Un coup des Anglais

Une fois de plus, on peut dire merci aux Anglais !

Certes on ne s’attendait pas à pareille surprise en voyant la couverture du dernier numéro de BBC Music Magazine, consacrée aux 25 ans de l’aventure des Trois Ténors

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Mais si vous lisez les autres titres, puis vous rendez à la page 60, vous constatez que le prestigieux magazine musical de la BBC a choisi comme « Composer of the Month » (Compositeur du mois), « the French composer Albéric Magnard, whose bad luck has left him almost totally unknown ». Si l’on cherche la petite bête, on pourrait reprocher à nos amis britanniques d’avoir loupé le centenaire de la mort de Magnard, survenue dans les premiers jours de la Grande Guerre, le 3 septembre 1914 (http://fr.wikipedia.org/wiki/Albéric_Magnard)

Mais comme on n’a pas le souvenir que la presse française ait consacré quatre pleines pages aussi bien documentées et illustrées à cet élève de Vincent d’Indy, fauché dans la fleur de l’âge (il avait 49 ans) après une vie parsemée de tragédies, on ne peut que rendre grâce à Roger Nichols et à la rédaction de BBC Music Magazine pour leur réhabilitation.

À vrai dire, on ne comprend pas qu’on puisse encore parler, un siècle après sa mort, d’un compositeur « totally unknown« . On sait que les programmateurs de concerts, les orchestres, les chefs, ne sont pas toujours des foudres d’imagination, et en France, on continue de faire une sorte de complexe de promouvoir, de faire jouer, d’évoquer même la musique française (quoique les mauvaises habitudes commencent à s’estomper…).

Il a fallu quelques personnalités plus hardies que d’autres, Ernest Ansermet, Michel Plasson, Jean-Yves Ossonce, Thomas Sanderling, pour faire découvrir un symphoniste audacieux. Je me rappelle, avec l’orchestre philharmonique de Liège, une Première symphonie dirigée par Alexandre Dmitriev (Harry Halbreich n’en revenait pas d’entendre dans sa chère salle des Beaux Arts de Bruxelles cette… création belge !), et à plusieurs reprises l’extraordinaire Hymne à la Justice, avec Louis Langrée notamment, un authentique chef-d’oeuvre inspiré à Magnard par l’affaire Dreyfus.

https://www.youtube.com/watch?v=CzTsXmtsqsc

(Ici dans la version de Michel Plasson et du Capitole de Toulouse)

On regrette qu’aucun éditeur n’ait proposé une intégrale de l’oeuvre de Magnard. Il faut se contenter de coffrets et de CD séparés, mais tous de belle facture. Mon choix est plus subjectif que celui de Roger Nichols, mais rien que de l’indispensable !

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Plasson n’est malheureusement plus disponible séparément – ni en téléchargement ! Une réédition s’impose d’urgence !

Les versions Ossonce et Sanderling sont l’une et l’autre disponibles et intéressantes.

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Il faut connaître l’admirable Troisième symphonie dirigée par Ansermet, l’un de ses tout derniers enregistrements (1967)

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L’unique ouvrage lyrique d’Albéric Magnard, Guercoeur, a bénéficié d’une splendide réalisation, dominée par José Van Dam

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Belle intégrale de la musique de chambre en 4 CD chez Timpani – « le » label musique française –

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Et bien sûr le seul ouvrage de référence sur Magnard est de la plume de l’infatigable Harry Halbreich :

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Pour les curieux, une version, à tous égards historique, de l’Hymne à la Justice figure dans le coffret anniversaire de l’Orchestre National de France : le 26 septembre 1944 – trente ans après la mort de Magnard, Manuel Rosenthal ouvre le premier concert du National reconstitué (http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2015/03/25/orchestre-national-de-france-80-ans-8409262.html)

Max ressuscité

Marc Vignal me l’avait soufflé à l’oreille, comme on file un bon tuyau à un copain, Marc Vignal l’auteur, entre autres, d’une imposante monographie consacrée à Haydn : « Si tu trouves des enregistrements de Max Goberman, précipite-toi dessus ». 513JQ65Y8HL

