à facettes multiples qu’était ce cher Darius. Je ne sais qui est à l’initiative et à la réalisation de ce coffret, mais je le félicite chaleureusement.

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On retrouve certes du bien connu comme cet inimitable et inimité Boeuf sur le Toit dirigé par Bernstein avec un Orchestre National en transe

https://www.youtube.com/watch?v=O-mR0guH4n8

mais surtout un panorama passionnant de la musique d’orchestre (les 4e et 8e symphonies dirigées par Milhaud lui-même), des quatuors, de la musique pour piano, des mélodies, de la musique de chambre (notamment pour les vents, une extraordinaire sonate pour flûte, clarinette, hautbois et piano réunissant Emmanuel Pahud, Paul et François Meyer et Eric Le Sage), plusieurs enregistrements « historiques » avec Milhaud lui-même aux côtés de Jane Bathori, Janine Micheau ou Marcelle Meyer….

Assurément le coffret le plus intelligent et le plus utile de ce printemps !

Détails à lire sur : http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2014/04/24/darius-le-prolifique-8170945.html