Jochum suite et fin

Au moment de commencer ce billet, me revient un souvenir de jeunesse. De mes études au modeste Conservatoire de Poitiers

Je ne sais plus à quelle occasion nos professeurs et le directeur d’alors, Lucien Jean-Baptiste, étaient partis en voyage à Berlin, nous privant de cours pendant une petite semaine. À leur retour, j’avais interrogé ma professeure de piano, curieux de savoir ce qu’ils avaient vu et entendu, le clou de leur voyage étant un concert à la Philharmonie de Berlin

Je sentais un peu de déception dans son récit : ils avaient bien entendu l’orchestre philharmonique de Berlin, mais pas dirigé, comme ils l’espéraient, par Herbert von KarajanÀ la place de la star, ils avaient eu droit à un « vieux chef », un dénommé Eugen Jochumpersonne ne connaissait… À l’époque, cela ne me disait rien non plus, mais ce nom s’était inscrit dans ma mémoire, et quelques mois plus tard j’achèterais ma première intégrale des symphonies de Beethoven, une « souscription » . parue à l’occasion du bicentenaire de la naissance du compositeur.

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Une intégrale que je regrettais de ne pas voir incluse dans le beau boîtier proposé par Deutsche Grammophon à l’automne 2016 : lire Eugen sans gêne

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Pourquoi avoir omis les quelques enregistrements symphoniques (outre cette intégrale Beethoven) parus pour étiquette Philips, notamment avec le Concertgebouw ? Mystère.

Le tir a été corrigé avec le second volume, qui vient de paraître.

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Une aubaine que ce coffret (détails à lire ici : Jochum vol.2)

qui permet de réévaluer, sinon réhabiliter, des versions rarement citées comme des références des opéras de Mozart (Cosi fan tutte, L’enlèvement au sérail), ou de Weber (Der Freischütz), qui restitue des Wagner révérés, eux,  par la critique (Lohengrin de 1952, Les Maîtres Chanteurs). Et les grands oratorios de Bach, contemporains des enregistrements de Klemperer ou Karl Richter, sans doute dépassés pour ceux qui ne jurent que par Herreweghe, Harnoncourt ou même Corboz. et pourtant si attachants, dans leur humilité expressive, tous captés à Amsterdam avec les meilleurs chanteurs du moment. Sans oublier les messes et motets de Bruckner, la grande messe de Sainte-Cécile et une somptueuse Création de Haydn, un requiem de Mozart, une Missa solemnis amstellodamoise de grande allure, et bien entendu tout un ensemble d’oeuvres de Carl Orff, dont Jochum fut l’ami et le meilleur interprète.

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Admirable duo Irmgard SeefriedNan Merriman.

Comme souvent, le prix de ce coffret varie assez considérablement parfois dans la même enseigne (FNAC)

 

Sous les pavés la musique (VII) : Solti à Chicago

Les pavés se font de plus en plus lourds à mesure que s’approche la fin de l’année. On annonce une intégrale Karajan (DGG/Decca) en plus de 300 CD ! Pour l’heure c’est un autre recordman de l’enregistrement que Decca honore : une intégrale en 108 CD de tout ce que Georg Solti a réalisé à Chicago durant toute la période où il fut le chef principal puis directeur musical honoraire de l’orchestre (de 1970 à 1997)

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Rappel des dates-clés d’une des plus impressionnantes baguettes du XXème siècle. Le jeune György Stern étudie le piano, la composition et la direction avec rien moins que Bartók, Dohnányi, Kodály et Weiner. En 1937 Toscanini le choisit comme assistant au Festival de Salzbourg, et dès 1947 il enregistre pour Decca, une fidélité qui durera 50 ans et produira plus de 250 enregistrements dont 45 opéras !

Solti commence à diriger l’orchestre symphonique de Chicago en 1954 (au Festival de Ravinia), en 1969 il en devient le chef principal pendant 22 ans, puis directeur musical honoraire jusqu’en 1997.

Ce coffret représente donc le coeur battant de l’activité du grand chef hongrois, même si les puristes préfèrent sa première période (Londres, Vienne, Israel), où les caractéristiques de sa personnalité – vivacité, acuité rythmique, inlassable vitalité – font merveille dans le répertoire post-romantique et moderne.

Les cycles des symphonies de Beethoven, Brahms, Bruckner souffrent d’une vision trop impersonnelle, tout est en place, avec un orchestre rutilant, mais rien ne marque vraiment. Solti est nettement plus convaincant dans Mahler – des doublons pour certaines symphonies – Tchaikovski, Wagner, Bartók ou Stravinsky. Et surprenant dans les Chostakovitch qu’il n’a abordés que sur la fin. Les grands oratorios (Bach, Haendel) sont oubliables, même bien chantés. En revanche, le très grand chef d’opéra qu’il a toujours été – et à mes yeux plus grand que le chef symphonique – se retrouve dans les intégrales que ce coffret nous restitue, comme une étonnante Damnation de Faust.

Conseil d’achat : le prix du coffret peut varier de 40 à 50 € d’un site à l’autre, d’un pays à l’autre, mais pour moins de 2 € le CD, avec une très belle iconographie et un vrai livre-portrait, c’est une très belle occasion d’apprécier l’art d’un grand chef, dans la prestigieuse lignée des Szell, Reiner, Dorati, comme Solti originaires d’Europe centrale.

Détails du coffret à lire sur Solti à Chicago