En 1989, pendant une tournée de l’Orchestre de la Suisse Romande aux Etats-Unis et une étape dans la ville universitaire d’Ann Arbor, j’avais trouvé quantité de microsillons dans une véritable caverne d’Ali Baba, dont un 33 tours sous label Odyssey de symphonies de Haydn dirigées par ce fameux Max Goberman. 33 tours précieusement conservé jusqu’à ce jour, puisque je n’avais plus jamais retrouvé en CD quoi que ce soit de ce chef (http://www.haydnhouse.com/max_goberman.htm) Et voilà que Sony réédite un coffret miraculeux de 14 CD : 71XXtF28F5L._SL1500_ 45 symphonies et 3 ouvertures de Haydn captées dans une lumineuse stéréo à Vienne entre 1960 et 1962 avec l’orchestre « de l’opéra de Vienne », autrement dit l’Orchestre philharmonique de Vienne. Un projet d’intégrale des symphonies de Haydn – c’eût été la première gravée, bien avant celle de Dorati – interrompu par le décès brutal du chef en 1962. Extraordinaire parcours pour ce chef américain né en 1911 à Philadelphie, qui mêlait avec un bonheur apparemment égal Broadway, Bernstein et Bach, Vivaldi ou Haydn…comme son plus illustre contemporain, un certain Leonard Bernstein (http://en.wikipedia.org/wiki/Max_Goberman) Max_Gobermansm https://www.youtube.com/watch?v=-tQI0Oe5AL0 Où l’on découvre qu’il y eut des précurseurs, des aventuriers, des audacieux, bien avant Harnoncourt, Gardiner ou Brüggen…

Musique vivante

Guillaume Connesson rappelait lundi soir, pendant la soirée des Victoires de la Musique classique à Lille, que « la musique n’est pas le musée, la musique est vivante, écrite par des compositeurs vivants pour des auditeurs vivants« . Il me semble que je ne dis pas autre chose depuis longtemps…Mais il reste surprenant qu’on doive encore faire ce genre de proclamation.

On va encore en avoir la preuve pendant une quinzaine avec le festival Présences qui en est à sa 25e édition.

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On en a eu aussi le témoignage, quoi qu’on pense d’une manifestation comme les Victoires de la Musique – elle a au moins le mérite d’exister et d’être une des rares occasions de présenter la musique classique à la télévision en prime time – avec un palmarès qui faisait résolument la part belle non pas à des vedettes consacrées, mais à une génération montante déjà très talentueuse (Sabine Devieilhe, Cyrille Dubois, Raphaël Pichon, Jean Rondeau, Edgar Moreau, etc.). Quelque chose me dit que ces jeunes musiciens ne se laisseront pas griser par les séductions d’une gloire éphémère, mais traceront leur route – ils ont déjà commencé à le faire – avec une prudente assurance.

La disparition à presque 90 ans d’Aldo Ciccolini nous a rappelé que la musique survit à ceux qui la servent et vit encore longtemps après que ces poètes ont disparu, grâce au disque, à la radio. Dans le cas d’Aldo Ciccolini, on est un peu dans l’embarras de choisir ce qu’il faut retenir (faut-il d’ailleurs choisir ?). ll y a le considérable coffret jadis publié par EMI, on a envie de faire un clin d’oeil à un compositeur et un orchestre avec qui le pianiste napolitain réalisait il y a 40 ans une version restée de référence :

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Et puis au hasard d’une écoute en voiture, je ne cesse de redécouvrir l’art d’un extraordinaire pianiste, de la même génération qu’Aldo Ciccolini, mais disparu des suites d’un cancer il y a 35 ans, le 29 avril 1969, l’immense Julius Katchen. Decca serait bien inspiré, comme ce fut fait pour Richter, de rééditer un fabuleux legs discographique.

Phénoménale virtuosité jamais gratuite…

La musique seulement

Un week-end à l’abri des tragédies du monde. Contraste absolu avec le dernier, tout entier consacré à préparer l’émission spéciale #SoiréeJeSuisCharlie diffusée de l’Auditorium de la Maison de la radio sur France 2, France Inter, France Culture, la RTBF, etc.

Des disques pour se retrouver, se ressourcer.

