Un coup des Anglais

Une fois de plus, on peut dire merci aux Anglais !

Certes on ne s’attendait pas à pareille surprise en voyant la couverture du dernier numéro de BBC Music Magazine, consacrée aux 25 ans de l’aventure des Trois Ténors

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Mais si vous lisez les autres titres, puis vous rendez à la page 60, vous constatez que le prestigieux magazine musical de la BBC a choisi comme « Composer of the Month » (Compositeur du mois), « the French composer Albéric Magnard, whose bad luck has left him almost totally unknown ». Si l’on cherche la petite bête, on pourrait reprocher à nos amis britanniques d’avoir loupé le centenaire de la mort de Magnard, survenue dans les premiers jours de la Grande Guerre, le 3 septembre 1914 (http://fr.wikipedia.org/wiki/Albéric_Magnard)

Mais comme on n’a pas le souvenir que la presse française ait consacré quatre pleines pages aussi bien documentées et illustrées à cet élève de Vincent d’Indy, fauché dans la fleur de l’âge (il avait 49 ans) après une vie parsemée de tragédies, on ne peut que rendre grâce à Roger Nichols et à la rédaction de BBC Music Magazine pour leur réhabilitation.

À vrai dire, on ne comprend pas qu’on puisse encore parler, un siècle après sa mort, d’un compositeur « totally unknown« . On sait que les programmateurs de concerts, les orchestres, les chefs, ne sont pas toujours des foudres d’imagination, et en France, on continue de faire une sorte de complexe de promouvoir, de faire jouer, d’évoquer même la musique française (quoique les mauvaises habitudes commencent à s’estomper…).

Il a fallu quelques personnalités plus hardies que d’autres, Ernest Ansermet, Michel Plasson, Jean-Yves Ossonce, Thomas Sanderling, pour faire découvrir un symphoniste audacieux. Je me rappelle, avec l’orchestre philharmonique de Liège, une Première symphonie dirigée par Alexandre Dmitriev (Harry Halbreich n’en revenait pas d’entendre dans sa chère salle des Beaux Arts de Bruxelles cette… création belge !), et à plusieurs reprises l’extraordinaire Hymne à la Justice, avec Louis Langrée notamment, un authentique chef-d’oeuvre inspiré à Magnard par l’affaire Dreyfus.

https://www.youtube.com/watch?v=CzTsXmtsqsc

(Ici dans la version de Michel Plasson et du Capitole de Toulouse)

On regrette qu’aucun éditeur n’ait proposé une intégrale de l’oeuvre de Magnard. Il faut se contenter de coffrets et de CD séparés, mais tous de belle facture. Mon choix est plus subjectif que celui de Roger Nichols, mais rien que de l’indispensable !

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Plasson n’est malheureusement plus disponible séparément – ni en téléchargement ! Une réédition s’impose d’urgence !

Les versions Ossonce et Sanderling sont l’une et l’autre disponibles et intéressantes.

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Il faut connaître l’admirable Troisième symphonie dirigée par Ansermet, l’un de ses tout derniers enregistrements (1967)

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L’unique ouvrage lyrique d’Albéric Magnard, Guercoeur, a bénéficié d’une splendide réalisation, dominée par José Van Dam

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Belle intégrale de la musique de chambre en 4 CD chez Timpani – « le » label musique française –

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Et bien sûr le seul ouvrage de référence sur Magnard est de la plume de l’infatigable Harry Halbreich :

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Pour les curieux, une version, à tous égards historique, de l’Hymne à la Justice figure dans le coffret anniversaire de l’Orchestre National de France : le 26 septembre 1944 – trente ans après la mort de Magnard, Manuel Rosenthal ouvre le premier concert du National reconstitué (http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2015/03/25/orchestre-national-de-france-80-ans-8409262.html)

Une lettre

Un changement d’activité ne va pas sans rangements, tri, débarras, et parfois une plongée dans les souvenirs.

Je viens de retrouver un gros dossier vert, que je croyais perdu (il était en réalité dans un placard de mon bureau liégeois) et qui contient un trésor, dont j’essaierai de retranscrire les passages les plus significatifs au fil de ce blog : les Mémoires de Robert Soëtens (http://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Soetens)

28 décembre 1995;

Cher Jean-Pierre Rousseau,

Voici des semaines que je n’ai pu reprendre avec vous le contact que je souhaitais, pour vous remercier de votre accueil et assistance ayant concerné Prokofiev le 1er décembre.

Mon tri postal a été bloqué un mois, et je n’ai reçu que ces jours-ci la bande de Gaëlle Le Gallic. Son montage de nos propos touffus fut un habile tour de force, avec une matière trop abondante pour l’évocation d’un anniversaire; il fut heureux d’avoir pu s’étendre au jour précédent. Je n’en ai recueilli que de l’intérêt de la part des habitués exigeants de France Musique. Merci pour tous.

Faites-moi le plaisir d’accepter l’ensemble de mes péripéties couvrant le siècle – et même implantées dans le précédent – peut-être susceptibles de vous intéresser de ci de là. Ce n’est qu’un travail et amusement artisanal. Votre jugement m’intéresserait si vous avez quelque loisir à lui consacrer.

Votre maison de la Radio est bien grande pour les essoufflés de mon espèce, je garde pourtant l’espoir de vous y revoir.

Bien sincèrement à vous

Robert Soëtens

Le 1er décembre 1995, j’avais fait inviter Robert Soëtens par Gaëlle Le Gallic dans son émission « Anniversaire » sur France-Musique. Soixante ans auparavant, en effet, à Madrid avait été créé le second concerto pour violon de Prokofiev, et c’était le créateur et dédicataire qui, à 98 ans, était venu en personne en parler au micro de Radio France… Quelle n’avait pas été la surprise de Claude Samuel, alors directeur de la Musique et premier biographe en français de Prokofiev, quand je lui avais annoncé la présence de Robert Soëtens dans les studios…

La BBC a heureusement publié le premier enregistrement de ce concerto réalisé en 1936 à Londres !

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https://www.youtube.com/watch?v=CIC4OqLfKWE

Depuis lors, on sait la carrière qu’a faite ce concerto, que tous les grands violonistes ont à leur répertoire et ont enregistré. J’ai une affection particulière pour les disques de Boris Belkin et Nathan Milstein

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Bientôt la suite des mémoires de l’un des derniers élèves d’Eugène Ysaye, ce cher Robert Soëtens mort centenaire en octobre 1997.