Personnalité(s)

La disparition de José Artur le 24 janvier dernier a suscité le même type d’éloges et de commentaires que ceux qui avaient suivi la mort de Jacques Chancel un mois plus tôt (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/01/25/lhomme-qui-aimait-les-autres/). Tout le monde a loué des voix uniques, des caractères bien trempés, bref, de fortes personnalités. Pourquoi devoir parler de « fortes » personnalités d’ailleurs, comme si c’était une espèce en voie de disparition !

Avoir une personnalité, du caractère, semble presque incongru, dans un univers où la conformité, le consensus, l’uniformité font loi. Dans le monde des médias, comme en politique. Et on admire Chancel, Artur, Pivot parce qu’ils osaient juste être eux-mêmes, sans se soucier de leur image, de leur paraître.

En musique, on vit aussi cette sorte d’affadissement, chez les créateurs comme chez les interprètes. Il reste heureusement – et on les y encourage – de ces personnalités qui n’existent pas en fonction du regard des autres et d’une opinion publique censée être homogène et unanime. On en a eu deux très beaux exemples, très différents, en ce début de semaine.

Gustavo Dudamel (photo ci-dessous) était pour le week-end à la Philharmonie de Paris avec son orchestre Simon Bolivar du Venezuela. Je suis loin d’aimer tout ce que fait ce jeune chef, on peut ergoter sur ses disques, son approche de Mahler, Beethoven ou Brahms, je ne sais pas si la 5e symphonie de Mahler qu’il dirigeait dimanche est conforme au droit canon des mahlériens patentés, mais Dudamel a ceci de différent de ses confrères, qu’il est une star, qu’il a une présence, une aura, un charisme qui ne sont qu’à peu d’interprètes. Bref c’est une personnalité !

Lundi c’était la première française du Concerto pour violon de Pascal Dusapin (ci-dessous), toujours à la Philharmonie. Qui nierait au compositeur – bientôt sexagénaire sous son allure juvénile – une place singulière dans le paysage musical mondial ? Dusapin n’est pas consensuel, ni conforme, il met même quelque volupté à se distinguer des courants dominants. Et nul parmi les milliers d’auditeurs qui ont réservé une longue ovation à l’interprète (Renaud Capuçon) et au compositeur, et qui n’appartiennent pas, loin s’en faut, au public initié à la musique contemporaine, n’a douté une seconde d’avoir assisté ce soir-là à l’éclosion d’un chef-d’oeuvre.

IMG_169410931667_10152673794412602_7053070538469170196_o

L’homme qui aimait les autres

J’avais à peine terminé mon billet hier (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/01/24/la-culture-joyeuse/) qu’on apprenait une nouvelle disparition, celle de José Artur. Même sentiment que Guy Bedos interrogé sur France Inter : ces dernières semaines ressemblent à une hécatombe. Les amis de sa génération tombent les uns après les autres, Chancel, Wolinski, Cabu, maintenant José Artur (« sans h » se plaisait-il à rappeler).

Et pourtant, il y a deux mois, pour l’ouverture de la Maison de la radio, José était en direct au micro de Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek, l’humeur et la voix toujours aussi alertes : http://www.franceinter.fr/emission-si-tu-ecoutes-jannule-tout-jose-artur-en-direct-de-lagora)

-

C’est peut-être Armelle Héliot dans Le Figaro qui dit le mieux la personnalité du José Artur que nous avons connu, écouté, aimé : http://www.lefigaro.fr/culture/2015/01/24/03004-20150124ARTFIG00140-jose-artur-l-homme-qui-aimait-les-autres.php)

J’ai parfois croisé José à Radio France il y a une vingtaine d’années, il m’avait invité un soir pour évoquer, je crois, une grille de rentrée de France Musique. Son émission ne se déroulait plus, depuis longtemps, à la Maison de la radio, mais dans un salon du 1er étage du Fouquet’s. On m’avait prévenu que l’interview serait courte, vu le nombre d’invités et le rythme de l’émission. Je ne me rappelle plus la durée de la séquence, mais sa densité et sa pertinence. Il y a des sujets plus « fun » qu’une grille de programmes qu’il faut promouvoir, mais José avait non seulement intégré le dossier qu’on lui avait remis, mais il avait touché juste, en posant les bonnes questions, avec ce qu’il faut d’irrévérence, de curiosité, et il savait de quoi il parlait…

José Artur, comme Jacques Chancel, avait la culture joyeuse. Pourquoi sont-ils partis?*

*https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/12/23/il-est-parti/