D’abord cet extraordinaire récital d’Arthur Rubinstein d’avril 1963 joint au numéro de janvier de Diapason (http://www.diapasonmag.fr/actualites/a-la-une/concert-inedit-de-rubinstein-en-1963-notre-indispensable-de-janvier-est-arrive)

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J’avais déjà une immense admiration pour le musicien et l’homme, ici je découvre un Beethoven torrentiel, un Schumann impétueux, et tout le reste prodigieux pour un pianiste de 81 ans devant un public hollandais captivé. Et quelle belle prise de son ! Indispensable !

Cela faisait un moment que j’avais le coffret de 3 CD sur ma table, pas eu le temps de l’ouvrir. Excellente idée, très bon texte, sélection intelligente des extraits, mais un défaut majeur : nulle part, ni sur les CD eux-mêmes, ni sur la couverture, ni dans le livret pas l’ombre d’une indication sur les interprètes. On reconnaît bien sûr les voix de Renata Scotto, Leontyne Price, Lucia Popp, on sait que tout est tiré du fonds RCA ou Sony. Dommage, vraiment dommage…

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Avant qu’ils ne soient, peut-être, distribués en France, on est allé chercher du côté de l’Italie, via amazon.it, deux coffrets bienvenus.

D’abord la suite des rééditions du legs Christopher Hogwood chez Oiseau-Lyre : après les indispensables coffrets Beethoven, Haydn, Mozart, Vivaldi, voici ses Bach (contenu des 20 CD : http://www.amazon.it/Bach-Recordings-Christopher-Hogwood/dp/B00Q2MK9II/ref=sr_1_1?s=music&ie=UTF8&qid=1421482197&sr=1-1&keywords=bach+hogwood). On va prendre le temps de déguster…

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Et puis tandis que Deutsche Grammophon s’apprête à rhabiller le coffret des Early Years de Lorin Maazel (mais rien de neuf, pas même les quelques disques berlinois jadis parus sous étiquette Philips), on apprécie ce regroupement des splendides Tchaikovski et Sibelius, et de quelques Richard Strauss, captés à Vienne – Maazel était dans sa trentaine – dans la miraculeuse Sofiensaal.

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C’est par Maazel et les Viennois que j’ai découvert, adolescent, les premières symphonies de Tchaikovski et surtout les symphonies de Sibelius, un coffret de vinyles déniché dans ce qui était alors une caverne d’Ali Baba pour les mélomanes aux Puces de Saint-Ouen. Là encore, un indispensable de toute discothèque !

https://www.youtube.com/watch?v=C9EE45xUVjA

Revue de chauves-souris

L’animal est la terreur des enfants (et des adultes aussi !), l’opérette fait le bonheur des mélomanes depuis sa création à Vienne en 1874 : La Chauve-Souris, ou Die Fledermaus en allemand. Premier grand succès lyrique de Johann Strauss, qui, encouragé par Offenbach, va persévérer dans un genre qui ne lui avait pas jusqu’alors réussi. L’Opéra-Comique a pour ces fêtes remonté l’ouvrage en français. Logique si l’on sait que Strauss s’est inspiré d’un vaudeville de Meilhac et Halévy « Le Réveillon« . On va découvrir ce soir cette nouvelle production.

En attendant, revue de détail d’un ouvrage dont je crois bien connaître toutes les versions importantes au disque, et les meilleurs DVD. C’est, osons le dire, une manière de chef d’oeuvre, et il n’y a rien de surprenant à ce que les plus grands s’y soient voués (Krauss, Böhm, Karajan,  Kleiber, etc.).

Dans l’ordre chronologique

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Avec Clemens Krauss (1950) c’est la quintessence du chant viennois et d’une troupe à son apogée

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En 1954, une version qui passe pour mythique, à l’affiche alléchante, mais qui n’arrive pas à la cheville du remake viennois de 1959 : Karajan est virtuose, mais manque de grâce, et la Rosalinde d’Elisabeth Schwarzkopf est pénible à écouter (la fameuse csardas est savonnée et forcée). Gedda et Rita Streich impeccables évidemment.

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En 1959, dans la très grande stéréo Decca de l’époque, une version grand luxe, mais d’une classe, d’une élégance… et d’une nostalgie incomparables. On a reconstitué pour l’occasion un réveillon chez Orlofsky, où défilent toutes les stars présentes à Vienne avec des prestations d’anthologie, excusez du peu, de Renata Tebaldi, Mario del Monaco, Birgit Nilsson (I could have danced all night), Jussi Björling, Fernando Corena, Leontyne Price (chantant Summertime), Giuletta Simionato, Ettore Bastianini, Joan Sutherland, Teresa Berganza, Ljuba Welitsch (Wien, Wien, nur du allein). Karajan fait une démonstration de théâtre et de tendresse, avec des Philharmoniker capiteux à souhait et le meilleur cast qui se puisse imaginer: la grande Rosalinde c’est elle, Hilde Gueden, Erika Köth est l’Adele idéale et les hommes Waldemar Kmentt, Eberhard Waechter, Walter Berry sont juste parfaits, jusqu’à Regina Resnik, à qui seule Brigitte Fassbaender peut disputer le titre de meilleur Orlofsky

https://www.youtube.com/watch?v=Em_GX2sZkCs

A la même époque, Walter Legge fait enregistrer pour EMI une nouvelle Chauve-Souris en stéréo, avec le spécialiste maison, le trop méconnu chef suisse Otto Ackermann, mais Schwarzkopf étant malade pendant les sessions d’enregistrement, c’est une obscure quoique très convaincante Gerda Schreyer qui la remplace. Le tout vaut pour la cohésion d’une équipe idéalement rodée à ce répertoire et la direction emblématique d’Ackermann.

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On confie aussi au plus célèbre des Viennois du siècle, Robert Stolz, un enregistrement qui n’apporte rien de neuf, hormis le ténor vedette Rudolf Schock.51fE-KmkUmL

Il faudra ensuite attendre quelques années pour voir refleurir de nouvelles Chauves Souris.

On se dit a priori que Karl Böhm (1969) n’est pas le plus joyeux chef qui soit pour une opérette. C’est souvent sérieux, voire retenu, et pourtant si chic, presque aristocratique. Et quelle distribution  ! (on notera que Wächter, Kmentt, Berry sont abonnés aux rôles masculins dans toutes les versions de ces années 60-70). Rien que pour la beauté irréelle de Janowitz, on doit écouter cette Fledermaus.

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Boskovsky, en 1979, remet le couvert avec les Wiener Symphoniker mais une équipe féminine un peu usée (trémulante Rothenberger, comme trop souvent, Renate Holm qui n’a vraiment plus l’âge d’une soubrette) et la première version au disque de la meilleure incarnation d’Orlofsky, Brigitte Fassbaender. Gedda et Fischer-Dieskau rééquilibrent le plateau.

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À peu près à la même époque, Deutsche Grammophon convainc Carlos Kleiber – qui dirigera en 1989 et 1992 les deux plus extraordinaires concerts de Nouvel an que Vienne ait jamais vécus – d’enregistrer cette Fledermaus avec les troupes de l’Opéra de Bavière : le meilleur monde possible avec Julia Varady, Lucia Popp, Herrmann Prey, René Kollo et Bernd Weikl, mais alors une catastrophe de taille avec un Ivan Rebroff ridicule en Orlofsky de chez Michou. Et puis la Bavière n’est pas Vienne, et quelque chose ne fonctionne pas tout à fait dans cette version de haut vol.

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Carlos Kleiber rectifiera le tir en 1987 en confiant Orlofsky à l’inimitable Brigitte Fassbaender, fort bien entourée de Pamela Coburn, Janet Perry…et de l’inusable Eberhard Waechter !

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Pour je ne sais plus quelle raison, on retrouve au milieu des années 80 Placido Domingo chantant et dirigeant  une équipe munichoise assez proche de celle de Kleiber. Pas vraiment idiomatique, mais ça tient la route !

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La décennie 90 voit surgir un superbe ratage, dû moins aux chanteurs, chevronnés et parfois séduisants, qu’au chef qui est complètement à côté de la plaque, André Previn.

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Deux ans plus tard, c’est le très savant Nikolaus Harnoncourt qui s’associe au si peu viennois Concertgebouw d’Amsterdam pour une Chauve Souris exhaustive, fouillée, mais vraiment trop bridée, sans fantaisie ni second degré.

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Et depuis vingt ans… plus rien, personne ne se risque plus à ce répertoire si aimable et simple d’apparence, si complexe et difficile de réalisation.

Autre objet à signaler, un double CD (1963) comportant une version en allemand… et son pendant en anglais (en extraits), avec des distributions improbables – mélange du Met et de l’opéra de Vienne – menées grand train par un chef trop oublié aujourd’hui, Oscar Danon : Rothenberger, George London, Risë Stevens, Adele Leigh. Dans la version anglaise, Anna Moffo et Richard Lewis.

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À l’échelle de Richter

S’il est un musicien qui est entré dans la légende très tôt dans sa carrière, c’est le pianiste russe Sviatoslav Richter (1915-1997). L’approche du centenaire de sa naissance donne – enfin – à ses éditeurs l’occasion de rééditions aussi bienvenues qu’attendues. En réalité, la discographie de ce géant est aussi complexe, dispersée, que sa manière très singulière de mener ce que, dans son cas, on ne peut pas appeler une carrière.

Le beau film de Monsaingeon l’illustre à merveille :

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Il n’a pas toujours été facile pour les éditeurs officiels de restituer la variété et la diversité des enregistrements, souvent de concert, de Richter.

Le label russe Melodia ressort au compte-gouttes certaines raretés – mais qui ont parfois déjà été éditées à l’ouest. Warner et EMI avaient déjà versé leur écot :

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On trouve notamment dans ce précieux coffret une version vraiment inattendue – et exceptionnelle – du rare Concerto pour piano de Dvorak avec rien moins que Carlos Kleiber (et ses musiciens bavarois) comme partenaires du grand Richter !

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Decca regroupe en un fort pavé de 52 CD tout le legs discographique « officiel » réalisé de 1957 aux années 2000 par Sviatoslav Richter pour Philips, Decca et Deutsche Grammophon, coffret évidemment indispensable !91bvJ78LH2L._SL1500_

Il y avait déjà des rééditions séparées par label (notamment un gros coffret Philips, l’un des tout premiers qui avait été siglé France Musique en 1995), mais c’est la première fois qu’on a vraiment tout, parfois en double, avec un livret très bien documenté (détails de ce coffret ici : http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2014/12/22/richter-centenaire-8350549.html)

RCA annonce une somme un peu moins importante mais tout aussi essentielle, résultant pour beaucoup de la première tournée que Richter fut autorisé à faire aux Etats-Unis en 1960, et notamment un légendaire 2e concerto de Brahms (avec Leinsdorf) et un 1er de Beethoven (avec Munch)

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On ne peut que se réjouir que l’effort de réédition soit à la mesure de cette si grande figure de la musique du XXème siècle. Richter for ever

Répertoire : les clichés

Les rééditions spectaculaires auxquelles se livrent toutes les majors du disque classique sont – ou devraient être ! – l’occasion  de redécouvrir de grands interprètes à l’abri des clichés qui leur sont attachés.

Ainsi Ernest Ansermet, le légendaire fondateur et chef de 1918 à 1968 de l’Orchestre de la Suisse Romande. Après deux indispensables pavés, consacrés aux répertoires français et russe qu’il a légués à la postérité -(http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2014/05/06/ansermet-et-les-russes-8181542.html et http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2014/02/19/un-chef-suisse-sans-frontiere-ernest-ansermet-8109189.html) – arrive un troisième coffret, plus surprenant pour qui pense que le chef suisse n’avait pas d’autres horizons que Debussy, Ravel ou Stravinsky.

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La collection Eloquence/Australie avait déjà réédité l’essentiel de ces enregistrements, mais ces 31 CD jettent une nouvelle lumière sur l’art d’un musicien passionné par le répertoire classique et romantique allemand – des intégrales prodigieuses des symphonies de Beethoven et de Brahms, les six Symphonies parisiennes de Haydn (ainsi que les symphonies 22 et 90), les 2e et 4e de Sibelius, la 2e de Schumann, l’Italienne et des ouvertures de Mendelssohn, Weber, Schubert, etc. Quelle vitalité, quel sens du rythme juste, quelle vigueur dramatique, quel élan dans ces pages ! Certains critiques – les mêmes qui par ailleurs déplorent l’uniformisation des orchestres – ne manqueront pas de relever l’acidité des cordes, la justesse parfois approximative des bois, là où personnellement j’entends l’identité, l’authenticité d’une formation symphonique qui n’était comparable, et comparée, à aucune autre.

Je préférerai toujours l’identité à l’uniformité, l’esprit à la lettre, un son authentique d’orchestre à une perfection immaculée, Tous les orchestres aujourd’hui jouent beaucoup mieux que l’OSR du temps d’Ansermet, nous délivrent-ils pour autant toujours l’essence de la musique ?

Dans les gros pavés récents, la réédition des derniers enregistrements de Karajan pour Deutsche Grammophon (http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2014/11/08/karajan-derniere-maniere-8321810.html

710WRistxQL._SL1400_Guère de surprise à attendre dans le coeur de répertoire du chef autrichien – les dernières intégrales, apaisées, parfois crépusculaires, de Beethoven ou Brahms. En revanche, Karajan, une fois de plus, impose des références là où il sort des clichés : une exceptionnelle 4e symphonie de Nielsen, une prodigieuse 10eme symphonie de Chostakovitch (la seconde version après celle de 1967), et ces Mahler entrepris tardivement, une 9ème live, l’une des plus bouleversantes de toute la discographie.

Moins étrange l’association Harnoncourt – Johann Strauss. On est loin des relectures de Haydn, Mozart ou Beethoven, on est parfois encore un brin trop sérieux, mais bon sang viennois ne saurait mentir, et le vénérable chef autrichien (85 ans dans quelques jours) qui fut un temps violoncelle solo des Wiener Symphoniker considère ce répertoire comme de première importance et le traite comme tel : deux versions de référence de La Chauve-Souris et du Baron Tzigane.

https://www.youtube.com/watch?v=pkLYOD9HP3I

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Les trente glorieuses

Les mythes ont la vie longue, surtout s’ils recouvrent une réalité. Les Wiener Philharmoniker – l’Orchestre philharmonique de Vienne – demeurent cet orchestre à la sonorité unique, reconnaissable entre toutes (ce hautbois pincé et nasillard, ces cors éclatants qui rappellent les trompes de chasse, ces cordes fruitées, souples et légères)

Mais la légende est double : ce son inimitable est aussi celui que les ingénieurs de Decca ont capté et restitué pendant plus de trente ans !

Après Deutsche Grammophon – qui n’a jamais vraiment réussi à rendre aussi parfaitement cette image sonore des Viennois – qui avait publié une édition symphonique un peu disparate (même si elle nous permettait d’accéder de nouveau à l’intégrale des symphonies de Mozart réalisée par James Levine)

91LXJlCZw3L._SL1500_c’est DECCA qui propose un coffret noir et or de 65 CD, qui raconte avec beaucoup de pertinence (et pas mal d’inédits ou de raretés en CD) la légende glorieuse d’un orchestre à son apogée et de chefs mythiques, Monteux, Münchinger, Krauss, Krips, Karajan, Knappertsbusch, Böhm, Mehta, Maazel, Abbado, Reiner, Kertesz, Schmidt-Isserstedt, Boskovsky, Kleiber (le père), Walter, Solti, etc…

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Des enregistrements réalisés sur une trentaine d’années (1950-1980), classés par périodes – de Haydn (avec Monteux et Münchinger) à Khatchaturian -, un luxueux livre richement illustré en quatre langues (dont le japonais). Des minutages très généreux et des couplages intelligents. Un beau cadeau de fin d’année !

Une conquête française

Au petit matin, il y a des nouvelles qui réchauffent et réjouissent :

http://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0203913141675-les-francophones-en-forte-progression-dans-le-monde-1060878.php

Je voyais ce matin un reportage sur France 2, un jeune Chinois évoquait la beauté, l’élégance du français.

Tout n’irait donc pas si mal dans notre monde en folie, le français reste une langue universelle, alors qu’il y a peu encore on prédisait sa lente mais inexorable disparition. Peut-être une réaction au laminoir anglo-saxon modèle américain ? Peut-être une envie de culture, de style, de valeurs qui poussent très profond leurs racines ?

Peut-être n’est-ce pas non plus un hasard si les chanteurs de la génération montante prennent la suite des Souzay, Kruysen, Bernac, Danco, Norman, Lott, qui ont honoré et vénéré la mélodie française ?

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https://www.youtube.com/watch?v=Yv_1kFCLhCo

https://www.youtube.com/watch?v=abxYlaU22dM

J’ai de toujours une prédilection pour José Maria de Hérédia, qu’on classe parmi les Parnassiens, pour la force du verbe, l’ampleur de la langue, la beauté des horizons.

Soleil couchant

Les ajoncs éclatants, parure du granit, 
Dorent l’âpre sommet que le couchant allume ; 
Au loin, brillante encor par sa barre d’écume, 
La mer sans fin commence où la terre finit.

A mes pieds c’est la nuit, le silence. Le nid 
Se tait, l’homme est rentré sous le chaume qui fume. 
Seul, l’Angélus du soir, ébranlé dans la brume, 
A la vaste rumeur de l’Océan s’unit.

Alors, comme du fond d’un abîme, des traînes, 
Des landes, des ravins, montent des voix lointaines 
De pâtres attardés ramenant le bétail.

L’horizon tout entier s’enveloppe dans l’ombre, 
Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre, 
Ferme les branches d’or de son rouge éventail.

Phénoménal

Reçu ce matin par la poste un lourd coffret de 80 CD que j’ai ouvert comme un cadeau de Noël avant l’heure, le deuxième volet de la réédition intégrale, entreprise par SONY, de tous les enregistrements réalisés par Leonard Bernstein pour le label américain. Il y avait déjà eu une première salve, à peine moins imposante (https://jeanpierrerousseaublog.com/2014/03/18/bernstein-forever/) avec « The Symphony Edition » A1Axq9ksvaL._SL1500_ La nouveauté, c’est une exceptionnelle compilation d’oeuvres concertantes et symphoniques de Bach à… Bernstein ! 91tB0E0QjcL._SL1500_ C’est encore plus incroyable que le premier coffret. On se demande déjà comment (et quand ?) Bernstein chef, et parfois pianiste, a pu enregistrer autant et aussi bien, un répertoire aussi immense, en moins d’une quinzaine d’années (dont la période – 1958/1969 – où il fut le directeur musical du Philharmonique de New York). C’est proprement hallucinant, et chaque galette prise au hasard réserve des surprises, même si les enregistrements nous sont depuis longtemps familiers. Le simple énoncé des compositeurs et solistes qui font partie de ce deuxième gros coffret donne le tournis : Bach, Barber, Bartok, Beethoven, Ben Haim, Berlioz, Bernstein, Bizet, Borodine, Brahms, Britten, Chabrier, Chostakovtich, Copland, Dallapiccola, Debussy, Dukas, Dvorak, Elgar, Enesco, Falla, Feldman,Gershwin, Gounod, Grofé, Grieg, Hindemtih, Honegger, Holst, Ives, Ligeti, Liszt, Mendelssohn, Moussourgski, Mozart, Nielsen, Offenbach, Piston, Poulenc, Prokofiev, Rachmaninov, Ravel, Respighi, Revueltas, Rimski-Korsakov, Rossini, Saint-Saëns, Sibelius, Johann Strauss, Richard Strauss, Stravinsky, Suppé, Tchaikovski, Thomas, Wagner – liste non exhaustive !etc… Et puis de savoureuses ouvertures, pièces de genre, marches, valses, que Bernstein transfigure par son charisme, son énergie… et sa culture. Comme cette ouverture de Raymond d’Ambroise Thomas (quand nous rendra-t-on la version télévisée du chef à la tête de l’Orchestre National ?)

Isaac Stern Zino Francescatti, André Watts, Glenn Gould, Yehudi Menuhin, Rudolf Serkin, Philippe Entremont, Gold et Fizdale, Dave Brubeck, André Previn, Gary Graffman, Pinchas Zukerman, Leonard Rose sont les solistes de pratiquement tous les concertos du répertoire, parfois en plusieurs versions. D’autres chefs ont encore plus enregistré que Bernstein (je pense à Antal Dorati) mais il y a  peu d’exemples d’une telle prodigalité à si haut niveau. Bernstein ou le désir fou de musique !